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Le système des soins de santé au scanner

En collaboration avec Le Vif/L’Express et Knack, Itinera Institute lance un concept innovant : le baromètre des soins de santé. Son diagnostic : le secteur souffre d’un problème de communication et n’est pas encore sur la voie de la guérison. Analyses et propositions de traitement.

Qu’on se rassure, les médecins ne veulent pas en finir avec le système de santé. C’est la première bonne nouvelle de l’enquête d’Itinera. Parmi les 443 médecins et prestataires de soins interrogés, une large majorité estime que notre système de santé est plutôt satisfaisant. Ils lui donnent une cote globale de 78/100. Une bonne note qui récompense d’abord la qualité des hôpitaux (7,5/10). Les médecins estiment aussi que la couverture est conforme aux besoins des patients (7,5/10), et que l’accès à tous les services requis ne laisse personne sur le bord du chemin (7,3/10).

Mais tout n’est pas rose. Les points faibles se trouvent avant tout du coté des politiques en matière de santé, tant régionales (6,2/10) que fédérales (5,9/10, la plus basse sur les dix aspects soumis à la notation). Un score qui s’explique facilement, selon François Daue, consultant à Itinera et coauteur de l’enquête avec Isabelle Martin : « Les politiques ne doivent pas forcément mettre en oeuvre de nouvelles actions, mais ils doivent améliorer la communication avec les praticiens. Il y a un vrai manque d’implication des acteurs de terrain dans les décisions prises, tant au niveau régional que fédéral. » Interrogée à ce sujet, la ministre fédérale de la Santé Laurette Onkelinx (PS) s’insurge : « Cette analyse ne correspond pas au dialogue constant que nous avons avec les médecins ! Pour chaque décision, qu’il s’agisse du budget ou des réformes, nous avons des négociations préalables avec les organisations mutualistes et les représentants des médecins. On se tient informés de leurs désirs à travers la lecture de la presse spécialisée. Et, selon une enquête de la Commission européenne parue en 2010, les citoyens les plus satisfaits de leur système de santé sont les Belges : à 93 % ! » Mais alors, pourquoi les médecins ont-ils encore le sentiment d’être mis de côté ?

Blues des généralistes

Peut-être parce que dans leur travail quotidien, ils se sentent isolés et ne parviennent pas à collaborer avec tous les acteurs. Ce manque de coordination s’explique en partie par la nature même du système de soins, selon François Daue : « Il fonctionne de manière totalement verticale. Chaque entité est financée séparément, et travaille séparément. Il n’y a pas de coordination entre elles d’un point de vue institutionnel et légal, car personne n’est payé pour le faire ! Du coup, les soignants font parfois ce travail, mais au niveau individuel. Le législateur devrait désigner une personne pour la coordination, éventuellement le médecin généraliste, avec des compensations financières. »

Aujourd’hui, les généralistes tiennent ce rôle essentiel de pivot, sans que cette fonction soit forcément reconnue, comme l’explique Lieven Annemans, auteur d’un rapport de l’Institut Itinera sur le futur des soins de santé : « Ils sont déconsidérés. Ils devraient avoir une place centrale, celle de médecin accompagnateur, qui connaît toute l’histoire du patient et peut le recommander à tel ou tel spécialiste. Or certains malades ne s’appuient pas du tout sur eux : ils consultent jusqu’à sept spécialistes pour avoir plusieurs avis sur un même symptôme ! Une aberration, d’autant que ces médecins ne connaissent pas forcément le parcours du patient quand ils le prennent en charge. » Un constat partagé par Laurette Onkelinx, qui précise que des efforts ont déjà été réalisés : « Nous avons créé les trajets de soins, explique-t-elle, qui permettent de fédérer le travail des généralistes et des spécialistes dans le traitement de certaines maladies, comme le diabète ou l’insuffisance rénale. » Soit. Mais il reste encore du chemin à parcourir, car 46 % des médecins interrogés par Itinera se sentent trop peu informés à ce sujet.

De manière générale, les praticiens se disent trop peu informés sur plusieurs sujets cruciaux : plus d’un sur deux connaît mal les principes de remboursement de la sécurité sociale, et 41 % souhaiteraient plus de détails sur les traitements alternatifs. Pour François Daue, il existe un véritable problème dans l’apprentissage des professionnels de santé : « Leur formation est toujours centrée sur l’art de guérir, alors qu’on leur demande de mettre en oeuvre beaucoup d’autres choses : économie, prévention, coordination, réflexion de fond sur la gestion de la pathologie… Certains sortent de l’université sans même savoir ce qu’est la sécurité sociale, quels sont ses enjeux. Alors que, sur le terrain, on se rend compte que les médecins sont très demandeurs de ces informations ! »

Payer la qualité

Et même en faisant de gros efforts sur ces soucis de coordination et sur la formation des praticiens, reste la question centrale : la rémunération des soins de santé. 97 % des médecins interrogés estiment que la mesure prioritaire pour le futur est la maîtrise des dépenses publiques. Pour Itinera, le système est malade. « Aujourd’hui, lorsqu’un médecin ou un hôpital s’engage dans la voie de la qualité, il n’est pas rémunéré comme il le devrait, explique Lieven Annemans. Lorsqu’une personne se fait hospitaliser et qu’au troisième jour elle contracte une infection nosocomiale, l’hôpital gagne davantage d’argent que si elle était guérie car il la garde plus longtemps. Autre exemple : plus un médecin fait de prestations, plus il est payé, et plus son hôpital est rémunéré. Les établissements poussent donc leurs médecins à multiplier les actes, même s’ils sont inutiles. Il faut absolument installer des critères de qualité. »

Une loi appliquée depuis 2009 va dans ce sens. C’est ce que l’on appelle le « système des montants de référence ». Dorénavant, quand un hôpital dépense plus que la moyenne nationale pour soigner une maladie courante, il est pénalisé. « Mais attention, prévient Laurette Onkelinx. On ne peut pas travailler dans ce sens à l’infini, on risque de réduire l’accessibilité au système de soins pour les plus démunis. Dans certains hôpitaux, il y a forcément des patients dont l’état général nécessite plus de soins. En les pénalisant, on risquerait de créer des établissements de riches et d’autres de pauvres. »

A trop vouloir normaliser les dépenses de santé, les hôpitaux pourraient ainsi trier les patients pour répondre aux critères.
Mais alors, comment récompenser la qualité ? Pour Itinera, le paiement des praticiens devrait intégrer l’effort fourni intellectuellement et la responsabilité médicale. François Daue propose de s’inspirer de la « captation », appliquée au Canada : « On donne aux médecins une base fixe pour qu’ils réalisent certaines pratiques qu’on exige d’eux mais qui ne sont pas incluses dans l’acte (prévention, coordination, utilisation de l’informatique…). Mais une partie de leur rémunération serait toujours proportionnelle à leur activité. »

Gouffre financier

Il faut donc trouver un moyen de valoriser la qualité des soins, sans créer de système de santé à deux vitesses. D’autant que les défis financiers sont nombreux : progrès techniques coûteux, vieillissement de la population, maladies chroniques (comme les pathologies cardio-vasculaires ou le diabète) et exigences des patients forment un cocktail explosif qui menace la pérennité de la santé. Une meilleure prévention permettrait d’y répondre. Pourtant, les auteurs des rapports d’Itinera dénoncent l’insuffisance des moyens qui lui sont consacrés. « Pour 100 euros dépensés dans les soins de santé, un seul euro est investi dans la prévention. C’est trois fois moins qu’en France », souligne Lieven Annemans. La ministre de la Santé est bien consciente de ces lacunes. « Nous avons travaillé à un module de prévention qui sera lancé en avril prochain. Toutes les personnes de plus de 45 ans auront le droit d’aller tous les trois ans chez leur médecin pour faire un bilan de santé. » Vingt-deux millions d’euros seront débloqués pour ce programme.

Culte du secret

Les médecins interrogés par Itinera confirment la nécessité d’accentuer les efforts de prévention, et de mieux informer le citoyen en général. 72 % d’entre eux considèrent que les citoyens sont insuffisamment sensibilisés en ce qui concerne les soins de santé. De leur côté, les patients les questionnent très souvent sur les thèmes suivants : l’hôpital le plus adapté à leur pathologie (63 % des médecins affirment qu’on leur pose toujours ou très souvent cette question), la qualité des soins fournie par un hôpital ou par un autre prestataire (50 %), le meilleur comportement à adopter pour la prévention (40 %).

Les questions portant sur les pratiques et les performances des établissements de santé traduisent un manque de transparence. « Nous avons cette culture de l’absence de communication dans le domaine de la santé, analyse François Daue. Il y a par exemple très peu d’informations sur les maladies nosocomiales (qui tuent 3000 personnes chaque année !). C’est différent chez nos voisins : en France, il y a une politique volontariste de diffusion des informations à ce sujet, avec une liste publiée chaque année dans l’hebdomadaire L’Express. » Sur le principe, améliorer la communication et pousser les hôpitaux à offrir des soins de meilleure qualité est louable. Seulement, comparer les établissements et les pousser à la concurrence peut aussi avoir un effet néfaste. Car la santé reste un des secteurs où la gravité des inégalités sociales transparaît le plus. Pénaliser les hôpitaux revient parfois à discriminer ceux qui soignent les plus fragiles.

CHLOÉ ANDRIES ET FRANCELINE BERETTI

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