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Sida : les hétéros ne se sentent pas assez concernés

Le virus tue (beaucoup) moins, mais il contamine davantage. Car les progrès des traitements ont relâché l’intérêt et la prévention. Chez les gays, la contamination est en hausse. Mais le contact hétérosexuel reste la première cause d’infection.

Bonne nouvelle : selon le dernier bilan de l’Onusida, le virus recule. Lentement, mais sûrement. Avec pour conséquence une baisse des décès et des nouvelles infections. Mieux : les traitements antiviraux arrivent, même dans les régions les plus pauvres. En 2009, 5,2 millions de personnes vivant dans ces pays ont eu accès à ces molécules, contre 700 000 seulement il y a cinq ans. Mais les bonnes nouvelles ont des limites. Plus de vingt-cinq ans après le début de l’épidémie, le sida frappe 33,3 millions personnes, cause 1,8 million de morts par an, dont plus de la moitié rien qu’en Afrique, continent le plus touché. Inquiétant : en Europe de l’Est, le virus s’étend gravement.

Ras-le-bol du sida ? Ils sont nombreux à croire que le HIV n’est plus un danger. Ici, en tout cas, il est devenu une maladie de pauvres, et d’abord africaine. « On ne voit plus ces hommes squelettiques, qui ressemblent à des morts vivants, en train de souffrir, les stars n’en meurent plus, du coup, on a l’impression que tout est réglé », constate Thierry Martin, directeur de l’ASBL Prévention sida. Chez nous, on vit déjà dans l’ère post-sida, où le VIH est synonyme d’infection chronique, un peu « lourde », comme le diabète. Maîtrisable grâce aux combinaisons thérapeutiques qui permettent de bloquer la multiplication du virus et de réduire la charge virale jusqu’à la rendre indétectable. Pour autant, on ne guérit pas encore du sida et les séropositifs sont toujours exclus, victimes de brimades comme au premier jour de l’épidémie. Les traitements ne sont pas toujours bien tolérés, et leurs effets secondaires sont aussi nombreux que divers : vertiges, vomissements, diarrhées, insuffisance rénale, neuropathies… Les « vétérans du VIH », eux, doivent soigner en parallèle un vieillissement accéléré, affectant généralement le troisième âge.
Le sida, cet ennemi invisible aujourd’hui avance masqué. Il n’en est que plus dangereux. En Belgique, selon l’ISP (Institut scientifique de santé publique), le chiffre des nouvelles contaminations demeure stable. Depuis 2003, il se situe entre 1 000 et 1 135 nouveaux cas par an : mais c’est 50 % de plus qu’en 1997 ! En d’autres termes, l’épidémie ne baisse pas et se stabilise à un niveau relativement élevé.

Médecins, chercheurs et associations s’inquiètent du relapse, une reprise des conduites à risques. Et pas seulement dans le milieu gay, où les nouveaux cas sont en nette augmentation (46 %). Le relâchement concerne aussi les jeunes : selon une récente étude réalisée par l’ULB, 40 % des garçons et 60 % des filles entre 15 et 22 ans ne se sont pas protégés lors de leur dernier rapport sexuel. Cette proportion augmente s’ils ont plusieurs partenaires. Le relapse touche encore les hétérosexuels trentenaires (marqués par le sceau du sida) et quadragénaires (qui eux ont débuté leur vie sexuelle avec l’apparition de la pandémie). Ils ne se sentent tout simplement pas concernés. « On le voit bien quand on fait de la prévention, témoigne un bénévole. C’est symptomatique : les adultes prennent de la documentation pour leurs enfants, le neveu, la cousine. Pour eux ? Ils savent en théorie qu’il faut se protéger mais ils ne risquent rien, pensent-ils. » C’est à ceux-là que Prévention sida veut s’adresser aujourd’hui. A ceux qui sont sexuellement très actifs : divorcés vivant une seconde adolescence, célibataires aux partenaires multiples, pratiques sexuelles variées, tandis que les couples mariés, eux, se croient à l’abri. Ils ont foi en la fidélité, dans l’union légale… Mais ils sont aussi les plus laxistes.

Ces trentenaires et ces quadras insouciants

Dans la négociation, c’est le terme choisi pour nommer ce moment délicat où des partenaires vont aborder la question du préservatif, les sexes ne sont pas à égalité. Or l’enjeu est de taille. Quelques chiffres prouvent l’inconséquence des hétéros. En 2009, d’après l’ISP, un nouveau diagnostic de VIH sur deux concerne une personne contaminée par contact hétérosexuel. Il s’agit le plus souvent d’une femme. Particulièrement contagieuse, l’infection à chlamydia, sans symptôme apparent, mais pouvant conduire à la stérilité, progresse elle aussi. Elle touche également, surtout les femmes. Toutes les tranches âges sont concernées, mais les 15-24 ans sont les plus affectées. La preuve qu’elles n’utilisent pas le préservatif ?

« Négocier » habilement la capote n’est pas aisé. Surtout quand l’alcool, puissant désinhibant, est au menu de la rencontre. Déléguée de communication, Charlotte a rencontré François au cours d’un cocktail d’entreprise. « J’étais seule depuis plusieurs mois et j’avais besoin d’affection. Ce type était sympa, je l’ai dragué de façon plutôt offensive. Après tous ces efforts, je ne voulais pas renoncer… J’ai capitulé. Sans préservatif. » Sandrine, cadre dans les assurances, estime avoir trouvé la parade. Elle l’appelle « le risque bébé ». « C’est encore ce qui parle le plus aux hommes. » Pas à chaque fois, pourtant. Comme avec ce beau policier. « T’en fais pas, je suis marié, j’ai deux enfants, je ne trompe jamais ma femme. Avec toi, c’est vraiment exceptionnel. » Le moment venu, elle a lancé : « Et moi, je ne prends pas la pilule, donc on ne va pas faire ton troisième. » Le préservatif est toutefois resté dans son emballage.

« On a tous des moments de fragilité. Et notamment après un divorce, explique Catherine Mertens, infirmière dans un planning familial. Beaucoup de femmes de 40 ans n’osent pas exiger de leur partenaire qu’il mette un préservatif. Elles ont peur de paraître trop exigeantes et de diminuer leurs chances de séduction. »
Difficile d’incriminer uniquement les hommes, les femmes sont coresponsables. Sortie d’un mariage, voilà Géraldine, 39 ans, célibataire à nouveau. Elle drague beaucoup, multiplie les conquêtes. Sans jamais utiliser de préservatif. « Je suis un peu gênée de dire ça, mais je veux que mon partenaire reparte totalement satisfait… » Plaire à tout prix. Mais de nombreuses femmes ignorent qu’elles constituent une population à risque (puisque plus vulnérables au virus). « Sans oublier que, après de longues années de vie conjugale, les quadras s’habituent à ne plus utiliser le condom et, quand ils se retrouvent avec un nouveau partenaire, ce comportement perdure », poursuit l’infirmière.
Les hétérosexuels songent rarement à se faire dépister. Les médecins, eux-mêmes, n’y pensent pas, puisqu’ils ne font pas partie des catégories jugées à risque. Embarrassés à l’égard des adultes, ils font parfois subir un test sans en avertir le patient. Qui peut se laisser surprendre par un test positif… Car qu’y a-t-il de plus secret que le comportement sexuel ? interroge le Pr Nathan Clumeck, chef du service des maladies infectieuses à Saint-Pierre (Bruxelles). « Votre fille peut sortir avec un monsieur très bien sous tous rapport, mais qui a un petit ami masculin qu’il rencontre à son insu… »

Soraya Ghali

Les chiffres


En 2009, 1 115 personnes ont été diagnostiquées en Belgique. Soit 3 nouveaux cas chaque jour. Ce chiffre dépasse celui de 1992, lorsque ce virus faisait la Une de l’actualité.

On estime à 11 000 le nombre de personnes sous traitement en Belgique, dont 1 593 ont développé la maladie.

Le contact hétérosexuel reste la première cause d’infection (50 % en 2009), mais la contamination homosexuelle est en hausse : de 23 % en 2002, il grimpe à 46 % en 2009.

Les groupes d’âge les plus représentés sont les 30-34 ans chez les hommes, les 25-29 ans, chez les femmes.

Depuis le début de l’épidémie, 2009 est le pic de la contamination.

Le nombre de dépistages tardifs est en baisse. En 1997, il se chiffrait à 40 %, en 2009, à 24 %. Signe qu’on recourt sans doute plus tôt au test.

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