Carte blanche

Remboursement des soins de santé mentale : les sombres coulisses d’une « bonne nouvelle »

Samedi 21 avril, les médias ont annoncé en grande pompe que grâce à Maggie De Block, les séances « de santé mentale » chez les psychologues seraient « enfin remboursées ».

L’article en ligne du journal « Le soir » était titré: « Je vais rembourser les soins de santé mentale ». « Je »?

Comme à son habitude, la communication de la ministre est tronquée et partielle.

Pour ceux qui se réjouissent, quelques rappels et questions fondamentaux semblent nécessaires.

Tout d’abord, les mutuelles remboursent depuis longtemps déjà les séances chez les psychologues inscrits à la Commission des Psychologues, grâce aux assurances complémentaires. Puisqu’elles peuvent décider de leur politique de remboursement complémentaire, certaines remboursaient aussi les séances chez certains psychothérapeutes non-psychologues. En Flandre, une mutuelle remboursait les séances chez des psychothérapeutes (pas nécessairement psychologues) inscrits sur une liste, selon des critères bien précis.

Selon les mutuelles, le remboursement peut aller jusque 16 séances par an, à raison de 20 euros par séance.

Il ne s’agit donc nullement d’un premier système de remboursement, mais bien d’un nouveau système de gestions des soins de santé mentale.

Qu’est-ce qui est réellement nouveau?

Depuis la loi dite « Maggie De Block » (entrée en vigueur le 1er septembre 2016), les mutuelles ne remboursent plus que les séances chez des psychologues (et orthopédagogues cliniciens).

Sa loi a eu pour effet de restreindre le nombre de catégories de professionnels de la santé mentale dont les patients peuvent prétendre au remboursement.

Avec ce nouveau budget annuel public (22,5 millions d’euros), nous parlons de « quelques séances » et de très court terme. La ministre ne dit pas encore à raison combien de séances par patient, ni de quel montant par séance et par an. Elle reconnaît qu’il ne s’agit « que d’un premier pas ».

Pour le budget de l’année suivante, nous ne savons rien de plus. Cette vision à court terme ne convient certainement pas à des soins de qualité, particulièrement dans le domaine de la santé mentale.

De plus, ne seront remboursées que des séances chez des psychologues dits « de première ligne » (donc pas nécessairement formés à la psychothérapie). Sous prétexte de qualité des soins, ce seront des personnes pas nécessairement autant formés que certains psychothérapeutes, psychologues ou pas.

Autre restriction: les remboursement concernent des « traitements de courte durée au sein d’un cadre multidisciplinaire », pour des « troubles psychiques modérés ».

Vous ne savez pas ce que c’est des troubles modérés?

Comment savoir si votre souffrance ou votre problème peuvent être considérés comme « trouble modéré »? Il faudra probablement que vous soyez d’abord diagnostiqué si vous voulez être remboursé. Par qui, de quelle manière, en combien de séances?

Et enfin, peut-être qu’on vous dira: non, ce n’est pas un trouble modéré, pas de remboursement. Tant pis…

Et quid, si vous n’avez pas un « trouble modéré »? Alors vos douleurs, vos blessures, vos peines, vos questions ne relèvent pas du même travail. Ca, « c’est du bien être », nous dit la ministre, pas de la « médecine mentale ». Question inquiétante: que peut bien être la « médecine mentale »? Les termes laissent bien entendre une vision très particulière et pas anodine de l’humain.

Autre hypothèse: vous avez un « trouble psychique complexe » ou « sévère ». Pas de panique, vous aurez alors accès à la deuxième ligne de professionnels, les « nouveaux psychothérapeutes de la loi 2016 ». Remboursés, ou pas? Maggie De Block n’en dit rien, elle n’a pas budgétisé jusque là.

Arrêtons-nous un instant sur la finalité de la mise en place de ce nouveau système. La ministre nous fait savoir que beaucoup de personnes doivent actuellement attendre des années avant d’être prises en charge. Quelles sont ses sources? Quels sont les chiffres, qui lui sont si chers, sur lesquelles elle base cette affirmation?

Le but du nouveau système de remboursement est en fait affirmé de manière claire et sans fard: beaucoup de personnes qui souffrent de troubles modérés pourront être plus vite suivis et donc leur trouble plus vite « soigné » (en quelques séances, souvenez-vous!).

Une fois qu’ils iront à nouveau « bien » (selon l’équation: pas de trouble, pas de maladie, pas de problème), ils seront à nouveau des personnes, saines, normales.

Les personnes saines et normales, ne sont pas en incapacité de travail, puisqu’elles ne sont plus « malades »…

De plus, un dossier en tant que « patient remboursé » doit bien figurer quelque part, pour contrôler les abus, n’est-ce pas? A commencer par la mutuelle, avec votre beau diagnostic à la clé (ce qui n’est pas sans poser des questions liées au secret professionnel).

Ce système est présenté comme efficace et économique pour les patients… Dans un domaine des plus complexes, qui touche à la souffrance humaine. Si nous n’y prenons pas garde, il constitue une porte ouverte au contrôle et enfin à l’exclusion de ces patients qui ne « guériraient » pas, alors qu’ils ont un « trouble modéré » qui devrait être réglé en quelques séances pas chères…

Pour finir en beauté, dans l’article du « Soir », Madame De Block compare les autres pratiques que celle proposée par son modèle de soins psychologiques à des bains d’eau chaude: ils font du bien, mais elle ne va pas utiliser l’argent public pour rembourser ça, tout de même? Curieux que depuis des dizaines d’années, des milliers de professionnels aient perdu tant d’années en spécialisations, en formations, en travail personnel et en supervisions pour apprendre à régler la température de l’eau…

Mais qu’importe, cette vision sombre et inquiétante de ce qui nous attend! Ce ne sont que des suppositions? Alors, réjouissons-nous! Les soins de santé mentale vont être remboursés grâce à notre Ministre de la Santé.

Chiara Stella Aquino Benitez – Psychologue (UCL)

Psychothérapeute à orientation analytique (UCL-Champelle-aux-Champs)

Sophia-Analyste (AIPAE-EBSA et ABSA) Membre co-fondatrice de l’asbl Alter-Psy

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