Solar Impulse au-dessus d'Abu Dhabi : l'envergure d'un A320 mais le poids d'une grosse voiture. © ED/JL/Solar Impulse/Isopix

Solar Impulse : conquérant de l’inutile ?

Le tour du monde de Solar Impulse 2 bouclé, des détracteurs de tout poil critiquent, voire ridiculisent le projet. Fallait-il tenter cette expérience unique d’avion électrique et solaire à zéro émission ?

A peine terminé son tour du globe entamé en mars 2015, Solar Impulse 2, le projet de Bertrand Piccard et André Borschberg, suscite une déferlante de critiques de la part de ceux qui affirment que l’expérience ne connaîtra jamais de prolongement dans le transport aérien de passagers :  » foutaise « ,  » rêve de gosse de riches  » ou encore  » manipulation médiatique « , ont-ils lancé. Puis sont venus les calculateurs : certes, tout en ayant l’envergure d’un A320, Solar Impulse 2 (Si2) ne pèse que 2 300 kg. Mais l’Airbus peut transporter jusqu’à 850 passagers et avaler, en moins de trois jours et escales de ravitaillement comprises, les 43 000 km parcourus par l’avion solaire. Celui-ci a mis vingt-trois jours pour ne transporter que… son pilote. Il y a ensuite les scientifiques qui ont suivi pas à pas le périple de l’avion solaire et analysé les incidents techniques dont il a été victime. A grand renfort d’arguments techniques et chiffrés, ils affirment que le photovoltaïque ne permettra jamais de fournir une énergie suffisante et fiable en raison d’une triple dépendance : météo, heure de la journée et saison.

André Borschberg, un des deux fondateurs du projet Solar Impulse, avant le premier vol, qui dura un peu plus de 26h.
André Borschberg, un des deux fondateurs du projet Solar Impulse, avant le premier vol, qui dura un peu plus de 26h.© REUTERS

C’est évidemment tout le débat autour de l’innovation qui ressurgit ici. Face aux questions relatives aux moyens déployés pour gagner le pari, les partisans de Solar Impulse pointent du doigt les crédits engloutis dans la recherche nucléaire avant même que les premières centrales n’aient produit le moindre mégawatt… Pour réunir les 170 millions de francs suisses du projet, les initiateurs de Solar Impulse ont fait appel à des partenaires industriels qui dressent aujourd’hui un bilan positif de leur implication : grâce aux recherches réalisées, aux enseignements tirés de l’aventure et aux applications futures, disent-ils, Solar Impulse aura été un pari gagnant.

Des retombées industrielles

Au rayon des technologies de l’énergie et de l’automation, le groupe ABB (qui possède une usine de condensateurs à Charleroi) a, entre autres, participé à l’amélioration du rendement énergétique des cellules photovoltaïques et du système électronique de charge des batteries de l’avion. Chargé du cockpit, l’allemand Bayer a fourni un matériau isolant à haute performance, capital pour des pilotes qui ont connu des écarts de températures allant de -40 degrés Celsius durant la nuit jusqu’à +40 en journée ! Bayer MaterialScience a également créé des matériaux composites susceptibles de multiplier par trois la durée de vie des pales d’éoliennes.

Enfin, le Groupe Solvay a été un partenaire extrêmement présent puisqu’il revendique la mise au point de 13 produits nouveaux entrant dans la composition de quelque 6 000 pièces réparties dans le Si2. Sans entrer dans de fastidieux détails, l’apport du géant de la chimie a notamment été notable au niveau de la protection des cellules photovoltaïques avec un film polymère ultramince, de l’allègement de la structure de l’avion et de ses équipements, de la lubrification des moteurs et même de la mise au point d’un sous-vêtement stimulant la microcirculation sanguine des pilotes et améliorant leur performance musculaire.

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Parlant de  » laboratoire volant  » et  » d’innovation sans limite « , Solvay affirme avoir accédé à de nouveaux marchés prometteurs allant de la protection des panneaux solaires à des aménagements intérieurs comme celui des compartiments à bagages dans les avions, en passant par les batteries d’ordinateurs et de téléphones portables ou des solutions durables en matière de mobilité.

Même le géant suisse de l’alimentation Nestlé a mobilisé ses équipes pour mettre au point un régime alimentaire élaboré spécialement pour les pilotes et dont les résultats seront désormais appliqués à la nutrition… des personnes âgées.

L’exploit du Si2 n’aurait pas été possible sans le travail intensif de deux météorologues belges  » prêtés  » par l’Institut royal météorologique belge (IRM), Luc Trullemans et Wim De Troyer. L’appareil est incapable de recharger ses batteries durant les vols de nuit et, en journée, les nuages peuvent se révéler dangereux en limitant sensiblement l’apport d’énergie solaire. Si on ajoute à cela que l’avion est très sensible aux turbulences en raison de sa fragilité et qu’il a horreur de la pluie, on comprend toute l’importance de la météorologie dans la préparation des vols.

 » Ce qui est absolument unique dans cette aventure, explique Luc Trullemans, qui participe au projet depuis sa genèse, c’est que nous avons développé à cette occasion un système de prévision inégalé jusqu’ici en météorologie. En raison du temps nécessaire pour préparer les opérations, les pilotes demandent en effet à disposer d’un maximum d’éléments cinq jours avant un éventuel décollage. C’est énorme ! Et si l’avion prend les airs, nous devons établir les conditions de vol pour plusieurs jours à venir. Alors que dans l’aviation  » traditionnelle « , les vols les plus longs représentent un maximum de seize à dix-huit heures, nous devons être capables d’aller beaucoup plus loin, de faire des prévisions à cent heures et plus ! C’est notamment ce qui s’est passé pour l’étape la plus longue au cours de laquelle André Borschberg est resté en vol cinq jours et cinq nuits au-dessus du Pacifique.  » En cela aussi, Solar Impulse aura donc imprimé une marque indélébile dans l’art de prévoir le temps.

Aujourd’hui, à l’heure où l’aventure de Solar Impulse prend fin, André Borschberg va se consacrer à la conception de drones solaires capables de voler durant plusieurs semaines dans la stratosphère et de remplacer des satellites plus coûteux. Quant à Bertrand Piccard, il a annoncé la création d’un Comité international des technologies propres, dont l’objectif sera de réunir les petits acteurs du changement pour leur permettre de parler d’une seule voix, de développer la recherche technologique et de conseiller les gouvernements.

Par Francis Groff

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