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Soins palliatifs en temps de pandémie: comment maintenir le cap ?

Le Vif

À l’heure où l’attention médiatique est focalisée sur les victimes du coronavirus, Thérèse De Brouwer, Assistante Sociale à Continuing Care, un service de soins palliatifs à domicile, a décidé de livrer le témoignage du quotidien, de celles et ceux qui ont choisi d’accompagner les personnes en fin de vie.

Quel est votre sentiment vis-à-vis la situation actuelle ?

Les autorités, principalement concentrées sur la lutte contre le virus, semblent faire peu de cas de la façon dont sont accompagnés celles et ceux qui, déjà fragilisés par d’autres pathologies ou tout simplement ‘arrivés en bout de course’, sont d’ores et déjà condamnés. Ces personnes qui ne mourront pas du Covid-19, mais bien de ses conséquences à court et moyen terme.

Quels sont les défis auxquels votre secteur doit faire face ?

En tant que travailleuse sociale au sein d’une équipe de soins palliatifs à domicile, je mesure pleinement les défis quotidiens auxquels cette pandémie nous expose et les limites d’un secteur mis à mal. Que ce soit à domicile ou en maison de repos, mes collègues infirmiers continuent à s’occuper des patients qu’ils accompagnaient avant le confinement, mais acceptent également de nouvelles prises en charge palliatives.

Crise sanitaire ou pas, mes collègues infirmiers ont à coeur de poursuivre leur mission d’offrir à chacun la possibilité de partir dignement, avec un minimum de confort et de sérénité. Cette mission, déjà parfois laborieuse en « temps normal » l’est encore bien davantage en cette période où l’on note une nette réduction des ressources disponibles pour épauler le patient et sa famille. L’absence du personnel et les mesures de confinement privent nos patients de nombreuses aides destinées à pallier leur perte d’autonomie.

Comment s’organisent vos services en cette période de crise ?

Désormais dans l’incapacité d’assurer les aides qu’ils prodiguaient pourtant de façon régulière, certaines institutions avec lesquelles nous travaillons sont obligées de compter sur l’appui des « aidants proches ». Les services qui continuent à être dispensés se réduisent pour la plupart au « strict minimum ». Et ce « strict minimum » dépend de la bonne volonté et des efforts consentis par les uns et les autres. Le soutien aux patients perdure donc grâce à l’inventivité et l’entraide entre professionnels et au dévouement de l’entourage pourtant déjà à bout de souffle. L’État a laissé des trous béants, les professionnels les comblent tant bien que mal.

Parmi les nouveaux patients qu’accompagnent nos infirmiers, certains sont malheureusement infectés par le coronavirus. Malgré les difficultés logistiques et les risques encourus pour leur propre santé et celle de leur famille, mes collègues n’hésitent pas à se rendre auprès d’un patient contaminé si la situation requiert leur intervention.

Avez-vous reçu le matériel nécessaire afin de pouvoir exercer en toute sécurité ?

Si la problématique de la disponibilité des masques et des blouses semble progressivement se résoudre, après un mois d’absence de matériel adapté pour nos infirmiers, il reste encore des lacunes au niveau des équipements mis à disposition des soignants à domicile. À ce jour, mes collègues n’ont pas encore reçu de sur-chaussures ou de charlottes et le matériel de protection arrive au compte-goutte, rendant parfois le lendemain incertain. Or, ces infirmiers dits de « seconde ligne » sont tout autant exposés que le personnel hospitalier ou que ceux que les médias ont baptisés les « premières lignes ». Les choix réalisés par les autorités en termes de prévention interpellent. Une mauvaise protection des soignants entraine une augmentation du risque de propagation du virus. Or, les infirmiers en soins palliatifs se déplacent de domicile en domicile ou d’une maison de repos à l’autre et constituent donc des vecteurs potentiels de contamination.

Le dépistage systématique est une solution, selon vous ?

Je me pose la question de savoir s’il ne serait pas plus opportun de dépister plus systématiquement les soignants extra-muros. Les mesures de confinement prises dans les maisons de repos, et plus particulièrement l’interdiction suivie de la limitation des visites, laissent à penser que le danger viendrait de la famille du résident. Beaucoup de personnes âgées estiment au contraire qu’ils courent plus de risques à côtoyer les soignants que leurs proches, ces derniers évoluant en vase clos depuis quelques semaines, ce qui n’est pas le cas des infirmiers. Ces mesures, qui font de moins en moins sens pour les personnes concernées, s’accompagnent d’une détresse psychique croissante due à l’isolement.

Quelles sont les conséquences de la crise pour les personnes en fin de vie et pour leur famille ?

En cette période de grands bouleversements, la situation des personnes en fin de vie nous frappe par son injustice. Nombreuses sont celles qui meurent ou mourront seules et dans l’indifférence la plus totale. Quant à l’entourage des patients palliatifs, il est à la merci des décisions sanitaires prises par notre gouvernement, décisions visant à ralentir la propagation du virus, mais ignorant l’impact psychologique d’un deuil qui ne peut être fait. De nombreuses familles vivent le départ d’un proche sans avoir pu l’accompagner dans cette épreuve, sans avoir pu lui dire au revoir, sans avoir pu, tout simplement, lui tenir la main.

A cette souffrance, s’ajoute celle de l’impossibilité d’organiser des funérailles dignes de ce nom pour rendre un dernier hommage à l’être aimé, un rite pourtant bien ancré au sein des différentes cultures qui se côtoient en Belgique. Pour couronner le tout, il leur est interdit d’aller trouver un peu de réconfort auprès du reste de leur famille, de leurs amis, collègues… Or, on le sait, quand le collectif est absent, la douleur n’en est que plus exacerbée. S’il est vrai qu’une série de lignes téléphoniques ont été mises en place pour « accompagner » les personnes qui en ont besoin, faire la démarche d’appeler exige un effort particulier pour une personne en souffrance. Il semblerait en plus que les équipes soignantes qui travaillent dans l’urgence aient peu d’information concernant ces nouveaux services, mais surtout pas assez de temps pour assurer des relais entre les personnes endeuillées et ces services.

Quel message souhaitez-vous faire passer à travers votre témoignage ?

Une fois l’état d’urgence passé, on prendra sans doute la mesure des conséquences sociales et psychologiques de cette crise. Si j’ai pris la décision de témoigner, c’est parce que je suis convaincue qu’une série de mesures d’accompagnement et de prévention peuvent être déjà envisagées, ici et maintenant. Certains s’inquiètent également pour les professionnels de la santé et à juste titre ! Leur charge de travail diminuera peu, une fois l’épidémie ralentie, car il faudra rattraper tout ce qui a été délaissé. On appelle désormais en renfort la garde civile et l’armée, mais quels moyens exceptionnels seront déployés pour les soutenir au moment où leurs ressources seront sans doute encore fortement sollicitées ? Comment l’Etat va-t-il colmater les brèches tout en proposant des solutions à long terme pour prendre soin de chacun d’entre nous, jeunes ou vieux, en bonne santé ou pas ?

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