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Naît-on monstre ?

Barbara Witkowska Journaliste

Attentats terroristes, exécutions et décapitations atroces… Tous les jours, des individus, que leurs proches décrivent comme  » sympas  » ou « normaux « , basculent brusquement dans l’ultraviolence. Sommes-nous tous des monstres ? Débat de psys.

Le Vif/L’Express : Sommes-nous tous des monstres ?

Ariane Bazan (psychologue clinicienne, psychanalyste, docteure en biologie et chargée de cours à l’ULB.) : Oui, nous sommes tous potentiellement « mauvais ». Le mal fait partie de nous, il est à l’intérieur de nous. Deux arguments penchent en faveur de cette affirmation. Le grand public est voyeur. Il est fasciné par des images violentes et se délecte de sensations sadiques que ce soit dans les jeux vidéo, la téléréalité ou l’actualité. Par ailleurs, l’Histoire nous montre que les tortionnaires prennent souvent du plaisir à torturer l’autre ou à le voir être torturé. En second lieu, ils basculent fréquemment dans la monstruosité brutalement, alors que rien dans leur vie préalable n’aurait pu l’anticiper. Je citerai un exemple : le juge d’instruction Damien Vandermeersch, qui a longuement enquêté sur les auteurs du génocide rwandais, est arrivé à la conclusion que la plupart des personnes impliquées dans les tueries étaient « fort ordinaires, menant une vie banale, entrecoupée par une parenthèse de folie qui les avait soudainement emportées ». Donc, selon moi, le mal est déjà là en chacun de nous : nous sommes tous des monstres en puissance.

Olivier Klein (psychologue social, directeur du Centre de recherche en psychologie sociale et interculturelle) : Non, nous ne sommes pas des monstres. Je voudrais citer l’expérience menée dans les années 1960 à l’université de Yale, aux Etats-Unis, par le psychologue social Stanley Milgram. Il s’agit de l’expérience de psychologie la plus connue et qui a d’ailleurs inspiré le film d’Henri Verneuil I comme Icare, avec Yves Montand. Son but était de reproduire le processus psychologique de ce qu’il croyait être au coeur de l’Holocauste. L’expérience, dépouillée de son contexte nazi, s’est focalisée sur l’obéissance à l’autorité. Pour résumer à gros traits, elle était présentée comme portant sur l’apprentissage et la mémoire et réunissait des « professeurs » et des « élèves ». Les premiers devaient apprendre une série de mots aux seconds. Lorsque l’élève se trompait, il était « puni » en recevant des chocs de différentes intensités, allant de 15 à 450 volts (un choc mortel). Résultat : 26 sujets sur 40 sont allés jusqu’au bout de l’expérience. Bien entendu, personne n’est mort car la machine ne délivrait aucun choc. Ce qui est intéressant, dans cette expérience, c’est le constat que 65 % des gens obéissent jusqu’au bout. Il y avait des variations, certains obéissant plus que d’autres. Par la suite, Milgram a décliné cette expérience en une vingtaine de variantes où le taux d’obéissance s’échelonnait de 0 à près de 100 %. Ce qui prouve que c’est une situation ou un élément extérieur qui déclenchent la monstruosité et ce, de façon graduelle via les « petits pas », un processus de conversion idéologique. La meilleure illustration de cette conversion est fournie par la série Breaking Bad. Des « petits pas » successifs amènent progressivement Walter White, un « brave » professeur de chimie, à diriger un énorme cartel de drogue. Guidé, au début, par la contrainte extérieure, en l’occurrence le besoin d’argent, il va adopter les méthodes du milieu, jusqu’à devenir lui-même machiavélique et à être responsable de la mort de son propre beau-frère. La série raconte l’histoire de cette transformation.

L’intégralité du débat dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec :

– Le sadisme fait-il partie de la condition humaine ?

– La connaissance de ses propres tendances sadiques empêcherait-elle le passage à l’acte ?

– Pourquoi la barbarie est-elle la réponse à une humiliation ?

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