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Quand la vie fait des détours imprévus

Carine Stevens Journaliste Bodytalk

Dans la vie, on n’échappe jamais complètement aux rêves brisés, aux désirs insatisfaits, aux inquiétudes qui rongent ou aux petits et grands malheurs. Mieux vaut donc apprendre à les affronter le mieux possible, estime le psychothérapeute Wilfried Van Craen.

« Nous avons tous une image de ce que serait notre vie idéale, généralement assez éloignée de la réalité. Maladie, divorce, amour à sens unique, solitude, dispute avec un enfant, insatisfaction professionnelle, deuil… : la vie ne nous épargne pas toujours.  » Entre la vie rêvée et la vie réelle, il y a presque inévitablement un fossé qui peut être très frustrant et même douloureux… que nous nous efforçons donc désespérément de combler « , commente Wilfried Van Craen, psychothérapeute et sexologue.

 » Au fil des années, je remarquais de plus en plus souvent que les stratégies que les gens développaient pour affronter leurs problèmes n’étaient généralement pas efficaces. C’est d’ailleurs bien pour cela qu’ils venaient me voir, explique-t-il. Certaines avaient même tendance à aggraver les choses.  » Dans son dernier ouvrage,  » Weet je, ik heb het ook niet gemakkelijk  » (littéralement,  » Vous savez, moi non plus je n’ai pas la vie facile « , aux éditions Manteau), il décode certains mécanismes et propose des approches qui peuvent vraiment changer la donne.

Vous tracasser n’arrangera rien

Ruminer est l’exemple-type d’une stratégie dont nous nous rendons tous coupables de temps à autre, mais qui est susceptible d’aggraver la situation.  » En soi, ce n’est pas un mauvais réflexe que de vouloir dresser un tableau clair de ses problèmes pour mieux y réfléchir, souligne Wilfried Van Craen. Mais si vous n’arrêtez pas d’y penser, vous finirez par atteindre un point où cette réflexion n’a plus rien de constructif et où vous allez vous mettre à ruminer sans avancer d’un pouce, tandis que les pensées vous trottent en tête et vous stressent. Vous risquez alors de développer des troubles du sommeil et des plaintes psychosomatiques, d’avoir moins de patience et même de fonctionner moins bien au boulot parce que vous avez la tête ailleurs… avec à la clé encore plus de stress physique et émotionnel, pas parce que les plaintes initiales se sont aggravées mais parce qu’elles ont fait tache d’huile et que vous en avez développé d’autres.  »

Ruminer, se révolter ou mettre sa vie en suspens n’aide pas à avancer. » Wilfried Van Craen, psychothérapeute et sexologue

Une autre réaction contreproductive que nous connaissons tous est la révolte.  » Ces maux de ventre, j’en ai ras-le-bol ! Pourquoi est-ce que ça m’arrive à moi, alors que j’ai toujours mené une vie saine et surveillé mon alimentation ?  » Idem après un divorce, lorsqu’on a du mal à accepter qu’au-delà de l’unité familiale, c’est aussi un rêve qui tombe en morceaux :  » J’ai tant investi dans cette relation, tant sacrifié. Ce n’est pas possible, je n’ai pas mérité cela ! « .  » En Occident, nous ne sommes généralement pas très doués pour affronter les revers de fortune. Nous sommes convaincus que nous avons droit à une certaine équité et à une vie harmonieuse… Mais si vous vous focalisez sur l’idée que ce qui vous arrive est fondamentalement injuste, ce sera d’autant plus dur à supporter, commente Wilfried Van Craen. Moins vous vous révoltez, plus les émotions difficiles s’estomperont vite.  »

Les causes du stress émotionnel résident généralement moins dans la situation elle-même que dans notre monologue intérieur - comprenez, dans les histoires que nous nous racontons, clarifie Wilfried Van Craen.
Les causes du stress émotionnel résident généralement moins dans la situation elle-même que dans notre monologue intérieur – comprenez, dans les histoires que nous nous racontons, clarifie Wilfried Van Craen.© GETTY

Vivre pleinement

Les personnes amenées à affronter une période difficile ont parfois aussi tendance à mettre leur vie en suspens jusqu’à ce que le problème disparaisse de lui-même. Attendre des jours meilleurs est toutefois un troisième réflexe susceptible d’aggraver la situation.  » J’ai trop de soucis au boulot pour l’instant, mais après cette mauvaise passe, je vais recommencer à vivre pleinement  » ou  » Croquer la vie à pleines dents, ce sera pour plus tard – quand mon fils ne sera plus en pleine crise d’adolescence, quand les travaux à la maison seront finis, quand j’aurai trouvé le grand amour, après la retraite « . Bref, vous attendez que tel ou tel problème soit passé, alors que la probabilité est grande qu’un autre lui succède. Non pas parce que le mauvais sort s’acharne sur vous, évidemment, mais parce que c’est la vie !  » À force d’attendre, vous risquez fort de laisser filer vos plus belles années, souligne Wilfried Van Craen. Vous focaliser sur ce que vous n’avez pas va inévitablement vous empêcher de profiter de ce que vous avez. N’attendez donc pas que les choses s’améliorent, mais vivez votre vie maintenant, malgré les contretemps, les aspirations insatisfaites, les rêves brisés et les manques.  »

C’est évidemment plus facile à dire qu’à faire. Comment procéder dans la pratique quand on s’en prend littéralement plein la poire ? Peut-on s’entraîner à accepter les déceptions et les revers ?  » Je dirais plutôt qu’il faut les reconnaître plutôt que les accepter, nuance Wilfried Van Craen. Ce terme a en effet une toute autre connotation : on peut reconnaître que tout n’est pas rose sans forcément en prendre son parti. Vous avez parfaitement le droit d’être triste, contrarié(e) ou frustré(e), mais ne laissez pas ces émotions dominer votre existence.  »

La pluie et le beau temps

La pleine conscience peut représenter à cet égard une aide utile.  » Elle permet, lorsqu’on est pris dans le tourbillon de la vie, d’appuyer un instant sur pause plutôt que de ressasser sans cesse les mêmes pensées. C’est une manière de faire un pas en arrière, d’examiner attentivement la situation et de faire le point sur ses possibilités. Choisir comment on réagit est éminemment plus constructif que de continuer à fonctionner en pilote automatique ou de fermer les yeux sur une réalité douloureuse.  »

La vie, c’est un tout, souligne-t-il encore : tantôt il pleut, tantôt le soleil brille, tantôt on est pris dans la tempête… Ruminer, se révolter ou mettre sa vie en suspens n’aide pas à avancer. Ces stratégies ne servent qu’à alimenter l’impuissance et les frustrations, car la vie est ce qu’elle est, et nos rêves et désirs n’y changeront rien.  » La pleine conscience peut vous apprendre à ne plus fuir une réalité pénible mais à l’affronter le mieux possible. Elle vous aidera à poser un regard plus indulgent sur vous-même, mais aussi sur ce qui vous arrive et que vous ne pouvez pas changer, explique le psychothérapeute. Elle peut vous apprendre à vivre dans le présent, à apprécier chaque instant et à le savourer pleinement… puisqu’au fond, on n’a jamais rien d’autre.  » Il est possible de trouver des applications pour votre gsm, ou des sites sur internet qui proposent des outils pour mettre cette théorie en application – des exercices de méditation tout simples et des astuces pratiques qui vous aideront à vous poser dans le présent et à trouver la paix intérieure.

Quand la vie fait des détours imprévus

C’est dans la tête

Au final, notre qualité de vie ne dépend pas tant des événements ou des coups durs que de la perception que vous en avons. Cette idée est l’un des fondements de la psychologie cognitive : les pensées ne sont pas des faits mais des constructions qui n’existent que dans notre tête et que nous pouvons changer.  » Les causes du stress émotionnel résident généralement moins dans la situation elle-même que dans notre monologue intérieur – comprenez, dans les histoires que nous nous racontons, clarifie Wilfried Van Craen. Si vous vous dites que vous allez bafouiller et vous rendre ridicule lorsque vous devrez prendre la parole au cours d’une réunion, vous allez forcément être stressé(e). Si vous ne cessez de vous répéter que vous ne trouverez jamais le bonheur seul(e), vous allez continuer à chercher désespérément un ou une partenaire. Ce genre de schéma de pensée est particulièrement tenace et trouve généralement son origine dans nos convictions profondes.  »

Pour s’en libérer, il importe avant tout de prendre conscience de ce monologue intérieur. Ce n’est pas du tout évident, car les histoires que nous nous racontons tendent à nous échapper, même si nous en percevons très bien les effets (tension, maux de tête, boule dans le ventre…).  » Prendre conscience de ses propres pensées est une question d’entraînement, assure toutefois Wilfried Van Craen. L’étape suivante est de se demander si elles sont ou non constructives et d’examiner comment changer de perspective. Si vous n’y arrivez pas seul(e), une thérapie pourrait s’avérer utile en mettant au jour votre monologue intérieur pour parvenir à une vision plus claire, plus large et plus réaliste de votre situation. Car la vie est ce que nous en faisons dans notre tête, en particulier dans les moments difficiles.  »

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