© Teresa Sdralevich

Pourquoi est-on si tenté par ce qui est mauvais pour la santé ?

Le Vif

Chacun sait qu’une vie saine passe par une alimentation équilibrée, de l’exercice physique, le bannissement du tabac ou encore par la limitation de la consommation de certaines substances, comme l’alcool. Et chacun sait aussi qu’une vie saine favorise la bonne santé, la longévité, réduit les risques de maladies… Alors pourquoi est-ce qu’on ne s’y met pas tous ?

Quelques scientifiques de l’université de Cambridge dans la revue Science ont étudié la question. Jusqu’il y a peu, la prévention pouvait se résumer à un mélange d’information et de sensibilisation. Des brochures distribuées en grandes quantités et des campagnes médiatiques répétées informaient le public sur les risques évitables auxquels ils exposaient – volontairement ou non – leur santé. On leur y expliquait les bienfaits d’un mode de vie plus sain, sans alcool, mais avec beaucoup de légumes. Les promoteurs de ces campagnes rêvaient de modifier les mentalités avec l’espoir d’en observer des conséquences bénéfiques sur les statistiques de santé… Mais plusieurs études réalisées à grande échelle au cours des dernières années ont montré que cette stratégie n’apportait pas grand-chose : nous savons ce que nous avons à faire, mais pour le passage à l’acte, c’est une autre histoire !

Rien de surprenant, pour les chercheurs, à ce que nous n’agissions pas en fonction de ce que nous savons, car les campagnes de prévention se basent sur une vision du comportement humain qui ne correspond pas à celui qui prévaut actuellement. Bon nombre de nos décisions, par exemple sur le plan alimentaire, sont ainsi bien moins la conséquence d’une réflexion approfondie qu’on ne le croyait auparavant. Elles sont nettement plus souvent la conséquence de processus plus ou moins automatiques, qui font monter en nous des désirs irrésistibles ou qui nous font agir de façon irréfléchie sous l’influence de notre environnement et cela, en grande partie, de manière inconsciente.

Distraire pour faire consommer

Ces processus inconscients prennent souvent le dessus lorsque notre attention est distraite. Une expérience a montré, chez les participants qui devaient retenir une série de nombres, qu’ils choisissaient plus souvent de la tarte au chocolat que de la salade de fruits comme goûter. Le souci d’une alimentation saine passait donc à l’arrière-plan. Ce que nous faisons lorsque nous sommes assis devant la télévision est un autre bon exemple : si une assiette de biscuits ou un sachet de chips est à portée de main, nous en mangeons parfois – sans nous en rendre vraiment compte – jusqu’à ce qu’il n’en reste plus. Et si, à la télévision, une publicité s’affiche pour une boisson ou une friandise que nous avons justement à la maison, il n’est pas rare que nous nous rendions à la cuisine pour la consommer avec, parfois, un sentiment de satisfaction quelque peu surprenant.

Les scientifiques parlent de priming pour un tel phénomène : des objets, des notions ou des observations activent dans notre cerveau certains mécanismes capables de modifier notre comportement. Dans une étude remarquable des années 90, après un priming avec des mots comme « rides » et « gris » qui suggèrent la vieillesse, les participants qui quittaient ensuite le local de l’expérience marchaient plus lentement que d’habitude. C’est sans doute le même phénomène qui est également en cause lorsque, comme des études l’ont montré, des personnes vont prendre une boisson dans leur frigo au moment de la publicité après avoir vu boire l’un ou l’autre acteur dans le film. Ou quand les enfants avalent moitié plus de friandises après des publicités alimentaires qui se sont affichées pendant des dessins animés. Une action à ce niveau, surtout pendant le temps bien trop long que nous passons en moyenne devant la télévision, pourrait s’avérer très efficace.

Jouer sur l’attractivité

Les scientifiques pensent aussi qu’il y a moyen de changer certaines associations d’idées. Placer des aliments peu sains dans des emballages tristes et gris en fait baisser fortement la consommation (il en va de même pour les cigarettes). Et les fabricants d’aliments qui sont vraiment préoccupés par la santé des enfants feraient bien de faire avaler des fruits et des légumes aux personnages de leurs dessins animés plutôt que toutes sortes de sucreries ou sodas.

À côté du flot ininterrompu de stimuli visuels qui passent sur nos écrans, il existe bien entendu de nombreux facteurs environnementaux capables de nous influencer. Ainsi, une étude des années 80 a montré que les gens prenaient plus souvent l’escalier lorsque les portes de l’ascenseur étaient manifestement plus lentes à s’ouvrir et se refermer. Une autre étude a montré que placer des aliments sains, dans la cantine, juste à portée de main tout en repoussant de quelques dizaines de centimètres les aliments peu recommandables, a plus d’effet sur le choix qu’une dizaine de folders.

À la maison aussi, il y a moyen de changer les réflexes. Ainsi, éviter d’acheter des « crasses » qui sont consommées habituellement devant la télévision. Ou, en tout cas, de ne pas les conserver au salon, mais au plus profond d’une armoire de la cuisine, ou mieux encore sur l’étagère à provisions du garage. Les autorités devraient appliquer le même principe et modifier les infrastructures de manière à favoriser les aliments sains, et à limiter ou compliquer la vente d’aliments mauvais pour la santé. Il faut aussi, bien entendu, proposer des aliments sains dans les distributeurs automatiques. Les aliments à haute teneur calorique sont souvent placés dans les lieux de passage de nombreuses entreprises, écoles, stations-service et autres espaces semi-publics, à l’inverse des fruits, des légumes et des céréales qui sont bien peu visibles.

L’échec de la culpabilisation

Un avantage supplémentaire d’une telle action structurelle est qu’elle pourrait agir sur les grandes inégalités de santé entre les différents niveaux éducatifs : l’information santé qui nous est délivrée par les médias et les autorités n’est que du chinois pour un nombre certain de personnes. Quoi qu’il en soit, les directeurs d’écoles, les dirigeants d’entreprises ou les ministres qui souhaitent véritablement s’atteler à la tâche devront le faire d’une manière ferme et décidée. Les nouvelles règles édictées au sujet des repas scolaires aux États-Unis et la taille maximale des gobelets de boisson à New York a ainsi secoué l’opinion publique. Rendre l’alimentation saine plus attirante devrait être plus rapidement efficace que la réprimande ou la culpabilisation des personnes qui tiennent à leurs mauvaises habitudes.

Tim Vernimmen

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