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Que faire quand les médecins ne vous prennent pas au sérieux?

Le Vif

Lorsque la journaliste Elisabeth Lucie partage sur les réseaux sociaux qu’elle a l’impression que ses douleurs n’ont pendant des années pas été prises au sérieux par les médecins, elle va recevoir une avalanche de messages de soutiens. De nombreuses personnes se sont reconnues dans son histoire. Est-ce une coïncidence que ce soit toutes des femmes ?

C’était il y a dix ans. Je suis dans un service de gastro-entérologie d’un hôpital de Louvain. Je sors de la salle de consultation avec ma grand-mère. Les gens dans la salle d’attente lèvent les yeux parce que je pleure. Je vois dans leurs yeux qu’ils pensent que j’ai reçu de mauvaises nouvelles, que je suis gravement malade. Sauf que je n’ai pas reçu de mauvaises nouvelles. Je n’ai pas eu de nouvelles du tout. Pour eux je n’avais rien, j’étais en parfaite santé. Pourtant, à ce moment-là, cela fait déjà des années que je cherche une réponse à une question à laquelle on ne veut pas penser quand on est adolescent : pourquoi ai-je mal tous les jours ?

Ça a commencé par une inflammation de l’estomac. Mais quand l’inflammation a disparu, la douleur est restée. Une bactérie a été trouvée. Mais celle-ci ne provoque, en théorie, pas beaucoup de symptômes. Et puis, une fois la bactérie éliminée, les symptômes sont restés. J’ai commencé à prendre un médicament qui a fait disparaître la plupart de mes symptômes. J’ai pris ce médicament tous les matins pendant douze ans. Les jours où j’oubliais de le prendre ou lorsque, par rébellion, je décidais que je pouvais m’en passer, j’avais mal en fin de matinée.

Depuis l’âge de seize ans, tout le monde autour de moi sait que j’ai des problèmes d’estomac. Mes intestins ne savent pas non plus très bien quelle est leur fonction, mais c’est une autre histoire. Dans mon cas, il s’agit de mon oesophage. Il ne fonctionne pas. C’est ce que je dis quand je rencontre quelqu’un de nouveau, quand je refuse un café ou un jus de fruits, ou même un verre d’eau les plus mauvais jours. C’est aussi ce que je dis quand je grimace, la main sur la poitrine : désolé, mon oesophage ne fonctionne pas.

C’est aussi ce que je dis aussi au premier spécialiste que je consulte à l’âge de seize ans. Il examine mon estomac et mon oesophage à l’aide d’une gastroscopie, mais il ne voit rien de spécial (à part les bactéries). Pour lui, le sujet est clos. Je rentre chez moi, et je prends les médicaments qui me permettent de vivre normalement. Peu de temps après, je voudrais savoir pourquoi je ne peux pas vivre sans ce médicament. Si je ne le prends pas durant un seul jour, rapidement je ressens une douleur. Je retourne chez le spécialiste pour entendre à nouveau qu’il n’y a rien. La réponse sera identique chez le deuxième spécialiste, le troisième, le quatrième et le cinquième.

Pendant la moitié de ma vie, j’ai dû éviter ce qui pouvait réveiller la douleur, penser aux médicaments que je devais prendre, à réfléchir à ce que je mangeais avant de marcher/travailler/dormir. Sans savoir pourquoi. Durant tout ce temps, j’essaie ce qu’on me conseille : le sport, les régimes d’élimination et le fait de dormir de biais sur une montagne d’oreillers. Et ce n’est là qu’une sélection de ce qui est proposé.

Je ne sais pas pourquoi on n’a jamais cherché plus loin ou fait passer d’autres examens. On ne voit rien d’anormal, mais ça ne veut pas dire que ma douleur s’arrête. Et mon oesophage ne fonctionne toujours pas. Il y a deux ans, un samedi, j’ai commencé à avoir des douleurs dans le bas-ventre. C’était une douleur qui ne pouvait pas attendre jusqu’au lundi, alors je suis allée aux urgences. J’étais sûre que ma douleur était d’ordre gynécologique. Je l’ai dit quand je me suis inscrit et quand j’ai été examiné. Une échographie de mon abdomen a été réalisée, principalement pour s’assurer qu’il n’y avait pas d’appendicite sur le point d’éclater, ce que j’ai apprécié. Le radiologue était assis à côté de moi quand il a dit qu’il ne voyait rien d’anormal et il m’a dit que je pouvais rentrer chez moi. Là encore, ma douleur n’avait pas d’explication, et donc (selon mes propres conclusions) elle était imaginaire ou du moins exagérée. Mais hélas : deux jours plus tard, la douleur était toujours là et je suis allée voir mon gynécologue. Cette dernière a vu, grâce à une simple échographie, qu’il y avait un kyste sur mon ovaire. Le radiologue n’avait-il pas vu ça deux jours plus tôt ?

Lorsque j’appelle l’hôpital, il s’avère que le radiologue avait vu le kyste, mais que ce dernier avait jugé qu’il n’était pas assez gros que pour provoquer des douleurs. Je ne connais pas le seuil de douleur du radiologue, un homme d’ailleurs, ni sa réaction moyenne à un kyste sur son ovaire, mais cela me semble être une évaluation subjective. Mais, c’est vrai, je ne sais pas comment un radiologue – homme – réagit en moyenne à un kyste sur son ovaire.

Si je dis, alors que je suis parfaitement maître de moi, que ma douleur est de nature gynécologique, on pourrait, au moins, dans le meilleur des cas, demander à mon gynécologue (qui était disponible un étage plus haut) de venir voir. Ou, dans le pire des cas, dire au minimum la vérité. Que j’ai raison et qu’il y a bien quelque chose. Que je fasse tout un barnum à cause d’un « petit kyste » n’a, à la limite, aucune importance. Si l’on m’avait juste dit, « oui madame il y a effectivement un petit kyste », je n’aurais pas eu à rentrer chez moi avec seulement la facture et le sentiment d’être une hypocondriaque au coeur fragile.

Depuis, je me demande pourquoi on ne m’a pas entendu. Je connais mon corps et je sais l’écouter. Alors pourquoi personne ne m’écoute moi ?

Cet épisode m’a aussi fait regarder d’un oeil neuf mon long parcours lié à mon problème d’oesophage. Si je consulte un médecin parce que j’ai une douleur à l’oesophage, pourquoi ma douleur devrait-elle s’éteindre simplement parce qu’on n’a rien vu lors de l’examen ?

De temps en temps, au cours des quinze dernières années, j’ai retrouvé le courage de chercher à nouveau ce qui causait mes douleurs oesophagiennes.

La dernière fois était il y a quelques semaines. Cette fois ce n’était pas le courage, mais la douleur qui m’a obligé à aller voir le (désormais sixième) spécialiste.

En raison de ma grossesse, j’ai dû arrêter le médicament que je prenais au quotidien. Les douleurs à l’estomac et à l’oesophage peuvent s’expliquer pendant la grossesse par le fait qu’il y a un bébé là où votre système digestif devrait normalement se trouver. Par contre, cette explication ne tient plus quand les douleurs persistent des mois après l’accouchement.

Après chaque bouchée que je mange, chaque gorgée que je bois, j’ai mal. Une douleur qui donne l’impression que mon oesophage, et avec lui mon corps tout entier, se contracte. Pour moi, il n’y a aucun doute. Je le sais, cette fois encore, de façon très certaine : mon oesophage ne fonctionne pas.

Je demande sur Instagram si quelqu’un connaît un bon gastro-entérologue à Anvers et prend rendez-vous avec l’un des médecins qui m’ont été recommandés. J’essaie, d’une voix rauque à cause des brûlures d’estomac et peu sûre d’elle à cause déboires passés, de faire comprendre au médecin que je préférerais que l’on continue de chercher jusqu’à ce que l’on trouve une cause à mes plaintes. Des plaintes qui, entre-temps, ne m’empêchaient pas de mener une vie normale, mais qui la rendaient tout de même nettement plus difficile. Quand je lui dis qu’au cours des quinze dernières années, tous les examens que j’ai passés n’ont jamais rien révélé, il me répond : « Cela ne veut pas dire qu’il n’y avait rien, cela veut juste dire qu’ils n’ont rien vu. »

Il teste une nouvelle piste, avec des médicaments et avec un oreiller supplémentaire sous ma tête la nuit. Elle ne fait aucun effet. Normalement, l’histoire devrait s’arrêter là. Mais pas cette fois. Lui pense plus loin. Je dois faire deux tests dont je n’ai jamais entendu parler pendant toutes ces années. Un qui mesure la pression sur l’oesophage et l’autre mesure l’acidité. Les deux tests se font avec une sonde. Pour le dernier test, la sonde doit rester en place pendant 24 heures. Ce n’est pas l’extase, mais tous mes espoirs reposent sur ce tube dans mon nez. Pendant l’examen, je dois manger et boire des choses qui normalement réveillent ma douleur. Durant deux semaines je dois attendre les résultats. Deux semaines pendant lesquelles j’ai peur de ne pas avoir provoqué suffisamment de douleur pendant l’examen de 24 heures. Et s’ils ne trouvent plus rien parce que j’ai mangé et bu les mauvaises choses ? C’est une question laissée sans réponse, parce qu’ils ont trouvé quelque chose.

Je suis content de porter un masque buccal parce que ma lèvre commence à trembler. Je ne sais même pas ce que je ressens. Soulagement, peur, tristesse ou colère, ou une combinaison des quatre. Les tests montrent que le niveau d’acidité de mon oesophage est beaucoup trop élevé. Mais ils montrent surtout que, 9 fois sur 10, mon oesophage ne fait rien avec les aliments et les boissons. L’oesophage ne se contracte pas, il ne fait pas ce qu’un oesophage devrait faire. Il reste immobile et c’est ça qui fait mal.

Si aucune cause ni solution n’a été trouvée (pour l’instant), j’ai enfin la preuve après toutes ces années : il y a bel et bien un problème. Mon oesophage ne fonctionne pas, mais mon instinct bien.

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