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Crew Dragon : les clés d’une réussite historique

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Arrimage de Crew Dragon à l’ISS réussi : SpaceX devient la première firme privée capable d’envoyer des hommes dans l’espace et met fin à neuf ans de dépendance américaine envers la Russie pour les vols habités.

Une nouvelle ère de l’histoire de l’accès à l’espace s’est ouverte ce 31 mai : après dix-neuf heures de course poursuite en orbite, la capsule américaine habitée Crew Dragon, lancée par une fusée Falcon 9, s’est amarrée avec succès à la Station spatiale internationale (ISS) vers 16h20 heure de Bruxelles. Constructeur du lanceur et de la capsule, l’entreprise privée SpaceX, ressuscite ainsi les vols spatiaux habités américains, interrompus en 2011 avec le retrait des navettes spatiales, jugées trop chères et trop dangereuses. Crew Dragon, où tout est contrôlé par des écrans tactiles, est une version ultra-moderne des capsules Apollo. Deux astronautes chevronnés y ont pris place : Bob Behnken, 49 ans, et Doug Hurley, 53 ans. Le premier a volé à bord de la navette spatiale Endeavour en 2008 et 2010, et Hurley a piloté Endeavour en 2009 et Atlantis en 2011 (c’était le dernier vol d’un Space Shuttle). Pandémie de Covid-19 oblige, le duo a été placé en quarantaine ce mois-ci pour ne pas risquer de contaminer les occupants de l’ISS.

La fusée Falcon 9.
La fusée Falcon 9.© Reuters

La mission Demo-2 prolongée

Deux Russes et un Américain, Chris Cassidy, séjournent actuellement dans la station, en orbite à 400 kilomètres d’altitude. Les trois autres occupants sont rentrés sur Terre à la mi-avril. A l’origine, la mission « Demo-2 » du Crew Dragon devait être de courte durée, mais la Nasa a décidé de la prolonger pour que Behnken et Hurley puissent assister Cassidy, leur collègue astronaute de la Nasa, dans l’entretien de la station et la conduite d’expériences de recherche. Le vaisseau resterait en orbite au minimum environ un mois, selon la Nasa, mais pas plus de cent-dix jours, car les panneaux solaires du Crew Dragon se dégradent rapidement dans un environnement spatial. Puis viendra le désorbitage de la capsule et son amerrissage dans l’océan Atlantique, ralenti par des parachutes, formule reprise des missions Apollo. Ce deuxième vol de démonstration de Crew Dragon, après celui réalisé en mars 2019 – un vol non habité, si ce n’est la présence d’un mannequin baptisé Ripley, en souvenir de l’héroïne des films Alien – vise à qualifier le système de transport que la Nasa compte utiliser pour la rotation des équipages de l’ISS. La capsule de la prochaine mission, Crew-1, est en voie d’achèvement et transportera quatre astronautes vers la station pour un séjour de longue durée.

Avoir un accès indépendant à l’espace

La mission Demo-2 revêt une double dimension historique. D’abord, elle permet aux Etats-Unis de retrouver une capacité d’accès autonome à l’espace. Depuis la mise à la retraite de leur dernière navette spatiale, en juillet 2011, les Américains dépendent des Russes pour transporter leurs astronautes jusqu’à l’ISS. Ces neuf dernières années, seule la Russie a assuré des vols habités, avec leur vaisseau Soyouz, une « boîte à sardines » peu confortable et de conception ancienne. Les astronautes américains, européens et autres ont dû apprendre le russe avant de pouvoir y prendre place. Profitant de leur monopole, les Russes ont fait monter la facture : le prix d’un aller-retour dans un Soyouz est passé de 21 millions de dollars en 2006 à 80 millions aujourd’hui. La Nasa a ainsi déboursé plus de 4 milliards de dollars en quatorze ans. Aux yeux des autorités américaines et du Space Center de Houston, cette situation de dépendance ne pouvait plus durer, tant pour des raisons financières que géopolitiques.

Le secteur privé… financé par le public

Si le succès de la mission actuelle a une forte valeur symbolique, c’est aussi parce que c’est le premier vol habité réalisé par une entreprise privée, SpaceX. La firme fondée en 2002 par Elon Musk, le milliardaire originaire d’Afrique du Sud, s’était déjà distinguée en mettant au point un lanceur capable de réutiliser plusieurs fois son étage principal. Certes, la succes story de SpaceX doit beaucoup au soutien financier du gouvernement américain, à travers la Nasa et le ministère de la Défense. Pour réduire les coûts, la Nasa a confié à deux sous-traitants privés le transport de ses astronautes dans l’espace : SpaceX, concepteur du Crew Dragon, et Boeing, qui développe sa propre capsule, le CST-100 Starliner. Depuis la présidence de Barack Obama, SpaceX a reçu pour 3,1 milliards de dollars de contrats et Boeing pour 4,9 milliards.

Le « zéro risque » a un coût énorme

Les deux programmes accusent toutefois du retard sur le calendrier : leurs capsules devaient initialement prendre le relais des navettes spatiales en 2015, pour que les Etats-Unis aient à nouveau un accès indépendant à l’espace. Neil Armstrong, le premier homme sur la Lune, jugeait déjà, en 2010, ce délai « humiliant et inacceptable ». « Les retards de SpaceX et de Boeing tiennent au fait que ces entreprises privées, qui ont bénéficié de juteux contrats, n’ont pas été coachées, managées et surveillées par la Nasa, qui leur a dit de se débrouiller en respectant les guidelines du cahier des charges, explique un ingénieur aérospatial européen. De plus, on veut aujourd’hui avoir l’assurance d’un risque minime pour les astronautes. Le lanceurs, la capsule et le reste doivent être sûrs à 99 %, alors que les chances de réussite des missions Apollo étaient de 50 % environ. Cette exigence de sécurité et de fiabilité conduit à multiplier les tests, à prévoir des systèmes redondants, d’où des retards et une explosion des coûts. »

Bob Behnken (G) et Doug Hurley.
Bob Behnken (G) et Doug Hurley.© Reuters

Le Starliner doit refaire ses preuves

Le Starliner, surtout, est à la traîne : les dysfonctionnements majeurs de la capsule lors d’un premier vol d’essai inhabité, en décembre 2019, ont conduit à la mise en place d’une commission d’enquête indépendante. Boeing doit apporter 61correctifs aux anomalies identifiées lors du vol vers l’ISS, qui avait été écourté. Parmi elles, une erreur de code informatique aurait pu être fatale au véhicule spatial. La Nasa a pointé la culture d’entreprise de Boeing, n’hésitant pas à faire allusion à l’avion 737 MAX, cloué au sol en attendant sa recertification. La mise en service du Starliner n’est pas attendue avant plusieurs mois, d’autant que Boeing a finalement décidé de faire revoler à vide sa capsule, avant d’y mettre des astronautes.

Une solide expérience avec le ravitailleur

Si SpaceX a aujourd’hui de l’avance sur son concurrent, c’est surtout parce que l’entreprise a accumulé une solide expérience lors de ses opérations de ravitaillement de l’ISS, effectués depuis 2012 avec le cargo spatial inhabité Dragon. Sur 20 missions de ravitaillement, le seul échec remonte à 2015. Volontaires pour le vol expérimental Demo-2, Bob Behnken et Doug Hurley en ont accepté les risques. Si tout se déroule sans accroc, la Nasa pourra donner son feu vert à la première mission régulière opérée par SpaceX, le vol Crew-1, auquel doivent participer deux militaires américains, une physicienne également américaine et un ingénieur japonais.

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Place aux touristes

Toutefois, Crew Dragon ne se contentera pas, ces prochaines années, d’assurer les rotations des équipages de la station spatiale pour le compte de la Nasa. SpaceX a signé des contrats en vue de développer le tourisme spatial. Ainsi, un partenariat a été conclu avec l’entreprise Space Adventures en vue de proposer, sans doute à partir de 2022, un voyage de cinq jours, pour quatre passagers, à bord de la capsule. De même, Axiom Space a été sélectionnée fin janvier par la Nasa pour construire et commercialiser un module qui sera arrimé à l’ISS au second semestre 2024. Il permettra d’accueillir pendant dix jours des scientifiques et des touristes, qui auront payé leur séjour environ 55 millions de dollars, transport et nourriture à bord de l’ISS compris !

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