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Nous devenons de plus en plus pudibonds

De plus en plus de jeunes refusent de se dévêtir entièrement pour prendre une douche après le sport, certaines femmes n’osent plus bronzer topless et les employeurs exigent que leurs employés s’habillent décemment. On assiste à la montée d’une nouvelle forme de pudibonderie.

Pourquoi le nu est-il de nouveau inadmissible ?

Ses tops sont trop moulants et ses jupes sont trop courtes. C’est ce que le nouveau directeur a fait savoir par e-mail à Leen. Âgée de 38 ans, cette employée travaille dans la filiale d’une grande banque dans un village de Flandre-Occidentale. Jamais encore, elle n’a été critiquée. Mais à présent son supérieur exige qu’elle s’habille « de façon plus correcte et décente » pour ne pas déconcerter les clients masculins. Leen est morte de honte.

Il n’y a pas que les directeurs de banque qui ont du mal avec les vêtements peu couvrants de leur personnel. De plus en plus d’entreprises réprimandent leurs employés qui affectionnent la minijupe, le décolleté, le short ou le débardeur. Et particulièrement s’ils sont en contact avec des invités ou des clients.

Bien que les incitations à s’habiller plus décemment s’adressent généralement tant aux employés masculins que féminins, en pratique ce sont surtout les femmes qui doivent s’adapter. « On essaie aussi d’imposer des normes au niveau de l’apparence et de la nudité aux hommes, mais beaucoup moins qu’aux femmes », explique le professeur Chia Longman de l’Université de Gand. « On attend surtout une apparence neutre de la part des femmes. D’une part, on leur interdit de se couvrir, avec un voile par exemple, et d’autre part, on exige qu’elles se couvrent davantage. »

C’est également le cas dans les écoles, où les filles sont de plus en plus souvent réprimandées au sujet de leurs jupes courtes ou de leurs blouses échancrées. Jusqu’à il y a quelques années, il suffisait généralement que les jeunes filles portent une jupe qui couvre leur culotte et évitent les décolletés trop profonds, mais aujourd’hui certaines écoles interdisent les t-shirts trop courts et les débardeurs.

Danger de contagion

Parfois, ce sont les élèves, ou leurs parents, qui font preuve de pudibonderie. De plus en plus souvent, des jeunes refusent de se doucher nus après le cours de gym ou de natation. Dans beaucoup de clubs de sports, les adolescents se lavent en culotte ou en maillot. « Ce genre de comportement peut être contagieux », explique Erika Frans de Sensoa, le centre d’expertise flamand pour la santé sexuelle. « Si quelques enfants de douchent en sous-vêtements, les autres se sentiront visés. À la longue, de plus en plus d’enfants décident de garder leur slip, jusqu’à ce que cela devienne une habitude. »

Même à la plage, les gens sont plus pudibonds qu’autrefois. Pratiquement personne ne bronze encore seins nus, de moins en moins de parents laissent leurs enfants se balader sans maillot et de plus en plus de communes chassent les gens légèrement vêtus de leurs digues et de leurs rues commerçantes.

Parfois, on appelle la police. Récemment encore, un agent de quartier a été contacté par un jeune couple récemment installé dans la commune. Le matin, leur voisin, un jeune quadragénaire, ouvrait parfois les tentures sans peignoirs. Si à ce moment-là, ils se trouvaient par hasard au fond de leur jardin, ils pouvaient le voir devant sa fenêtre. Nu. Ils trouvaient ça inconvenant. L’été dernier, la gérante d’une brasserie était choquée parce que les ouvriers qui travaillaient en face enlevaient leur t-shirt en été. Elle estimait que c’était très désagréable pour les clients.

Nu digital

Il y a deux ans, Laura (22 ans) est partie en vacances en Croatie avec deux amies. Tous les jours, elle passait quelques heures à bronzer sur une plage isolée. D’abord avec ses amies, et après quelques jours avec un Irlandais rencontré sur place. Ce dernier a pris une série de photos d’elle en train de dormir dans le soleil couchant. Comme souvenir. Rentrée chez elle, Laura a découvert à sa stupéfaction qu’il les avait postées sur son blog de voyage.

La crainte de se compromettre sur des photos publiées en ligne est peut-être la raison principale pour laquelle autant de personnes essaient de se vêtir et de se comporter décemment. Ils sont terrifiés que quelqu’un les prenne en photo sous la douche, dans le sauna, ou en train de bronzer topless, ce qui n’est pas tiré par les cheveux, car on publie parfois des images compromettantes de personnes ordinaires. Parfois par négligence, mais souvent pour se venger ou pour mettre quelqu’un sous pression. L’ancienne bourgmestre d’Alost Ilse Uyttersprot ne sait que trop bien qu’il est très difficile de supprimer ces images. Il y a cinq ans, quelqu’un l’a filmé à son insu en pleins ébats amoureux avec son copain de l’époque. Aujourd’hui, la vidéo est toujours en ligne.

Pourtant, la montée d’internet n’est pas la seule explication de cette pudibonderie. Nos positions sur la nudité sont sujettes à un mouvement de balancier. « Les périodes pendant lesquelles la nudité et la sexualité sont très présentes alternent toujours avec des périodes où elles sont plus cachées, comme maintenant », explique le sexologue Wim Slabbinck. Ce n’est donc pas un hasard si les vingt-trente ans d’aujourd’hui sont généralement les enfants de baby-boomers, la première vraie génération sexe, drogue et rock ‘n-roll. « Les moeurs souvent libres de cette génération de baby-boom ne durent pas, explique Herman Konings. « Dans les années quatre-vingt, ils ont été confrontés au sida et à d’autres dangers liés à la sexualité et cela a eu un impact important sur la façon dont ils élèvent leurs enfants, d’où probablement qu’ils sont beaucoup plus pudibonds que leurs parents à l’époque. »

La propension à préserver les enfants contre tout ce qui renvoie de près ou de loin au sexe n’a véritablement commencé qu’à l’époque de l’affaire Dutroux, au milieu des années nonante. Depuis, pas un mois ne se passe sans qu’on lise qu’un maître-nageur, un moniteur ou un coach sportif a eu la main baladeuse. La conséquence, c’est que des fillettes de six ans sont obligées de porter un haut de bikini, que les pères osent à peine prendre un bain avec leurs enfants et que même les manuels d’éducation sexuelle utilisés à l’école sont devenus beaucoup plus chastes. Récemment, la Fédération belge royale de natation a décidé d’interdire les équipes de water-polo mixtes pour les adolescents afin d’exclure les attouchements indésirables. « C’est ainsi qu’on laisse entendre aux enfants que la nudité est problématique », déclare Erika Frans de Sensoa. Pour cette raison, ils se sentent mal à l’aise quand ils sont dénudés ou quand des personnes autour d’eux le sont, et ils ont tendance à se couvrir. »

Musulmans fortunés

Le monde du commerce n’est pas en reste non plus. Depuis peu, le Playboy américain ne publie plus de photos de nus, Pirelli ne montre que du « nu artistique » dans son calendrier légendaire et le nouveau CEO d’ American Apparel a annoncé que les mannequins seraient plus couverts dans les campagnes publicitaires. « Si les entreprises montrent moins de nus, c’est en premier lieu par considération stratégique », déclare Herman Konings. « Pour commencer, les musulmans en Occident constituent un marché de plus en plus intéressant parce qu’ils deviennent de plus en plus à l’aise financièrement. Les entreprises ne veulent donc pas les offenser. » La montée de la globalisation joue également un rôle : les entreprises qui veulent s’installer sur des marchés en expansion économique tels que l’Indonésie, l’Inde et des parties du Moyen-Orient, doivent tenir compte des normes de décence locales. Du moins s’ils veulent vendre leurs vêtements, cosmétiques ou sacs à dos aux hindous, aux musulmans ou aux catholiques rigoureux aux États-Unis.

Hypocrisie

Comme nous nous couvrons même sous la douche ou sur la plage, on voit moins de corps nus. Du moins dans la vraie vie. Sur internet, on peut voit autant de personnes nues qu’on souhaite. « Nous vivons une situation très hypocrite », déclare Wim Slabbinck. « Enfermés chez nous, nous n’avons pas honte de regarder du porno. Mais dès qu’on sort, on est pudibond et on condamne toute nudité et sexualité. C’est très déroutant. Pas seulement pour les enfants et les jeunes, mais aussi pour les personnes issues d’autres cultures. »

« On va trop loin », estime Wim Slabbinck. « Il n’est jamais bon de trop réprimer ses pensées sexuelles. L’époque victorienne nous a appris que le désir ne fait que grandir quand on bannit la nudité de la vue publique. Pourquoi les hommes aiment-ils tant les seins ? Parce qu’ils ne les voient que dans la sphère privée ou dans le porno. »

La nouvelle pudibonderie n’éveille pas uniquement le désir, mais aussi la crainte. « Ainsi, on entend régulièrement qu’il vaut mieux ne pas mettre de photos de ses enfants sur Facebook parce que des pédophiles volent ces photos et collent leurs visages sur le corps de quelqu’un d’autre », explique Erika Franc. « Bien entendu, il ne faut pas être naïf. Mais nous sommes bien au-delà de la naïveté. On devient tout doucement parano. »

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