Vue d'artiste montrant un trou noir absorbant la matière d'une étoile. Il est entouré d'un nuage de gaz et expulse de puissants jets de matières. © M. GARLICK/SCIENCE PHOTO LIBRARY/AFP

Les trous noirs vont-ils enfin être photographiés ?

Le Vif

Ils sont un des mystères de la création de l’Univers. Pour mieux comprendre les trous noirs, il suffirait de les photographier. Une véritable épopée scientifique.

Attention, révolution ! La découverte scientifique de l’année viendra du ciel. Sous la forme d’une image. Depuis deux ans, une équipe de scientifiques travaille à tirer le portrait d’un trou noir, objet céleste fascinant, issu de l’effondrement d’une étoile ou d’un nuage de gaz primordial. Un tel cliché constituerait la preuve irréfutable de leur existence, prédit par les lois de la relativité générale énoncées par Albert Einstein, au tout début du xxe siècle. Voilà pour l’enjeu. Reste le Graal à décrocher, une course avec le temps, les distances infinies qui se comptent en millions d’années-lumière et la petite dizaine de radiotélescopes répartis partout sur le globe qui ont réalisé des milliers d’observations… Mais à quoi donc ressemblent les trous noirs ? S’ils ont inspiré pléthore de représentations artistiques et numériques, ils n’ont jamais été observés directement. Et pour cause : leur surface est une frontière immatérielle, poétiquement appelée  » horizon des événements « , au-delà de laquelle la gravité est si puissante que plus rien ne peut s’échapper, pas même la lumière. En d’autres termes, ces objets célestes sont totalement invisibles. Pourtant, il n’est théoriquement pas impossible de les voir. Car ces monstres spatiaux attirent vers eux toutes sortes de matières, dont d’immenses nuages gazeux qui forment des  » disques d’accrétion « . Ces derniers, extrêmement chauds et lumineux, émettent un rayonnement caractéristique qui trahit la position des trous noirs. C’est grâce à ce phénomène qu’un consortium international d’astronomes de l’ambitieux programme de radioastronomie Event Horizon Telescope (EHT) tente de réaliser la première observation directe de ces mystérieux objets. La publication des résultats dans une revue scientifique serait imminente. Contactés par Le Vif/L’Express, les responsables du programme se contentent d’indiquer que  » l’ensemble de l’équipe s’attelle en ce moment même à la rédaction des articles scientifiques « , sous-entendant que l’annonce officielle devrait se dérouler d’ici à quelques semaines.

Le miroir du télescope spatial James-Webb, ici dans la plus grande
Le miroir du télescope spatial James-Webb, ici dans la plus grande  » salle propre  » du centre spatial Goddard de la Nasa, le 4 mai 2016.© NASA/C. GUNN

Frédéric Gueth, astronome et directeur adjoint de l’Institut de radio-astronomie millimétrique (Iram) de Grenoble, au coeur du projet de l’EHT, précise néanmoins le travail accompli :  » Nous avons porté notre étude sur deux trous noirs supermassifs, Sagittarius A* et M87*.  » Le premier se trouve au centre de notre Galaxie, la Voie lactée, à 26 000 années-lumière de la Terre. Sa masse est estimée à 4,14 millions de Soleil, le diamètre de son horizon des événements serait de 25 millions de kilomètres. Le deuxième est un mastodonte tapi au milieu de la Galaxie Messier 87, située à 55 millions d’années-lumière de nous.  » Il est 2 000 fois plus éloigné que Sagittarius A*, mais aussi 1 000 fois plus gros – six milliards de masses solaires et 36 milliards (!) de kilomètres de diamètre -, il offre donc un potentiel d’observation équivalent « , précise l’astronome. Si d’autres trous noirs plus près de la Terre existent – dont un à  » seulement  » 3 500 années-lumière -, ils sont bien trop petits pour être vus. De fait, les scientifiques n’ont pas le choix : seuls les trous noirs supermassifs, ces objets démesurés qui occupent le centre de la plupart des galaxies, sont à la portée de l’EHT. Ce réseau combine les analyses de huit radiotélescopes répartis partout sur le globe, de l’Espagne à l’Antarctique en passant par Hawaï, les Etats-Unis, le Mexique ou encore le Chili. Ensemble, ils simulent un télescope géant de plus de 5 000 kilomètres d’ouverture, soit presque le rayon de la Terre. Les chercheurs ont également dû s’armer de patience. D’abord, ces stations radio-astronomiques sont très demandées par la communauté des astronomes ; ensuite, les conditions météorologiques devaient être optimales – un ciel sans pluie et sans nuages -, et ce simultanément pour l’ensemble des télescopes. Finalement, les premières observations n’ont pas pu démarrer avant avril 2017.  » Puis, nous en avons refait au printemps 2018 et recommencerons cette année à la même époque, prévoit Frédéric Gueth. Nous espérons combiner les données afin d’obtenir une image encore meilleure.  » Secrètement, le chercheur espère même pouvoir constater une évolution du disque d’accrétion des trous noirs.

Le Grand Télescope millimétrique (LMT), participant au programme EHT, est installé au Mexique, à 4 580 mètres d'altitude.
Le Grand Télescope millimétrique (LMT), participant au programme EHT, est installé au Mexique, à 4 580 mètres d’altitude.© A. TORRES CAMPOS

Il a aussi fallu s’assurer que les signaux reçus par chacune des antennes étaient synchronisés au dixième de milliardième de seconde près grâce à des horloges atomiques installées dans chaque observatoire, mais aussi que la position géographique de toutes les stations soit connue, à une fraction de millimètre près, ce qui a nécessité de prendre en compte des paramètres aussi fins que la dérive des continents… Enfin, dernière difficulté du projet : l’analyse et la collecte de l’ensemble des données, parfois dans des conditions rocambolesques. Ainsi, le disque dur provenant du télescope situé en Antarctique n’a pas pu être transporté avant décembre 2017 en raison des conditions extrêmes.  » Il s’agit d’un des rares cas où le transport par disque dur a été plus rapide que par Internet (certains sites ne disposent pas du haut débit) « , s’amuse Frédéric Gueth. Et pour cause, il s’agit de la plus grande masse de données récoltées de l’histoire scientifique.  » Elle se mesure en pétaoctets (millions de gigaoctets), sauvegardés dans des milliers de disques durs, renchérit Jean-Pierre Luminet, astrophysicien spécialiste des trous noirs et directeur de recherche au CNRS. Chacun d’entre eux a été acheminé aux Etats-Unis et en Allemagne.  » Là, des supercalculateurs ont pris plusieurs mois pour traiter indépendamment la montagne de données afin de s’assurer d’un résultat le plus solide possible. Objectif : acquérir, enfin, les premiers pixels des deux monstres.

A g., une simulation des émissions radio autour de Sagittarius A* ; à dr., l'observation avec une longueur d'onde de trois millimètres. Les images prochainement dévoilées seront de l'ordre d'un millimètre de longueur d'onde.
A g., une simulation des émissions radio autour de Sagittarius A* ; à dr., l’observation avec une longueur d’onde de trois millimètres. Les images prochainement dévoilées seront de l’ordre d’un millimètre de longueur d’onde.© S. ISSAOUN, M. MOSCIBRODZKA, RADDOUD UNIVERSITY/ M. D. JOHNSON, CFA

Tous ces efforts pour une double interrogation : à quoi ressembleront ces images et à quoi serviront-elles ? L’objectif consiste à distinguer l’ombre du trou noir se reflétant dans la partie centrale du disque d’accrétion, se détachant elle-même par contraste sur un fond lumineux.  » On parle de photo mais, techniquement, il s’agira d’une image créée à partir des longueurs d’onde radio millimétriques qui, contrairement aux ondes optiques, sont invisibles pour nos yeux « , précise Frédéric Gueth. Dans cette course au Graal de l’astronomie, une première esquisse de Sagittarius A* fut révélée, fin janvier dernier, par l’équipe de l’EHT (en haut, à dr.). Prochainement, les chercheurs vont publier la véritable image, trois fois plus précise.  » Le résultat ressemblera probablement à ce que j’avais calculé il y a quelques dizaines années « , parie Jean-Pierre Luminet, faisant référence à la première simulation numérique de l’apparence  » photographique  » d’un trou noir, réalisé en 1978.

Si le trou noir du film Interstellar de Christopher Nolan (2014) a marqué les esprits, sa représentation est scientifiquement imparfaite.
Si le trou noir du film Interstellar de Christopher Nolan (2014) a marqué les esprits, sa représentation est scientifiquement imparfaite.© 2014 WARNER BROS. ENTERTAINMENT, INC. AND PARAMOUNTPICTURES CORPORATION. ALL RIGHTS RESERVED

 » Ces objets fascinent depuis très longtemps, poursuit l’astrophysicien. Les détections indirectes, comme celles des ondes gravitationnelles, en septembre 2015, ou encore les mesures de l’outil Gravity du Very Large Telescope (VLT, dans le désert d’Atacama, au Chili) ont renforcé la crédibilité de leur existence : obtenir une véritable photo fournira une preuve quasi définitive.  » Mais là n’est pas le plus important. L’intérêt du projet de l’Event Horizon Telescope réside dans l’accumulation d’une quantité incroyable de données qui permettront de mieux comprendre l’environnement des trous noirs : leur disque d’accrétion, leur champ magnétique, mais aussi les mécanismes d’alimentation des jets de matière qu’ils expulsent perpendiculairement. Stephen Hawking, qui était un grand spécialiste des trous noirs, se serait enthousiasmé pour le travail de l’EHT. Avec sa hauteur de vue, il y lirait de nouvelles preuves dans la quête des origines de l’univers, des indices de la naissance et de la mort du temps. Dans son ultime ouvrage (1), il nous enjoignait de garder cette capacité d’émerveillement qui fait l’homme.  » Nous approchons de plus en plus des bonnes réponses, mais nous sommes encore loin de les atteindre « , écrivait-il. Cette première image d’un trou noir nous fera faire un pas de géant.

Par Victor Garcia.

(1) Brèves réponses aux grandes questions (Odile Jacob, 2018).

James-Webb, le remplaçant d’Hubble

Maintes fois retardé, le lancement du télescope spatial James-Webb, développé par les agences américaine, européenne et canadienne, est prévu pour mars 2021. Il sera chargé d’étudier en détail les exoplanètes, mais aussi de remonter dans le temps pour cartographier l’évolution cosmique et examiner les trous noirs supermassifs. Ce mégatélescope mesurera précisément leur masse pour mieux comprendre leurs mécanismes de formation. L’existence de ceux qui possèdent 10 à 50 masses solaires s’explique par la théorie classique, à savoir la croissance dans le temps de  » petits  » trous noirs stellaires (issus de l’effondrement d’une supernova). Mais ceux comme M87* sont bien trop gros pour cette théorie. Leur présence pourrait s’expliquer par un modèle alternatif basé sur l’effondrement de gigantesques nuages de gaz primordiaux ayant créé, alors que l’Univers était encore très jeune, des trous noirs supermassifs. James-Webb pourrait permettre d’y voir plus clair.

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