Toutes les mises en garde ne serviront à rien si vous n'êtes pas prêt(e) à porter également un regard critique sur vous-même. © ISTOCK

Randonnée en montagne: quand la beauté cache le danger

Le Vif

La montagne exerce souvent sur l’homme un pouvoir d’attraction presque magique. Arpenter les sommets avec le monde à ses pieds peut aussi être excellent pour la santé… à condition de garder les idées claires et les pieds bien sur terre, car la nature capricieuse a tôt fait de sanctionner impitoyablement la moindre inattention !

Les Alpes attirent chaque année quelque 40 millions de visiteurs. Les randonnées au fil des refuges et autres escapades à plus de 2000 mètres d’altitude ne cessent en effet de gagner en popularité… et non sans raison, car la marche en haute montagne est excellente pour la santé. Parmi ses nombreux avantages, citons l’air pur, l’altitude en tant que telle, un effort très varié avec son alternance de montées et de descentes et bien évidemment l’inégalable vue sur des paysages propres à apaiser le corps et l’âme. Les effets sont clairement perceptibles, notamment par exemple chez les personnes prédiabétiques, qui voient leurs valeurs sanguines s’améliorer de façon systématique avec l’effort (1). Néanmoins, la haute montagne n’est pas un environnement naturellement accueillant pour les humains et il n’est donc pas inutile de s’arrêter un instant sur les risques.

Le plus dangereux, c’est la descente

D’après Martin Burtscher, chercheur à l’université d’Innsbruck, 4 randonneurs sur 100.000 perdent chaque année la vie dans les montagnes autrichiennes. Un risque tout de même assez conséquent, attribuable principalement aux chutes (45 %) et à des problèmes cardiaques fulgurants dont le patient décède dans l’heure (25%) (2-4). Dans les deux cas, les victimes sont majoritairement des hommes de plus de 35 ans.

Les chutes dans les Alpes autrichiennes surviennent généralement lorsque le randonneur trébuche sur un rocher ou dérape sur des gravats, souligne Martin Faulhaber, collègue de Martin Burtscher. L’âge joue manifestement un rôle, la majorité des victimes étant âgées de plus de 50 ans. Les conditions climatiques ou de randonnée sont pour leur part hors de cause, puisque 90 % des chutes se produisent par beau temps et sur des sentiers balisés. L’alcool, enfin, n’est mis en cause que dans moins de 2 % des accidents.

Les descentes semblent particulièrement dangereuses, puisque 75 % des chutes se produisent dans ce contexte. Il est possible que la fatigue y soit pour quelque chose, car une descente prolongée est souvent dure, en particulier lorsqu’elle impose de plier régulièrement les genoux – un mouvement que nous n’avons généralement pas l’habitude d’effectuer. Attention aussi aux bâtons de randonnée, qui peuvent facilement se coincer entre deux rochers, provoquant des chutes, ainsi qu’au poids du sac à dos, qui peut être responsable de pertes d’équilibre (même s’il n’existe pas à ce sujet de données univoques).

Peu de décès

En Autriche, 6 % des chutes se soldent par un décès, avec une nette prédominance masculine. Bien que ces accidents soient à peu près aussi fréquents dans les deux sexes, on compte en effet parmi les victimes décédées 72 % d’hommes contre seulement 28 % de femmes.

Dans les Alpes françaises aussi, la majorité des opérations de sauvetage concernent des randonneurs, souligne Bastien Soulé de l’Université Claude Bernard à Lyon. En 2012- 2015, les équipes de haute montagne de la gendarmerie nationale se sont déplacées à 99 reprises pour ce type de public, ce qui représente un peu plus de 43 % des 230 opérations de sauvetage réalisées au cours de cette période. À titre de comparaison, elles n’ont dû se déplacer que 41 fois pour des alpinistes (5). Précisons néanmoins que le tableau est très différent lorsqu’on considère le nombre de décès par intervention (voir tableau page 20) : alors qu’à peine 4 % des promeneurs ont perdu la vie, cette proportion était de 35 % pour les interventions en eaux vives et de 49 % pour le base jump. S’écarter des sentiers balisés aussi accroît sensiblement le risque (15 décès sur 100 sauvetages) – un constat encore confirmé par le nombre de décès parmi les personnes ayant dû être secourues au cours d’activités de chasse, de pêche ou de cueillette de champignons (23 décès sur 100 interventions). En France, il faut évidemment aussi compter avec le pouvoir d’attraction tout particulier du Mont Blanc, le plus haut sommet des Alpes… mais aussi manifestement le plus dangereux, puisque c’est là que se produisent 30 % des accidents mortels.

En haute montagne, compter sur la chance, c'est souvent courir à la catastrophe !
En haute montagne, compter sur la chance, c’est souvent courir à la catastrophe !© ISTOCK

Le coeur des hommes

Martin Burtscher observe également un profil de risque très clair parmi les sujets victimes d’un problème cardiaque soudain, qui représentent environ 25 % des décès de randonneurs dans les Alpes autrichiennes (6) : 90 % d’entre eux sont des hommes de plus de 35 ans et 50 % perdent la vie dès le premier jour. Il s’agit généralement de personnes qui souffrent déjà d’un problème cardiaque avant le départ (parfois à leur insu) et dont le mode de vie est peu actif.  » Si vous êtes en surpoids, passablement sédentaire et que vous avez tendance à être rapidement essoufflé à l’effort, vous faites partie du groupe à risque « , souligne le spécialiste. Mieux vaut alors consulter votre médecin pour un examen physique approfondi et un programme d’entraînement préalable qui pourra abaisser considérablement le risque.

Martin Burtscher recommande également de passer la première nuit à l’altitude où sont prévues les activités et de se ménager le premier jour. Enfin, il est utile de rappeler qu’une randonnée en groupe comporte des risques supplémentaires. On est en effet facilement tenté d’essayer de suivre le rythme des autres et d’ignorer les éventuels signes d’alerte. Ceux-ci peuvent néanmoins être imperceptibles, ce qui met encore davantage en exergue l’importance d’une approche préventive.

Bon à savoir

En début de saison, les randonneurs sont encore souvent confrontés à des plaques de neige qui n’ont pas encore eu le temps de fondre après l’hiver. La traversée de ces névés est hautement périlleuse : en cas de perte d’équilibre et de glissade, vous atteindrez rapidement une vitesse proche de la chute libre, même sur une pente qui semblait a priori légère. Si vous n’avez encore jamais négocié ce type d’obstacle ou que vous ne disposez pas de l’équipement nécessaire, ne vous y engagez donc pas ! Le moindre dérapage se solde trop souvent par de graves blessures, voire par une issue fatale. Le mal des montagnes est un autre problème potentiellement dangereux qui peut se manifester dès 1500 mètres d’altitude, même chez des sujets jeunes et en bonne santé (3). On prétend parfois qu’une préparation dans une chambre hypoxique (simulant l’atmosphère raréfiée que l’on trouve en haute altitude) permet à l’organisme de s’adapter à l’avance et donc d’éviter ce phénomène une fois sur place – une mesure certes inoffensive, mais dont l’efficacité est mise en doute (7). S’acclimater sur place à une altitude de 1500 à 2500 mètres pendant quelques jours a en revanche tout son sens. Veillez également à boire suffisamment et à prévoir des jours de repos réguliers dès que vous passez le seuil des 3000 mètres. Si vous avez déjà souffert précédemment du mal des montagnes, il peut également être opportun de vous munir d’un traitement adapté. Prenez conseil auprès de votre médecin.

Une réflexion générale pour conclure. Vous aurez beau être mis(e) en garde contre tous les risques du monde, ces avertissements ne serviront à rien si vous n’êtes pas prêt(e) à porter également un regard critique sur vous-même. En haute montagne, compter sur la chance, c’est souvent courir à la catastrophe !

Les chances de survie ont leurs limites…

Nombre de décès enregistrés pour 100 opérations de sauvetage individuelles (hormis les interventions en stations de ski et les personnes disparues, malades ou indemnes)

– Base jump 47

– Activités en eaux vives (rafting, kayak…) 35

– Chasse, pêche, cueillette de champignons 23

– Escalade sur terrain enneigé 20

– Randonnée hors sentiers balisés 15

– Escalade sur terrain mixte 13

– Ascension de parois rocheuses 10

– Via ferrata 11

– Canyoning 6

– Randonnée sur les sentiers balisés 4

– Escalade sur mur artificiel 2

11 % des victimes décèdent après leur arrivée à l’hôpital, le plus souvent dans les 24 heures ; on ne dénombre cependant que 1,8 % de décès dans l’hélicoptère de secours.

SOURCE: European Journal of Sport Science. 2017; 17: 931-939. DONNées: gendarmerie nationale française, 2012-2015.

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Les petits dangers

Partez vacciné !

Dans nos contrées, les tiques sont surtout tristement célèbres parce qu’elles propagent la maladie de Lyme. C’est également le cas en montagne. Mais dans certaines régions boisées des Alpes, elles sont également susceptibles de transmettre le virus de la méningite à tiques ou méningo-encéphalite verno-estivale (MEVE) (8,9). Jusqu’en 1981, cette inflammation des méninges provoquait jusqu’à 700 hospitalisations par an rien qu’en Autriche, mais les campagnes de vaccination de masse ont aujourd’hui permis de ramener ce chiffre à une cinquantaine. L’Autriche n’en reste pas moins une région à haut risque, comme le rappellent bien à propos les mises en garde explicites des autorités. La maladie est également présente dans le sud de l’Allemagne, en Suisse et en Italie, où elle se limite heureusement à des foyers plus modestes.

Le risque de contamination est relativement faible, de l’ordre de 1/300 morsures par une tique infectée – une précision qui a son importance, sachant que la proportion d’animaux porteurs du virus peut aller de 1 sur 1000 à 1 à 20. Une autre différence capitale avec la maladie de Lyme est que le virus peut se transmettre très rapidement après la morsure, alors qu’il faut souvent 24 heures ou plus pour que la bactérie responsable de la borréliose de Lyme se retrouve dans le sang de l’hôte. Les personnes qui se rendent dans une région à risque et prévoient de passer le plus clair de leur temps dans la nature seraient donc bien inspirées de se faire immuniser, d’autant que le schéma de vaccination complet assure une protection pendant au moins 20 ans.

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La maladie du renard

Provoquée par le ver Echinococcus multilocularis, un parasite courant dans les Alpes qui peut être responsable d’une atteinte fatale du foie, la maladie du renard est heureusement rare chez l’être humain (10). Dans le Land autrichien du Vorarlberg, où près de la moitié des renards sont infectés, on ne dénombre ainsi chaque année qu’une poignée d’infections humaines, voire parfois aucune. (11) Les spécialistes soupçonnent en outre que la contamination fait souvent intervenir les animaux domestiques (chiens) de la victime. Pas de quoi s’inquiéter outre mesure, donc, même si mieux vaut évidemment ne pas trop s’approcher des renards, qu’ils soient vivants ou morts. Le risque de contracter le parasite par le biais de fruits ou herbes sauvages non lavé(e)s semble, lui, nettement plus faible qu’on n’a pu le penser… même si rincer votre récolte avant consommation ne peut évidemment pas faire de tort ! Il n’existe pas de vaccin contre la maladie du renard.

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