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Qui a tué Néandertal?

Le Vif

Longtemps considéré comme un être inférieur, le  » premier Européen  » connaît un retour en grâce. Mais le mystère plane toujours sur les raisons de son extinction.

 Neandertal s'est approprié le monde des grottes (Bruniquel, en Dordogne), il y a 175 000 ans.
Neandertal s’est approprié le monde des grottes (Bruniquel, en Dordogne), il y a 175 000 ans. © REUTERS ; F. D’ERRICO/CNRS/AFP ; J. ZILHÃO

Il faut parfois avoir le nez creux pour éviter d’avoir la dent dure. Foi de paléoanthropologue ! Depuis sa découverte en 1856 près de Bonn (Allemagne), l’homme de Neandertal a été accusé de tous les maux. Petit, hirsute, brutal, grosse tête avec front fuyant, mâchoire prognathe et nez large, il a d’abord été comparé à un chimpanzé avant d’être considéré comme un être inférieur. Un vrai délit de sale gueule !  » Aujourd’hui, notre lointain cousin, dont le génome a été décrypté, fait l’objet d’une « réhabilitation » justifiée, mais excessive « , estime Jean-Jacques Hublin, directeur du département de l’évolution humaine de l’Institut Max-Planck, à Leipzig (Allemagne). Au point d’être paré de (presque) toutes les qualités caractérisant Homo sapiens : maîtrise du feu, parole, inventivité, culte des morts, artiste… Reste une inconnue de taille dans ce processus de panthéonisation : comment cet humain, présenté comme le premier Européen, ayant vécu 300 000 ans, a-t-il pu disparaître à l’arrivée de l’homme moderne ?

Qui a tué Néandertal?
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Parmi les théories farfelues avancées ces dernières années, l’une postule que Neandertal n’aurait pas survécu aux… coups de soleil. Vers – 40 000 avant l’ère chrétienne, la Terre connaît un épisode d’inversion de son champ magnétique, qui augmente l’intensité des rayons cosmiques à sa surface. Alors que son copain Sapiens est présenté comme grand, les cheveux sombres et la peau basanée, lui a la tignasse rousse, voire blonde, et l’épiderme clair. Des attributs physiques qui auraient entraîné son extinction.  » Plus sérieusement, sur le plan climatique, cette période correspond à un refroidissement, avec un âge interglaciaire dès – 70 000 ans se traduisant par une baisse des températures et l’extension des calottes glaciaires « , expose Dominique Genty, du laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (CNRS), à Gif-sur-Yvette, au sud-ouest de Paris.

Homo sapiens n’a pas débarqué comme les hordes d’Attila écrasant tout sur leur passage

Pour autant, Neandertal a connu d’autres coups de froid, et des bien plus terribles. Difficile, donc, de croire que celui-ci ait pu lui être fatal. Mais, cumulé à un événement violent, le réveil d’un supervolcan dans la région des champs Phlégréens (à l’ouest de Naples) vers – 36 000 ans, celui-ci a eu un impact important.  » Nous avons exhumé des squelettes postérieurs à cette date, si bien que l’espèce n’a pas pu disparaître à cause de ces deux phénomènes « , tempère Silvana Condemi, paléoanthropologue à l’université d’Aix-Marseille et directrice de recherches au CNRS (auteur, avec François Savatier, de Neandertal, mon frère, Flammarion, 2016). Avant de préciser :  » S’est alors ensuivi un indéniable appauvrissement de la biomasse végétale et animale à un moment où débarque un autre compétiteur : Homo sapiens.  »

 Coquillage peint (- 50 000 ans en Espagne).
Coquillage peint (- 50 000 ans en Espagne). © COLLECTION DAGLI ORTI/MUSEO DI ANTROPOLOGIA ED ETNOGRAFIA TURIN/AURIMAGES/AFP ; STRINGER/AFP ; P. BODU, UMR 7041, CNRS/H. SALOMO

Qu’ont-ils bien dû se dire lors de leur toute première confrontation ?  » Salut, ça va ?  » Se sont-ils évités ? Sont-ils tombés dans les bras l’un de l’autre ? Au moment où notre ancêtre Sapiens quitte l’Afrique en direction de l’Europe autour de 60 000 ans avant Jésus-Christ, il passe par le Proche-Orient. C’est là qu’il tombe nez à nez avec son cousin, avant de tailler la route de l’est (côté Danube et Balkans). Moult théories ont été échafaudées sur ces rencontres qui, comme au Far West, n’auraient pu se terminer que par un duel fatal. Il n’en a rien été. Tout simplement parce qu’Homo sapiens n’a pas débarqué comme les hordes d’Attila écrasant tout sur leur passage.  » Il s’agissait de petits groupes croisant d’autres petits groupes, indique Bruno Maureille, du laboratoire d’anthropologie des populations du passé de l’université de Bordeaux (Qu’est-il arrivé à l’homme de Neandertal ?, Le Pommier, 2008). De son côté, la population néandertalienne ne comptait pas plus de 70 000 individus, répartis sur un grand territoire (l’Eurasie) et organisés par clans isolés. Avec de telles forces en présence, les hypothèses d’épidémie et de génocide ayant conduit à l’anéantissement de Neandertal ne tiennent pas : l’une comme l’autre ne s’entendraient que si les populations avaient vécu de façon regroupée.

Neandertal était en bout de course. Il souffrait de consanguinité

Aujourd’hui, les chercheurs commencent à avoir une vision plus paisible de ce face-à-face.  » Pourquoi aurait-il été forcément belliqueux ? « , interroge Silvana Condemi. Les traces de mélanges entre les deux espèces apparaissent très tôt après leur rencontre. Le squelette de l’homme d’Ust’-Ishim (Sibérie), considéré comme l’un des Sapiens les plus anciens trouvés hors d’Afrique (- 45 000 ans), possède des gènes néandertaliens, ce qui signifie que, avant lui, ses aïeuls se sont mélangés avec leur fameux camarade. Mieux, l’analyse ADN fixe la date d’un accouplement vers… – 60 000 ans !  » Serait-ce vraiment une surprise ? ajoute la chercheuse, non sans humour. Au pire, Neandertal s’est fait piquer ses femmes par Sapiens ; au mieux, madame Neandertal est tombée sous le charme de ces Sapiens plus grands que leurs compagnons, à la peau mate et qui sentaient bon le sable chaud.  »

 Tombe de la Chapelle-aux-Saints (Corrèze).
Tombe de la Chapelle-aux-Saints (Corrèze). © COLLECTION DAGLI ORTI/MUSEO DI ANTROPOLOGIA ED ETNOGRAFIA TURIN/AURIMAGES/AFP ; STRINGER/AFP ; P. BODU, UMR 7041, CNRS/H. SALOMO

Au-delà des attirances réciproques, le mélange fut une aubaine pour les deux espèces. Sapiens débarquait en terre inconnue avec un climat rude. Il a sans doute appris de son cousin. Au fur et à mesure des découvertes, les différences techniques (Moustérien, Aurignacien) qui les séparaient comme des couperets s’estompent tant les preuves d’échanges se multiplient.  » Nous avons, par exemple, exhumé à l’Abri Peyrony et à Pech-de-l’Azé (Dordogne) des outils (lissoirs en os) vieux de 51 000 ans réalisés par l’homme de Neandertal, explique Marie Soressi, professeure assistante à l’université de Leyde (Pays-Bas). Sapiens, à son arrivée sur le continent européen, ne connaissait pas cette technologie et il l’utilisera plus tard. C’est pourquoi nous pensons qu’il a copié Neandertal.  » Le diable se nichant dans les détails, les échanges se faisaient dans les deux sens. Sur le site d’Arcy-sur-Cure (Bourgogne), des dents de renne percées, vraisemblablement portées comme des bijoux, ont été confectionnées par Neandertal avec une technique qui ne lui appartenait pas.  » Il y a des comportements qui n’existaient pas chez lui et qu’il a dû adapter au contact d’Homo sapiens « , expose Jean-Jacques Hublin. Résultat ? Ce processus d’acculturation affaiblit l’hypothèse d’une disparition de Neandertal par infériorité artistique, technique ou sociale.  » Les deux espèces avaient plus de similitudes que de différences, considère Bruno Maureille. Elles ont cohabité plus longtemps et de façon plus complexe que ce que l’on a pu longtemps penser.  »

Peu compatible avec Sapiens

Et pourtant, le premier Européen a été rayé de la carte. Ou plutôt, Sapiens s’est imposé partout sur le continent. A cela une explication purement démographique : Neandertal était en bout de course. Peu nombreux, acculés dans des régions refuges (péninsule Ibérique et sud de la France), victimes d’une mortalité infantile et féminine importante, ses représentants souffraient de consanguinité. Pire, la génétique a montré que lorsqu’il a voulu procréer avec Sapiens, il s’est révélé peu compatible : en exploitant son génome, les chercheurs ont aussi mis en avant qu’aucune de ses molécules ADN ne se trouve sur notre chromosome Y (transmis par l’homme). Autrement dit, lorsqu’un mâle Neandertal s’accouplait avec une femelle Sapiens, une réaction immunitaire se produisait, débouchant sur une fausse couche.  » Ce qui apparaît comme une cause supplémentaire de la chute de la courbe démographique de cette espèce quand la nôtre montait en flèche « , souligne Silvana Condemi. Neandertal était donc condamné.  » C’est la vocation de toute espèce biologique « , philosophe Antoine Balzeau, du Muséum national d’histoire naturelle à Paris (auteur avec Emmanuel Roudier de Qui était Neandertal ?, Belin, 2016). Et si l’extinction du lointain cousin expliquait notre fascination actuelle ? Comme si elle mettait les Sapiens que nous sommes devant l’éventualité de notre propre disparition.

Par Bruno D. Cot.

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