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Les derniers tabous hommes-femmes

Si les mentalités ont, certes, évolué, dans la vie de tous les jours, l’égalité hommes-femmes est loin d’être une réalité. Au travail, à la maison, au lit, le combat continue. Même si le sexe faible n’est plus toujours du même côté…

La nouvelle a fait sourire jusque chez les féministes. Que l’ex-garde du corps de la chanteuse Britney Spears porte plainte pour harcèlement sexuel contre son ancienne patronne, aux avances trop marquées, voilà qui change de l’ordinaire. L’ordinaire, le voici : cette architecte à la régie foncière de la Ville de Namur, virée par son chef de service sous prétexte qu’elle attend un enfant, caractéristique apparemment incompatible avec la motivation et la méticulosité. Ou ce président d’une association bruxelloise, récemment condamné à un an de prison avec sursis pour s’être montré, des mois durant, très « affectueux » envers ses employées… Le harcèlement et les discriminations à l’embauche, notamment pour cause de maternité – 42 plaintes déposées l’an dernier auprès de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (contre 13 cinq ans plus tôt) -, sont connus. Le refrain sur le plafond de verre, les écarts de salaires, le maigre contingent féminin dans les conseils d’administration ou les emplois de direction de la fonction publique, aussi. Et toujours les mêmes boucs émissaires. Pêle-mêle : les politiques, les responsables économiques et les médias. Tous coupables de véhiculer des clichés d’un autre âge. Dépassé, le sexisme ? Sans doute, à l’heure où les filles commencent à tirer profit de leur réussite scolaire – elles sont majoritaires sur les campus, où elles se distinguent par un taux de réussite plus élevé. Dans certains métiers, elles sont même parfois surreprésentées, par exemple dans les activités d’aide à domicile et de garde d’enfants.

Dépassé le sexisme, mais pas mort. Ni au bureau, où les propos machos, les blagues et les plaisanteries salaces émaillent le quotidien de Michelle, 23 ans, fraîchement recrutée par une société high-tech. Elle a encore en mémoire le rire gras de ses voisins d’ open space lorsqu’elle s’est penchée sous son bureau pour rebrancher son ordinateur. Ni à la maison, où Yolande, la quarantaine, deux enfants, professeure de maths, se plaint de « tout devoir faire ou presque », du corrigé des copies au bain du petit dernier, en attendant le retour, souvent tardif, de son informaticien de mari. Cette fois, l’injustice est ménagère. D’autant plus criante que, elle l’a lu, 59 % des mâles belges estiment, la main sur le coeur, partager davantage les tâches domestiques avec leurs compagnes.

Le pater familias n’a pas rendu les armes

« Beaucoup d’hommes sont encore engoncés, plus ou moins consciemment, dans un rôle de pater familias, analyse Natacha Henry, auteure de l’essai Les Mecs lourds ou le paternalisme lubrique (Gender Company édition). Comme, par ailleurs, nombre de femmes qui travaillent se sentent en position d’infériorité dans l’entreprise et font de leur foyer une citadelle où elles s’enferment parce que cet espace constitue leur lieu de pouvoir. Ce qui peut engendrer conflits et incompréhensions dans les couples. » Au point de renforcer chez leurs partenaires certaines idées reçues ? 51 % des hommes estiment que rester à la maison est plus facile pour les femmes. Au fond, celles-ci sont peut-être leurs pires ennemies ? Beaucoup s’autocensurent dans leur ambition professionnelle. D’après Randstad Belgique(1), ce frein intérieur serait une des causes du faible nombre de managers féminins au sein de la société d’intérim. « En cas de vacances de postes de cadre, beaucoup de femmes s’abstenaient de postuler », déclare Benoît Van Grieken, diversity manager Wallonie-Bruxelles. L’entreprise a mené des actions internes comme ouvrir le temps partiel aux cadres ou supprimer les réunions de management après 17 h 30. Résultat : de 40 %, la proportion de cadres féminins est passée à 66 %. « Cela veut dire qu’aujourd’hui les sélections management sont basées sur le critère de « gestion des compétences » et non plus sur une quelconque indisponibilité temporelle. »

Les femmes bread winners – qui gagnent bien leur vie -, comme disent les Américains, les pères divorcés, un peu plus nombreux aujourd’hui qu’hier à profiter de la garde alternée des enfants, feront-ils évoluer la situation ? Peut-être l’infléchissent-ils déjà, mais à la marge. Les femmes, qui jouent les équilibristes entre vie professionnelle et vie privée, consacrent, en moyenne, 70 % de temps en plus que les hommes aux tâches domestiques – tandis que ceux-ci passent 30 % de temps en plus que les femmes au travail. « Il faut davantage soutenir les pères en leur permettant d’avoir une vie familiale reconnue par le monde du travail et donner aux femmes la possibilité de lâcher prise chez elles. C’est ainsi qu’on aboutira à une meilleure égalité des droits entre les sexes », affirme la Ligue des familles. Qui plaide pour un droit individuel à la parentalité et un « compte épargne-temps » flexible selon les besoins. Une étape qui passe par un changement de mentalité. Ce que les experts appellent la « déconstruction des stéréotypes sexués ». En d’autres termes, une remise en question des identités sexuelles qui assignent, selon qu’ils soient vêtus de rose ou de bleu, les baby-chou à la dînette ou au Meccano. « Des schémas transmis depuis la nuit des temps, qu’hommes et femmes reproduisent à leur insu avec leurs enfants », observe sur son blog le psychiatre et thérapeute familial Serge Hefez. Ces stéréotypes qui perdurent à l’école, où filles et garçons, « conditionnés », n’investissent pas les mêmes filières. Autant de champs à explorer. Comme d’ultimes tabous.
(1) Le personnel féminin représente 80 % de l’emploi.

RICHARD DE VENDEUIL ET SORAYA GHALI

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