Grégory Ulbrich

A Namur, « la survie d’un homme ne prime-t-elle pas sur l’application d’un règlement »?

Grégory Ulbrich Citoyen engagé

Lettre ouverte à Monsieur le bourgmestre de Namur et ministre de l’Action sociale Maxime Prévot et à Madame l’échevine namuroise de la cohésion sociale Stéphanie Scailquin.

Ce vendredi 6 mars 2015 en quittant le restaurant peu après 22h avec mes deux filles âgées de 7 et 9 ans, nous sommes rentrés à pied à mon domicile dans le quartier de Bomel. Au pied du magasin carrefour express à côté de l’abri de nuit, un homme couché dormait sur de la pierre bleue avec une toute fine couverture . Au ressenti de la température très froide, j’étais persuadé que cet homme ne survivrait pas s’il restait là.

Etant en présence de mes filles, je n’ai pas voulu les impressionner , j’ai repris mon chemin en contactant directement le service 100 de la police. On m’ a répondu que la police n’était pas compétente pour cela et on m’ a demandé d’appeler un autre numéro.

Première interrogation, la police ne pouvait-elle pas faire elle-même le nécessaire? soit.

J’ai donc appelé le service compétent. J’ai averti avec force qu’un homme n’allait pas survivre s’il restait là. Cette dame m’a répondu qu’elle était au courant, qu’il avait dépassé son quota de nuit et qu’il ne faisait pas assez froid. (sic). Mais cette dame s’était engagée à aller voir ce monsieur. Force est de constater qu’il était trop tard, puisqu’il est mort d’hypothermie à l’hôpital. Si j’avais su que ce monsieur ne serait pas pris en charge, je me serais révolté sur le champ, et je n’aurais jamais laissé faire.

C’est donc ma deuxième interrogation? La survie d’un homme ne prime-t-elle pas sur l’application d’un règlement?

Je me sens responsable d’avoir fait confiance aux services « compétents » de ma ville.En présence de mes enfants, je ne pouvais pas faire plus.

C’est ma troisième interrogation. Que dois-je dire à mes filles? Que papa a prévenu les secours, mais qu’on a laissé cet homme mourir de froid.Quelle image de notre société cela va donner à des jeunes filles?

J’estime avoir fait le nécessaire, mais j’accuse les services sociaux de non-assistance à personne en danger. Après mûre réflexion, avec la crainte qu’on me prête de la récupération politique, j’ai néanmoins pris la décision de vous écrire.

Loin de là d’imaginer une seconde que vous soyez indifférents à cette mort tragique et qui aurait pu être évitée. Mais à mon humble avis vous portez deux responsabilités, morale et politique.

Le citoyen vous a mandaté pour faire respecter la sécurité publique et l’aide aux personnes en difficulté. La mort de Jean-Luc était évitable. Aucune excuse ne pourra justifier qu’on ait laissé crever de froid comme un chien ,un homme malade et désespéré.

Je ne peux parler à la place de votre conscience, mais vous auriez dû pour ma part présenter chacun votre démission pour les raisons que j’ai énoncées au préalable.

En dehors de cela, je vous sollicite de me recevoir pour me donner des explications à moi et à mes filles, autres que celles que je peux trouver dans la presse. Mes filles et moi-même avons été impliqués sans le vouloir à un fait divers sordide et gravissime.

Je terminerai cette lettre en rendant hommage à Jean-Luc qui stigmatise l’échec de notre société humaine à protéger ses semblables, et l’échec de votre politique qui a amené un homme à mourir de froid. Votre politique a déshumanisé un homme et lui a fait perdre toute sa dignité.

J’espère que la ville lui offrira une sépulture digne avec tous ses regrets.

Maxime Prévot a tenu à répondre à cette lettre ouverte sur son mur Facebook. Voici sa réponse.

A l’aimable attention de Monsieur Greg Grégory Ulbrich . J’ai pris bonne connaissance de votre lettre ouverte à propos du décès tragique du SDF Jean-Luc survenue récemment à Namur ainsi que des propos et attaques aussi virulentes qu’infondées qui ont suivi sur votre mur Facebook.

Dans une situation comme celle-là, qui nous bouleverse tous quoi que vous puissiez en penser, il n’y a pas d’un côté le citoyen justicier et de l’autre le politique salaud. Afin de donner un autre éclairage à cette situation et éviter la propagation continue de contre-vérités et autres doigts accusateurs qu’il est si aisé et convenu de porter vers la classe politique, il m’apparait utile de vous préciser que l’admission de ce sans-abri à l’hôpital s’est opérée entre 20:00 et 20:30 (vérification faite au registre). Soit avant l’ouverture de l’abri de nuit… Faire un lien direct entre son décès et l’application aveugle d’un règlement est donc pour le moins prématuré. Même si on ne peut pas nier que cette règle des quotas, adoptée par tout le conseil communal de la ville et voulue par les travailleurs sociaux, ait pu s’appliquer antérieurement à Jean-Luc et que fondamentalement elle a fait la démonstration de ses limites, c’est peu de le dire… Le SDF que vous avez rencontré avec vos enfants n’est donc manifestement pas cette personne. Vous savez aussi que l’aide sociale ne peut pas être contrainte.

En gros : on ne peut forcer quelqu’un à accepter d’être aidé s’il le refuse. Tous les travailleurs sociaux vous le diront. Dans le cas présent, des mois durant les services sociaux de la ville et de partenaires sociaux ont tenté de l’aider au mieux. Sans le succès escompté. D’où un courrier adressé dès la fin janvier au Procureur du Roi pour lui demander d’agir afin de contraindre Jean-Luc à accepter de l’aide et des soins vu la mise en danger qu’il faisait courir pour lui-même.

Alors avant de fustiger tous azimuts comme les réseaux sociaux le permettent, je ne peux une nouvelle fois qu’inviter chacun à un peu de retenue dans les propos et à accepter que pareille situation, si elle suscite très légitimement l’indignation citoyenne, soit également délicate à gérer, d’autant qu’elle est humainement dramatique, et demande un peu de temps si on ne veut pas soi-même propager de fausses informations. Les situations sont souvent plus complexes qu’elles n’y paraissent… Toutes les leçons seront tirées de ce drame, soyez-en sûr. Mais pas sous la pression ni la dictature de Facebook. Mais bien avec les travailleurs sociaux dont le quotidien du travail au sein de l’abri de nuit est plus délicat, compliqué et sensible que celui effectué par ceux qui distribuent les bons ou mauvais points derrière un écran d’ordinateur. Plus que jamais le sort des plus précarisés ne nous préoccupe, c’est d’ailleurs pour mieux répondre à leurs besoins que nous avions aussi créé ce nouvel abri de nuit.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire