Joseph Junker

70 millions d’euros. Il est temps d’arrêter le financement public des partis !

Joseph Junker Ingénieur civil et cadre dans une société privée

Carolo, ICDI, ISPPJ, Samusocial, Publifin, Kazakhgate, GIAL,… dans la série de scandales politico-financiers qui nous occupent cette dernière décennie, il y a un coupable qui traverse la crise étonnamment bien malgré sa responsabilité écrasante : le parti politique.

Jugez-en donc : malgré leurs écrasantes responsabilités à presque tous les niveaux, malgré leur participation indirecte dans des systèmes pratiquement mafieux, malgré les contributions qu’ils ont encaissées de leurs élus fautifs, aucun d’entre eux n’a subi aujourd’hui de réelles sanctions. Si ce n’est bien sûr celles d’électeurs à juste titre dégoûtés. Circulez, il n’y a rien à voir, ce ne sont rien de plus que des cas individuels isolés bien sûr !

Point de crise économique non plus pour les partis : non seulement ils n’ont pas remboursé un euro des sommes perçues, mais ils pourront comme chaque année recevoir de l’état le chèque qu’ils se sont eux-mêmes octroyé en toute « légalité » : près de 70 millions d’euros au total, soit plus que le budget de la ville de Verviers, la huitième commune la plus peuplée de Région wallonne. Ne croyez pas que les partis se soient serré la ceinture comme vous et moi depuis 2008 : contrairement à l’austérité qu’ils ont imposée à la population et même à leurs élus en diminuant leurs indemnités, leur dotation a même été augmentée de 8 millions d’euros en 2014, en « compensation » de la perte de revenus qu’entraînait pour eux la réforme du sénat. Il fallait en effet en finir avec cette institution « inutile » qui coûtait trop cher… enfin, sauf pour les sous qu’elle rapportait aux partis naturellement !

Cerise sur le gâteau, une lecture attentive du budget 2018 vous apprendra que ce dernier n’a pas oublié de prévoir une indexation de la dotation lorsque l’index pivot sera dépassé en septembre, soit 1.2 million supplémentaires.

La loi de financement des partis a été votée en 1989, il y a une éternité, quelque part entre l’élection de George Bush senior et la chute du mur de Berlin. L’encre du contrat Agusta n’était pas encore sèche. Elle a été modifiée plusieurs fois depuis, toujours à l’avantage des partis. A l’époque, l’objectif louable était de mettre les partis à l’abri d’influences occultes ou financières, mettre fin à une série de scandales (déjà… ) liée à leurs caisses noires tout en mettant de l’ordre et de la transparence dans leurs finances. Il s’agissait également d’éviter de démentielles campagnes à l’américaine financées par des acteurs privés. Réformes nécessaires, mais en échange desquelles on convint que la manne de l’argent public viendrait renflouer miraculeusement les comptes des partis, pour éviter qu’ils ne soient soumis à la tentation.

Éviter une campagne à l’américaine ne nécessitait pourtant rien de plus que de fixer une somme maximale de don par personne physique et morale, et apporter de l’éthique et de la transparence aux finances politiques n’exige rien du plus que du personnel politique honnête. En Belgique (et dans d’autres pays), nous avons apparemment estimé qu’il était plus simple et normal de payer les partis politiques pour assainir leur financement. Pourtant, même dans l’esprit de l’époque, on ne peut franchement pas dire que ce raisonnement brille par sa limpidité. Trouveriez-vous normal que l’état doive payer des millions à des entreprises et ASBLs pour obtenir en échange la transparence de leurs comptes ou la limitation de leurs dépenses publicitaires ? Vous viendrait-il à l’idée d’inonder d’argent les personnes de votre entourage exposées à la criminalité dans le but d’éviter qu’elles ne viennent vous cambrioler ? C’est pourtant ce que nous avons fait, et tout le monde a fermé les yeux en faisant semblant d’y croire.

Pire, on ne peut franchement pas dire aujourd’hui que l’objectif de transparence et de lutte contre la corruption soit une franche réussite. En fait, cette loi est même complètement contre-productive. Depuis quand la manne d’argent facile donne-t-elle le goût de l’effort et de l’honnêteté plutôt que d’encourager à se servir plus encore ? Une fois « shootées » à l’argent public et libéré de la contrainte de devoir sortir l’argent de la poche de ses adhérents (et de devoir se justifier devant eux), n’est-il pas logique que nos édiles n’en aient jamais assez et ne repoussent toujours plus loin les frontières de la décence ?

Un parti politique en Belgique contemporaine se résume à une machine de guerre électorale surprotégée, dotée de pouvoirs politiques exorbitants et incapable de s’autoréformer, perdant chaque jour un peu plus sa pertinence.

Bien loin d’être porteur de pluralisme, ce système a même consacré la puissance des partis en place. Là où un candidat bénéficiant de soutiens particulièrement mobilisés avait auparavant une chance de faire entendre sa voix au-delà de l’appareil, les règles corsetées de la loi l’en empêchent désormais. Depuis 30 ans, le parti omnipotent a toutes les cartes financières en main pour discriminer à volonté les candidats qui lui plaisent ou non, suivant la force de leur allégeance à sa toute-puissance. Puissance pourtant déjà démesurée par son pouvoir de confection des listes et la proportionnelle.

La seule réussite de cette loi somme toute, c’est d’avoir assassiné le pluralisme en rendant les partis indépendants financièrement… de leurs membres, dont les cotisations n’ont cessé de diminuer en importance dans les finances. Les membres… ces empêcheurs de tourner en rond obligeant régulièrement le parti à avoir un avis, et parfois même d’en changer (Horresco Referens) en échange de leur soutien. Ces ignobles citoyens passionnés prêts à se saigner aux quatre veines pour soutenir leurs idées et qui ont l’heur d’exiger de leur parti qu’il en fasse de même. Ces terribles suppôts de la société civile qui maintiennent au sein du parti ce lien si fragile avec la population et qui empêchent son élite de se réfugier trop longtemps dans sa confortable tour de cristal… Bref, les seules personnes (avec les électeurs) dont il importe que les partis soient dépendants !

En plus de cet échec complet des objectifs de la loi de financement, il nous faut bien avouer que les temps ont changé. À l’époque où la bonne utilisation de l’argent public est un sujet d’une importance tellurique, à l’époque où le niveau de confiance dans les partis politiques approche celui du QI de Nabilla, à l’époque où l’entièreté de la population se serre la ceinture, à l’époque où les partis en crise d’identité dorment sur une montagne de cash et un désert idéologique, ces sommes sont indécentes et n’ont plus lieu d’être. Il est temps de couper le robinet.

S’ils veulent en terminer avec les scandales, les partis doivent se remettre en question et retrouver leur vocation de service de leurs membres, des idées et du citoyen.

On peut le dire, un parti politique en Belgique contemporaine ne se résume à guère plus qu’une machine de guerre électorale surprotégée, dotée de pouvoirs politiques exorbitants et incapable de s’autoréformer, perdant chaque jour un peu plus sa pertinence. Il est temps que cela change. S’ils veulent en terminer avec les scandales, les partis doivent se remettre en question et retrouver leur vocation de service de leurs membres, des idées et du citoyen. Et non pas une espèce de confort politiquement correct de l’élite culturelle déconnectée qu’ils sont devenus. Une très bonne première étape serait d’abroger ce racket pur et simple, mais légal d’argent public. Une excellente seconde salve de mesures serait de supprimer les mécanismes électoraux qui assoient leur puissance, comme l’effet dévolutif de la case de tête, la liste de suppléants et le seuil électoral protectionniste des 5%. Ce sera dur à obtenir certes, mais c’est le prix à payer si nous voulons réformer une démocratie de plus en plus formelle pour remettre la politique à la place qu’elle n’aurait jamais dû quitter : la médiation entre une société toujours plus pluraliste et ses institutions.

L’alternative, c’est d’attendre que l’électeur ne se rappelle à notre bon souvenir, American style ou non. Ce n’est plus qu’une question de temps.

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