François Taddei. © UCLouvain

François Taddei : « on doit bâtir une société de la reconnaissance »

Vincent Genot
Vincent Genot Rédacteur en chef adjoint Newsroom

Polytechnicien, docteur en génétique et auteur de l’ouvrage Apprendre au XXIe siècle (Calmann-Lévy), François Taddei vient d’être fait docteur Honoris causa de l’UCLouvain. L’occasion de s’entretenir avec ce chantre de l’apprentissage en coopération pour qui partager nos connaissances est la meilleure façon d’apprendre.

Dans son ouvrage Apprendre au XXIe siècle (Calmann-Lévy), François Taddei nous exhorte à modifier radicalement notre système d’éducation et d’apprentissage. C’est sur cette base qu’il a remis, en 2013, un rapport au gouvernement français « pour co-construire une société apprenante ». Il est également le fondateur du Centre de Recherches Interdisciplinaires (CRI), rattaché à l’université Paris 5, qui expérimente et partage de nouvelles façons d’apprendre, d’enseigner, conduire des recherches et de mobiliser l’intelligence collective.

Pourquoi faut-il changer notre façon d’apprendre ?

On est aujourd’hui confronté aux limites du développement économique et géopolitique de nos sociétés. On a besoin de réinventer quelque chose. Or, le système éducatif classique transmet les solutions d’hier en partant de l’hypothèse qu’elles vont encore fonctionner demain. Mais les projections d’organisations scientifiques comme le GIEC nous indiquent qu’il faut trouver de nouveaux chemins. Or, ce n’est pas avec des solutions d’hier que l’on va trouver ces nouvelles voies. Il faut donc remettre le questionnement au centre du jeu et partager nos connaissances. De nombreuses personnes dans le monde ont des débuts de solution. Si on dispose de plateformes où l’on documente et où l’on partage ses débuts de solutions, si on est capable de se mettre en relation avec des gens qui ont des solutions complémentaires, alors on va pouvoir construire ensemble demain, plutôt que simplement répéter hier.

Comment l’enseignement peut-il participer à ce changement ?

Les enseignants ont besoin d’être accompagnés pour penser les évolutions de leur métier. Actuellement, la formation continue n’est pas à la hauteur dans l’enseignement. Il n’y a pas suffisamment d’ancrage avec la recherche. Si la santé s’améliore chaque année, si l’espérance de vie augmente, c’est fondamentalement parce que l’on fait de la recherche et que les résultats de cette recherche sont utilisés pour former les médecins tout au long de leur carrière. Ce n’est pas le cas pour les enseignants. Leur capacité de profiter de l’intelligence collective (pour savoir, par exemple, ce qui marche ou ne marche pas dans une classe), ne fonctionne pas de manière optimale, car les choses ne sont pas assez documentées. En médecine, c’est une obligation de partager des observations, de participer à des projets de recherche. Il n’y a rien d’équivalent dans le domaine scolaire. Les enseignants doivent devenir des chercheurs. Ils peuvent observer un certain nombre de comportements, les documenter, les partager et s’inspirer des résultats de leurs collègues. C’est ce que font les pays qui s’en sortent le mieux aujourd’hui en matière d’enseignement, notamment les pays asiatiques. Ca commence à arriver en Europe.

On apprend aussi en dehors de l’école.

Jeune ou un moins jeune, on apprend tout le temps, mais on n’est pas invité à documenter et à partager ses apprentissages. Or, on doit pouvoir bénéficier des apprentissages des autres pour trouver les plus courts chemins entre ce que l’on sait déjà à ce que l’on ne sait pas. En France, le gouvernement a créé un compte personnel de formation. Chaque employé dispose de 500 euros en moyenne par an pour se former et se réinventer. Individuellement et collectivement, on est en train de se donner les moyens d’être une société apprenante. On apprend les uns des autres, on apprend des autres sociétés, et on apprend à mobiliser cette intelligence collective. Tout n’est pas parfait, mais les choses commencent à bouger. Comme le disait ma mère quand j’étais plus jeune, je cherche juste à démontrer le mouvement en avançant.

On est plutôt une société de l’avoir et du pouvoir, pas vraiment une société du partage

Pour des raisons historiques, on n’a pas forcément la culture du partage. On doit donc apprendre à bâtir une culture de la reconnaissance. On parle beaucoup de la société de la connaissance, mais on devrait aussi parler de la société de la reconnaissance. Une société qui reconnait le fait que vous avez documenté et diffusé ce que vous connaissez. Pourquoi est-ce que les scientifiques publient ce qu’ils font ? C’est parce que leur carrière dépend des publications et de leur partage. Le scientifique n’est pas plus coopérateur qu’un autre, il a simplement des incitations plus fortes au partage. C’est la même chose pour les codeurs informatiques. Une société qui veut engager un codeur ne va pas regarder son diplôme.

La seule manière d’échapper à la manipulation, c’est l’esprit critique et d’éducation

Elle va regarder le code qu’il a publié et documenté. Il faut créer des incitations au partage. Il faut repenser les formes de reconnaissance qui ne sont pas seulement des reconnaissances financières ou matérielles. Il ne faut pas oublier que nous sommes des êtres sociaux qui recherchons la reconnaissance.

Vous parlez d’Intelligence collective. On peut aussi évoquer la bêtise collective. Sur le plan de la démocratie, les technologies de l’information semblent avoir aidé la deuxième à prendre le pas sur la première.

Hitler a très bien su utiliser la radio, et un certain nombre de sophistes utilisaient très bien le discours oral. Toute technologie de communications est potentiellement une technologie de manipulation. La seule manière d’échapper à cette manipulation, c’est l’esprit critique et d’éducation.

Il faut inventer de nouveau processus d’esprit critique collectif. Dans un système de plus en plus connecté, la recherche sur les virus informationnels, comme les fakenews, est primordiale. Même si l’on sait que les virus ont toujours une longueur d’avance, on se doit de faire des recherches pour développer de nouvelles formes d’immunités. Il y aura toujours des tentatives de manipulation. Il faut donc être capable, collectivement, d’apprendre suffisamment vite pour éviter de se faire manipuler. Que Cambridge analytica existe est une chose. Mais que l’on ne soit pas capable de mettre en place des mesures qui évitent que le scandale Cambridge analytica ne se reproduise, ça c’est une faute. Pour ne plus arriver à cette situation, il faut décloisonner les disciplines, car les problématiques soulevées par ce genre de scandale touchent à des questions d’éducation, de démocratie, de technologies… On a besoin de recherches interdisciplinaires qui nous aident à comprendre comment on passe de l’émotion collective, de la bêtise collective à de l’intelligence collective. Les universités doivent faire de la recherche sur leur rôle dans la société à ces sujets. Elles ne sont pas simplement des tours d’ivoire qui certifient les savoirs d’hier, ou qui produisent quelques connaissances disciplinaires.

Concrètement ?

Quand une innovation arrive sur la planète, idéalement, il faut que l’on crée les infrastructures et les évènements pour célébrer, documenter et partager ce que l’on a appris de façon à ce que les innovations les plus pertinentes soient connues par un plus grand nombre. Pour ce faire, on a besoin des artistes, car les changements culturels sont catalysés par le monde culturel.

Vous êtes un éternel optimiste ?

On n’a juste pas le choix. Je suis optimiste et volontarisme par éthique, parce que si on baisse les bras on n’y arrivera pas. Ce qui compte, c’est de contribuer à améliorer les choses, indépendamment de la pente que prennent la société, l’école ou l’université.

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