Carte blanche

À qui appartient vraiment la Belgian Pride ?

Il y a cinquante ans, à New York, avait lieu ce qu’on appelle aujourd’hui la  » Première Pride « . À l’époque, on la qualifiait plutôt d’émeute violente. C’était un moment de lutte et de réveil, où des personnes LGBTQI+ se sont levées pour se battre pour leurs droits, avec aux premières loges des militant’e’s transgenres, noires, travailleur’se’s du sexe.

Partout dans le monde, des marches commémorent cet événement et sont un moment important de visibilité et de lutte pour les droits des personnes LGBTQI+. C’est le cas de la Belgian Pride, qui a eu lieu ce samedi 18 mai et qui, pour fêter le cinquantenaire de ce jour iconique, a pris comme thème « All for One », visant à célébrer l’intersectionnalité.

Sauf qu’entre 1969 et aujourd’hui, la Pride a énormément changé. Les slogans et la révolte ont laissé place aux banques, aux multinationales et aux partis politiques. Le discours officiel vante surtout la situation jugée idyllique des personnes LGBTQI+ en Belgique, oubliant que les droits acquis profitent surtout à la frange privilégiée d’entre nous, les personnes cisgenres, blanches, en situation légale, intégrées au marché capitaliste. Cette récupération de notre image, alors que la lutte pour nos droits est loin d’être finie, nous dégoûte. C’est dans cette idée-là que nous avons lancé le cortège VNR. Regroupant des collectifs comme Reclaim the Pride, Queer support the migrants, le Collectif de Lutte Trans et beaucoup d’autres militant.e.s, notre but était de ramener des véritables revendications au sein de la Pride belge et de nous rapprocher ainsi de la Pride originelle.

Nous voulions également dénoncer la présence de partis politiques qui, à une semaine des élections, ne se privent pas de récupérer un tel événement à leur profit en se prétendant défenseurs de nos droits. Chez beaucoup de ces partis politiques, ce que nous constatons est plutôt une attitude visant à défendre s les « bons LGBTQI+ » en oubliant les plus marginalisé’e’s car transgenres, racisé’es, réfugié’e’s, queer, travailleur’se’s du sexe et/ou intersexué’es. Il n’est pas rare non plus que des partis instrumentalisent la prétendue défense des droits LGBTQI+ contre d’autres minorités. Nous voulons dénoncer ici en particulier la présence de la N-VA en raison de ses positions racistes, homonationalistes (visant notamment la communauté musulmane au nom des droits LGBTQI+), mais également homophobes et transphobes, en témoigne la sortie de Théo Francken sur « les hommes qui se maquillent,… ». Avec de tels invités de marque à la Pride, nous sommes donc aux antipodes d’une réelle lutte intersectionnelle, qui viserait au contraire à se battre pour les droits de toutes les personnes LGBTQI+, y compris et surtout pour celles d’entre elles qui subissent aussi l’oppression du racisme, du système capitaliste, du validisme,…

Nous ne pouvons pas continuer sans remettre les plus marginalisé’e’s d’entre nous au centre de nos luttes. En marchant au coeur de la Pride, nous voulions recréer un espace au sein de celle-ci où de telles revendications et un esprit plus politique puissent exister.

Cependant, la journée s’est déroulée très différemment de ce qu’on avait anticipé. Moins de vingt minutes après notre arrivée, nous nous sommes retrouvé’es entouré’es par des lignes de police. À première vue, nous avons naïvement pensé qu’elles étaient là pour séparer le cortège principal des chars politiques. Peu après notre arrivée, des policiers nous ont demandé quelles étaient nos intentions et si on avait l’autorisation pour notre cortège. C’est absurde : n’importe qui peut prendre part à la Pride, même en groupe, d’autant plus que nous avons répondu avoir des intentions non-violentes uniquement. La police a alors contacté la Belgian Pride pour savoir si ils.elles nous autorisaient à continuer notre marche. La suite des événements nous laisse deviner leur réponse.

Sans avoir pu faire un pas dans le cortège de la Pride, notre groupe a donc été « nassé » par la Police, c’est-à-dire totalement encerclé, pour brutalement nous serrer les un’e’s contre les autres et nous pousser violemment sur le trottoir où nous restions privé’e’s de liberté. Certain’e’s d’entre nous ont été violemment colsonné’e’s, trainé’e’s, poussé’e’s. Une fois que nous étions mis’e’s de côté, l’organisation s’est assurée qu’il restait assez de place pour laisser passer à leur aise les chars politiques. C’était donc le comble de l’ironie, de se retrouver mis de côté à un événement dédié à notre communauté, pour que des partis puissent en toute quiétude faire du pinkwashing, c’est-à-dire récupérer la belle image de la Pride à leur profit. Plusieurs personnes sont venues individuellement nous soutenir ou s’informer de notre situation, mais aucun des chars de ces partis, y compris ceux se disant à gauche et progressistes (Ecolo-Groen, PTB, PS,…) ne se sont pas arrêtés pour se demander pourquoi 80 personnes étaient privées de liberté sur un coin de trottoir, pas plus que le char de la FGTB : quelle preuve de solidarité, camarades ! Vous préfériez donc défiler aux côtés de vos ami’e’s de la N-VA, du MR ou de l’Open VLD pour ne pas risquer de manquer une voix… On notera le culot de certain’e’s, qui, après avoir éteint le son de leur char pour écouter ce que nous clamions, ont redoublé de volume pour couvrir nos voix quand ils.elles en ont compris la teneur…

Sans compter que pendant que nous étions encerclé’e’s par la police, le char de la N-VA a été escorté par cette même police tout le long du cortège, pour pouvoir assurer leur « protection ». Malgré notre privation de libertés, d’autres personnes ont été inspirées par notre action et se sont regroupées pour créer un cordon bloquant le passage au char. Ces personnes ont été écarté’es, avant d’être gazé’es, ce qui témoigne du peu d’égard pour leur sécurité et montre bien où se trouvent les priorités de la marche.

En face du char du PS, nous avons également eu droit à du gaz lacrymogène de la part de la police et contrairement à ce qui a été écrit par certains médias, celle-ci ne nous a pas donné de sérum physiologique pour nous soigner. Ce qui nous a sauvegardé, c’est la présence de street medics et la solidarité qui s’était développée au sein de la nasse. Si l’assaut policier nous a déstabilisé’es, nous avons pu trouver ressources et énergies les un’e’s chez les autres, et chez les personnes qui s’étaient regroupé’e’s autour de nous pour nous soutenir. Tout ceci n’a pas empêché de compter des personnes blessées parmi nous, dont au moins une personne brûlée au second degré du fait des gaz lacrymogènes et d’autres également brûlées, ecchymosées ou psychologiquement choquées.

Nous avons finalement été libéré’es 2h30 plus tard, une fois la marche terminée et après de longues négociations pour nous assurer qu’aucun.e d’entre nous ne serait finalement arrêté’e. Là encore, il nous aura fallu montrer, chacun’e à son tour, nos papiers avant de pouvoir sortir. Nous donnons un’e par un’e nos cartes d’identité qui sont prises en photo avant de nous laisser partir. On est désormais fiché’e’s comme ayant participé à des « troubles à l’ordre public », sans doute dans un hommage ironique aux émeutes de Stonewall…

À qui appartient vraiment la Belgian Pride ?
© DR.

Au terme de toutes ces péripéties, on reste avec une question qui nous pend aux lèvres : à qui appartient vraiment la Belgian Pride ? Apparemment pas à la communauté LGBTQI+ dans son entièreté, car certain’e’s de ses membres peuvent être exclu’e’s d’une marche censée être le lieu où elles peuvent exprimer leurs revendications en sécurité. A-t-on le droit d’exister dans l’espace public lorsqu’on n’est pas vu’e’s comme des LGBT bien intégré’e’s qui suivent les normes capitalistes ? Que penser d’une Pride qui veut célébrer l’intersectionnalité, mais qui se permet d’exclure des membres de sa communauté parce qu’ils.elles ne correspondent pas à sa vision ? Ce qui a eu lieu ce samedi n’est pas normal et les responsables de cette situation sont connus.

Nous prenons acte et apprécions le communiqué de la Rainbowhouse Brussels, l’une des associations siégeant aux conseils d’administration de l’ASBL Belgian Pride. Cependant, le silence de Belgian Pride elle-même et des associations Cavaria et Arc-en-Ciel Wallonie résonne toujours. Allez-vous rester de marbre et espérer que notre voix se taise ou êtes-vous prêt’e’s à reconnaître qu’une répression policière abusive et des violences policières ont eu lieu sous votre aile ? Allez-vous continuer à inviter des organisations racistes à votre événement ou êtes-vous prêt’e’s à vous positionner clairement, par exemple en interdisant la participation de tous les partis politiques ? En substance, êtes-vous prêt’e’s à rendre la Pride aux premier’e’s concerné’e’s ?

Collectif de Lutte Trans, Queers Support the Migrants, Reclaim the Pride et d’autres militant’e’s organisateur’rice’s du Cortège VNR

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