Carte blanche

Pesticide : « Une femme enceinte ne devrait jamais ouvrir la fenêtre quand le tracteur passe »

Suite à l’article du Vif.be « Pesticides : pas de zone tampon pour les riverains en Belgique« , Étienne Bolly, médecin généraliste, a tenu à apporter sa contribution au débat.

Deux études récentes, l’étude Expopesten et le projet Propulppp, ont mis en évidence l’exposition de la population wallonne aux pesticides. Il n’existe en Belgique aucune loi qui protège les riverains de l’exposition aux pesticides. Les bonnes recommandations agricoles proposent de ne pas pulvériser à moins d’un mètre des habitations. Il est néanmoins question d’étendre cette obligation à dix mètres.

Par ailleurs, une loi récente oblige les agriculteurs à utiliser des buses antidérive qui réduisent, du moins sur le sol, l’exposition aux pesticides. Ces mesures étant actées, respectées, une femme enceinte peut-elle ouvrir largement ses fenêtres pendant que le fermier voisin pulvérise à plus de dix mètres son champ de pommes de terre ?

L’étude Expopesten donne des résultats parfois inattendus. Ainsi, Charleroi fait partie des cinq localités où la moyenne annuelle de concentration dans l’air en pesticides a été la plus élevée. D’autres résultats sont inquiétants : certains métabolites des pesticides ont été retrouvés dans 100 % des échantillons d’urine prélevés chez des enfants.

Le projet Propulppp a, par exemple, mis en évidence l’omniprésence des pesticides dans les bâtiments scolaires. Dans une classe, 39 substances différentes ont été détectées. Il a aussi permis de montrer que parfois aucun produit toxique n’est mesurable dans les deux heures qui suivent la pulvérisation, mais qu’un pic apparaît dans l’air 24 heures plus tard.

Nous connaissons mieux le lien entre l’exposition aux pesticides et certaines pathologies (cancers, maladies neurologiques et endocriniennes, certains troubles de la reproduction et du développement). Les femmes enceintes et les enfants en bas âge constituent un groupe à risque particulier. Par ailleurs ce n’est pas parce qu’un produit est présent à une dose infime qu’il est sans danger. Le mélange de plusieurs substances dans l’organisme peut déclencher un effet cocktail, deux substances inactives isolément peuvent se révéler toxiques ensemble.

Les fermiers ont été les premières victimes de ces produits toxiques. Pris dans une logique de production intensive de rendement et d’endettements, ils ont fait confiance aux seules informations existantes, celles provenant des industriels. Souvent les documents qui concernent les pesticides restent la propriété des firmes qui les ont produits et ne sont donc pas dans le domaine public. Il est donc difficile de leur donner une validation scientifique. Un gros souci. Les études de l’impact des pulvérisations sur la santé des agriculteurs restent lacunaires. Celles qui concernent la santé des riverains sont quasi inexistantes.

Nos agriculteurs nous nourrissent et souhaitent nous offrir une alimentation de qualité. Ils en sont aussi les garants face à des produits importés dont nous mesurons moins la sécurité. Notre intérêt est commun. Intensifions le dialogue entre agriculteurs et riverains. Il est regrettable qu’à l’heure actuelle certains fermiers préfèrent ne pas utiliser leurs équipements de protection pour ne pas effrayer le voisinage sensibilisé à la qualité de l’environnement. De tout temps la chimie a été utilisée dans l’agriculture et il ne s’agit pas de recréer de nouvelles famines. Le passage à une agriculture différente est un défi énorme et fascinant. Et nous en sommes tous acteurs et responsables.

À l’Europe (c’est nous qui choisissons nos députés) on peut imaginer un peu moins de légèreté dans l’homologation des produits et dans la prise en compte de leurs métabolites, une répartition différente des subsides agricoles favorisant les exploitations à dimension humaine ou même une certaine globalisation des budgets agriculture et santé (moins de toxiques, moins de coûts santé).

À d’autres niveaux de pouvoir, il est possible de favoriser l’accessibilité des produits sains aux plus démunis qui sont aussi les plus exposés aux substances toxiques.

Le consommateur peut aussi modifier ses habitudes, ce qui influencerait l’industrie alimentaire. À titre d’exemple : la pomme de terre « Bintje » est cultivée malgré sa très grande susceptibilité au mildiou, car elle est la plus appréciée des producteurs de frites pour ses qualités à la cuisson. Mais ce choix impose de réaliser des traitements fongicides préventifs et systématiques durant la saison culturale pour garantir un rendement suffisant. Problème belgo-belge majeur, la diminution des pesticides pourrait changer le goût de la frite !

J’en reviens à l’utilité de la création d’une zone tampon élargie. Elle est sans doute favorable à la santé des riverains, donc très importante dans l’immédiat. En même temps, la création d’une telle zone a un impact difficilement mesurable et ne doit pas nous donner une fausse bonne conscience. Elle va dans le bon sens, mais le chemin vers une agriculture respectueuse de l’environnement et de la santé de tous est encore long.

À la première question que je me posais, une femme enceinte peut-elle ouvrir ses fenêtres quand passe le tracteur, je répondrais, avec ce que l’on sait à l’heure actuelle, plutôt non, même avec une zone tampon. Par contre, elle doit les ouvrir régulièrement, de nombreux autres perturbateurs endocriniens sont dans sa maison.

Étienne Bolly, Médecin généraliste à Fernelmont

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