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Affaire Chodiev : un faux, la lettre qui met en cause De Decker ?

Armand De Decker a-t-il utilisé ses appuis politiques pour faire avancer une proposition de loi taillée sur mesure pour son client Pathok Chodiev ? Voici in extenso la copie de la lettre qui circule actuellement et qui met en cause le sénateur dans cette affaire. Pour De Decker, il s’agit soit d’un faux, soit d’un délit commis par l’auteur de la lettre. Manipulation ?

La lettre porte la signature du préfet en retraite Jean-François Etienne des Rosaies. Cet ancien membre du cabinet de Robert Pandraud, ministre délégué à la sécurité sous les ordres de Charles Pasqua, est un homme de missions. A l’Elysée, cet amoureux des chevaux était officiellement responsable, sous la présidence de Sarkozy, de la « filière équestre ». Mais, comme l’écrivait Le Canard Enchaîné à l’origine des révélations, Monsieur Cheval (c’était son surnom) officiait en réalité comme conseiller de l’ombre. C’est lui qui aurait servi, selon Le Canard Enchaîné, d’intermédiaire entre Sarkozy et Armand de Dedecker pour sauvegarder les intérêts judiciaires et économiques de l’homme d’affaires Pathok Chodiev.

Une fois sa mission réussie, le 28 juin 2011, il aurait donc écrit cette lettre à Claude Guéant, bras droit de Sarkozy et alors ministre de l’Intérieur. La lettre décrit clairement l’intérêt de la France : très proche du Russe Vladimir Poutine, Chodiev pourrait devenir le prochain président d’Ouzbékistan (dont il est originaire). Il a assuré de Rosaies de son soutien pour un marché Eurocopter, filiale 100 % du groupe aéronautique français EADS. Il évoque par ailleurs les conséquences qu’une nouvelle condamnation judiciaire aurait sur la pérennité du groupe industriel de Chodiev (230e fortune mondiale) et de ses deux associés.

La lettre décrit aussi l’équipe mise en place en France et en Belgique pour « sauver » Chodiev des griffes de la justice belge, qui aurait voulu renvoyer le milliardaire devant un tribunal correctionnel dans le cadre du dossier de corruption Tractebel. Dans cette équipe, côté belge, la lettre mentionne le nom d’Armand De Dedecker et son cabinet d’avocat. Dans un paragraphe, l’auteur souligne avoir obtenu le soutien déterminant de son cousin germain Armand De Decker qui « nous a apporté l’adhésion des Ministres de la Justice, Finances et Affaires étrangères. Et qui a  »engagé » le vote à l’unanimité de son parti libéral pour modifier « la 1re loi du Code civil de justice Belge autorisant l’Etat à « des transactions financières dans des affaires pénales recouvrant notamment les chefs d’inculpation de blanchiment, faux en écriture et association de malfaiteurs. » »

Armand De Decker se dit fatigué de ces mensonges : « Je n’ai pas de cousin en France, c’est absurde, soupire-t-il. J’ai rencontré ce de Rosaies à Knokke quand j’avais 18 ans. Je l’ai revu l’an dernier avec Catherine Degoul qui voulait que je le rencontre parce qu’il disait me connaître. Avons-nous parlé de Chodiev ? Je ne sais plus. On a surtout évoqué notre jeunesse à Knokke. »

Il y a, il est vrai, au moins quelques imprécisions dans la lettre du 28 juin 2011 quand de Rosaies évoque « la 1re loi du nouveau Code civil de justice Belge ». Il s’agit en réalité d’un amendement d’une loi dispositions diverses qui modifie l’article 216bis du Code d’instruction criminelle. L’ex-préfet signale également que c’est Catherine Degoul, principale avocate de Chodiev en France, qui a rédigé le nouveau texte de loi à la demande expresse du Ministre de la Justice (Stefaan De Clerck, à l’époque) et du procureur général du roi (lequel ? le terme est fort vague…) Il arrive que des bureaux d’avocats soient sollicités pour ce genre d’exercice. « En l’occurrence, ce ne fut pas le cas, affirme Stefaan De Clerck(CD&V), alors ministre de la Justice. Ce texte circulait depuis longtemps, même avant que je revienne à la Justice. A un moment, il y a eu un arbitrage politique au sein du kern. C’est tout. Les seuls intervenants extérieurs qui ont été sollicités sont les professeurs de droit fiscal Verstraete et Haelterman qui ont permis d’affiner la loi. »

« Pour moi, la lettre du 28 juin 2011 est soit un faux soit un délit commis par de Rosaies, se défend De Decker. Si elle est authentique, ce de Rosaies s’est sans doute vanté auprès du ministre. Je n’ai influencé en rien l’adoption de la loi sur la transaction pénale que tous les partis de la majorité voulaient voir arriver. Les travaux parlementaires préparatoires le prouvent. Quant aux ministres dont j’aurais acquis l’adhésion… Imaginez un instant que j’aille voir Steven Van Ackere, alors ministre des Affaires étrangères, pour cela ! C’est débile. » Etienne de Rosaies s’est-il vanté d’avoir réussi à faire voter une loi qui allait de toute façon passer au parlement ? A-t-il profité d’une convergence d’intérêts? C’est une hypothèse qu’il ne faut pas écarter.

« Tout le monde, sauf l’opposition voulait cette loi, même les socialistes pour obtenir la levée du secret bancaire rapidement », tonne De Dedecker. Vrai. En outre, le nom de De Decker n’apparaît nulle part dans les travaux parlementaires. Cela dit, le parcours législatif de la loi a été étonnamment rapide malgré les objections sur le fond des partis d’opposition, Ecolo en tête, et de professeurs de doit pénal, dont Adrien Masset (ULg).

A la Chambre, Georges Gilkinet (Ecolo) a averti qu’on allait introduire de nouvelles échappatoires profitant aux fraudeurs. Dirk Vandermaelen (SP.A) a soulevé le caractère inadmissible d’un règlement à l’amiable, dans le cadre des recommandations de la Commission parlementaire grande fraude fiscale. Au Sénat, Zakia Khattabi (Ecolo), suivie par Christine Defraigne, s’est étonnée qu’on fasse voter la loi modifiant l’art. 216bis du Code d’instruction criminelle tout en préparant déjà une loi de réparation visant à donner suite à des remarques formulées lors de l’examen du premier texte…

Pourquoi n’a-t-on pas examiné et voté les deux textes simultanément ? Il y avait indéniablement volonté d’aller très vite. Pour quelle raison ? Pour obtenir la levée du secret bancaire à tout prix ? Pour répondre aux attentes du lobby des diamantaires anversois, comme le pensaient au départ certains parlementaires ? Ou pour servir les intérêts de Chodiev dont la comparution devant un tribunal était imminente ? Même sans cette lettre, il reste des questions sans réponses.

Thierry Denoël

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