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Navettes Atlantis : « Le jeu en valait la chandelle »

Charles Bolden est, depuis deux ans, le premier patron afro-américain de la Nasa, l’agence spatiale américaine. Né il y a près de soixante-cinq ans dans le sud des Etats-Unis, alors ségrégationniste, ce personnage extraordinaire, ancien major-général des Marines et vétéran de la guerre du Vietnam, aura surmonté chacun des obstacles que la vie aura placés sur son chemin. A l’occasion du dernier vol de la navette Atlantis, ce 8 juillet, il évoque pour Le Vif/L’Express ses années d’astronaute, aux commandes de ces engins extraordinaires destinés à rejoindre dans quelques mois les pages des livres d’histoire.

Le Vif/L’Express : Avec le dernier vol d’Atlantis, c’est le temps des adieux après trente ans de navettes…

Charles Bolden : Oui, c’est un sujet qui me tient vraiment à c£ur. Je connais bien les navettes. J’en ai pratiqué trois et pu mener, grâce à elles, quatre missions spatiales. Columbia, qui a tragiquement disparu, avait pour moi une signification particulière. J’y étais attaché, entre autres, parce que je suis né et j’ai grandi dans la ville de Columbia, en Caroline du Sud ! Accomplir à son bord mon premier vol, en 1986, tenait d’une coïncidence, bien sûr, mais les gens de chez moi y ont vu un signe. C’est avec Atlantis que j’ai effectué mon premier vol en qualité de commandant d’équipage ouvert à des experts de la communauté scientifique. Ceux-ci ont mené, à cette occasion, la première mission d’observation de la Terre réalisée par la Nasa. Pour ce qui est de Discovery, j’ai volé deux fois à son bord. Notamment pour mettre en orbite le télescope Hubble. Mon dernier vol, en 1994, marquait la première mission scientifique commune américano-russe. Ce qui a débouché, à terme, sur le programme de construction de la Station spatiale internationale, l’ISS.

Pour un astronaute, toutes les navettes se ressemblent elles ?

Au fil des ans, il y a eu un certain nombre de modifications, mais, pour ne pas parler technique, je dirais que chaque navette a son caractère propre ! Columbia, par exemple, avait un aspect costaud, un peu fruste, mais c’était un véhicule robuste. Voler ensuite sur Atlantis vous donnait, par comparaison, une impression de grande souplesse : grâce au réaménagement de la structure du véhicule, l’engin était plus léger à man£uvrer.

Vos missions spatiales vous ont-elles changé ?

L’espace a modifié ma perspective de la Terre, oui ! Elle n’est pas fragile. C’est nous qui le sommes. Nous vivons entourés d’un cocon extrêmement fin : l’atmosphère. Depuis l’espace, elle apparaît comme une fine ligne bleutée. Sauf que celle-ci est à certains endroits plutôt grisâtre. C’est là qu’on s’aperçoit que l’homme a un impact.

Après trente ans d’activité, quel est, pour vous, l’apport le plus significatif des navettes ?

En termes d’avancées technologiques, elles sont l’instrument le plus sophistiqué que l’homme ait mis au point. Mais l’ISS arrive tout de suite après ! Américaines de conception, les navettes ont accueilli des équipages de toutes cultures et d’origines diverses, permettant de développer des partenariats inédits – avec les Russes, en particulier, à une époque où nous n’étions pourtant pas les meilleurs amis du monde. Le jeu en valait la chandelle. Cette collaboration, puis l’arrimage d’Atlantis, en juin 1995, avec la station Mir ont permis de déployer le programme de l’ISS avec la participation de 19 pays européens sous la bannière de l’Agence spatiale européenne (ESA). C’est le couronnement du travail accompli par ces navettes.

Désormais, les astronautes américains devront voyager vers l’ISS à bord de Soyouz….

Oui, pour un temps. Mais nous sommes engagés dans d’autres projets d’exploration de l’espace profond et devons assurer la relève. Les orientations fixées par le président Obama visent à faire en sorte que, d’ici à 2025, l’homme explore des astéroïdes lointains. Vers 2030, nous approcherons en principe de Mars. C’est l’objectif assigné. A nous de voir de quels moyens nous disposons pour tenir ces engagements. C’est là qu’interviennent les missions robotiques. Elles nous permettront de recueillir des échantillons, sur Mars ou ailleurs, et de déterminer s’il faut ou non prendre le risque d’envoyer des hommes explorer d’autres planètes.

Lors de vos déplacements, vous vous rendez souvent dans les écoles…

Je veux m’assurer que d’autres prendront le relaisà [son timbre de voix change]. Je ne pourrai pas participer aux divers projets que j’essaie de mettre en place… Donner aux jeunes l’opportunité de parler avec quelqu’un qui est allé dans l’espace, c’est l’occasion de leur dire : « Vous aussi, vous pouvez le faire ! » Surtout s’ils acceptent de se remettre en question – comme je l’ai fait ! Quand j’étais chez les Marines, je n’envisageais pas de postuler pour le corps des astronautes. J’étais prêt à me satisfaire d’être pilote d’essai, pensant que, de toute façon, je ne serais jamais retenu. Et puis, un ami noir, Ron McNair (1), lui aussi issu du Sud ségrégationniste, m’a convaincu de tenter ma chance. Sur 9 000 postulants, j’ai été retenu avec une vingtaine d’autres, et finalement sélectionné en 1980.

Croyez-vous à une vie extraterrestre ?

Je ne l’exclus pas. Selon mes convictions – je suis un chrétien pratiquant -, il existe un Dieu omnipotent. Que celui-ci, créateur de toutes choses, ait choisi une seule et unique planète, parmi des millions dans l’Univers, pour y faire naître la vie me paraît improbable. Quant à « savoir » s’il y a une autre forme de vie et à quoi elle ressemble, je n’en sais rien et je ne crois pas que ce soit important. De toute façon, l’exploration continue…

(1) Astronaute disparu à 35 ans lors de l’explosion en vol de Challenger, en janvier 1986.

PROPOS RECUEILLIS PAR MARC EPSTEIN ET RICHARD DE VENDEUIL

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