© iStock

Le macaque a-t-il de l’esprit?

Le Vif

Un macaque est-il capable de se mettre à la place d’un autre macaque? Des expériences menées dans un centre de primatologie près de Strasbourg, dans l’est de la France, et inscrites dans une vaste étude comparant les facultés de bébés humains et de primates, interrogent la frontière entre humanité et animalité.

Imaginez deux macaques de Tonkean, Wallace et Yannick, le premier dominant, le second dominé, face à face, derrière une trappe en plexiglas. Devant eux ont été placées deux rondelles de bananes, l’une visible par les deux singes, l’autre seulement par le dominé. Yannick va-t-il réussir à adopter la perspective visuelle de Wallace et comprendre qu’il ne court par de risque en allant chercher la deuxième rondelle, puisque le dominant ne la voit pas?

Au centre de primatologie de Niederhausbergen, deux chercheuses en éthologie actionnent les trappes pour faire entrer les singes et scrutent leur comportement.

Ces recherches tendent à déterminer si les macaques disposent de certaines facultés de la « théorie de l’esprit », définie à la fin des années 1970 comme la capacité à attribuer des états mentaux à un autre individu, à se mettre à sa place.

La théorie de l’esprit est-elle le propre de l’homme ou des espèces animales en possèdent-elles certains traits? Les chercheurs sont divisés sur le sujet.

Des travaux ont d’abord montré que les grands singes (chimpanzés, bonobos…) disposaient de capacités pouvant être interprétées comme des signes de présence de la théorie de l’esprit, mais depuis une dizaine d’années, des scientifiques les recherchent également chez des animaux un peu plus éloignés de l’homme sur l’échelle de l’évolution, comme de plus petits singes.

« On cherche à retracer quand sont apparues les capacités cognitives au cours de l’évolution », s’enthousiasme Charlotte Canteloup, qui termine une thèse sur ce thème à Niederhausbergen.

« Il y a beaucoup de chances que les animaux n’arrivent pas à se dire +il pense cela parce que+ mais qu’ils aient quand même des facultés liées à la théorie de l’esprit », explique Hélène Meunier, chercheuse au centre.

« On a longtemps considéré les espèces non-humaines presque comme des machines avec des comportements conditionnés par des réflexes, mais de plus en plus, on se rend compte qu’elles sont capables de comportements sociaux très complexes », ajoute-t-elle.

Ecrans tactiles

Une autre étude menée dans ce centre montre que ces macaques prennent en compte certains indices traduisant l’état d’attention d’un humain: quand l’humain leur tourne le dos ou la tête, ils renoncent souvent à essayer de communiquer avec lui. En revanche, ils ne parviennent pas à faire la différence entre un humain aux yeux ouverts et aux yeux fermés.

Dans leur vaste enclos boisé, les macaques ont également à disposition des écrans tactiles, qu’ils vont consulter quand bon leur semble. Sur l’un d’eux seront diffusés d’ici quelques mois de courts dessins animés mettant en scène des personnages aux comportements opposés, qui ont déjà été montrés à des bébés humains au Babylab de l’université d’Aix-Marseille (sud).

Selon des résultats préliminaires de cette étude, les bébés regardaient plus longuement « quand les gentils agissaient que quand les méchants agissaient », explique Catherine Wallez, chercheuse en psychologie au Babylab.

« On ne sait pas vraiment si les enfants préfèrent les bons ou les mauvais personnages, mais ils perçoivent dès six mois une différence de comportement », résume-t-elle, alors que les chercheurs ont longtemps considéré que les enfants acquéraient la théorie de l’esprit vers 4 ans.

La comparaison entre les données des bébés et celles des macaques pourrait permettre de progresser dans la compréhension des mécanismes, encore très mystérieux, de développement de la théorie de l’esprit.

Un champ de recherche d’autant plus intéressant pour l’homme qu’absence de maîtrise de la théorie de l’esprit et autisme vont de pair.

« Nos recherches permettront peut-être d’améliorer les conditions des animaux de laboratoire », souligne également Charlotte Canteloup, car « plus on connaît leur complexité sociale, mieux on peut répondre à leurs besoins ».

Le centre de Niederhausbergen fait justement l’objet de critiques d’associations de défense des animaux, car les recherches comportementales sont financées par des activités commerciales: le centre élève et héberge en quarantaine des singes destinés à l’expérimentation médicale.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire