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« Maman, je veux mourir »: que faire quand son enfant ne veut plus vivre ?

Muriel Lefevre

Lorsque son enfant a des idées suicidaires, un gouffre d’angoisse s’ouvre devant les parents. Ils se sentent coupables et tristes.

« Peut-être que l’angoisse finira par partir. Mais je ne pense pas. C’est comme quand on a eu un cancer. Malgré le fait que l’on soit guéri depuis des années, on garde au fond de soi cette peur qu’on l’on découvre un nouveau kyste. » Voilà comme une mère décrit, dans De Morgen, sa vie avec une fille qui a fait plusieurs tentatives de suicide.

On aurait tendance à se concentrer uniquement sur les jeunes, mais les parents de ces jeunes souffrent aussi. Une telle situation les fragilise énormément. Et pas seulement d’un point vu émotionnel ou psychique. Cela touche aussi d’autres aspects de leur vie. Il n’est pas rare qu’ils n’osent tout simplement plus laisser leur enfant seul et se coupent de toute vie sociale. Certains vont jusqu’à travailler moins et se retrouvent dans des problèmes financiers. Cela influence aussi leur relation avec les autres membres de la famille.

Comme pour Els De Cocq. Sa fille, Cato, n’a que 13 ans quand elle lui écrit une lettre pour lui dire qu’elle ne se sent pas bien dit-elle dans De Standaard. Elle et sa fille vont voir une psychiatre pour enfant et la situation semble être sous contrôle jusqu’à ce qu’Els s’aperçoive que les bras de sa fille sont pleins de coupures. Elle se scarifie. Elle se rend avec sa fille aux urgences où elle se sent un peu seule. Elle a pourtant l’habitude des hôpitaux puisque son fils avait fait un long passage en oncologie alors qu’il n’avait que trois ans. Mais pour sa fille, pas d’équipe qui l’entoure et on la laisse dans le brouillard. « Lorsque votre enfant se fait opérer, on est impliqué en tant que famille. En cas de problème psychique, on est complètement exclu. Comme je n’étais au courant de rien, j’avais beaucoup de mal à évaluer la gravité réelle de la situation ». Et c’est là l’un des noeuds du problème : comment trouver le juste milieu entre secret professionnel et le meilleur soin pour le patient.

Le suicide en quelques chiffres

La Belgique est le sixième pays de l’Union européenne avec le plus haut taux de suicide par habitant (17,28 pour 100.000 habitants/an) et se situe donc bien au-dessus de la moyenne européenne estimée à 11.8 pour 100.000. Ce taux est particulièrement élevé en Wallonie où il s’élève à 20,48 par an par 100.000 habitants. En 2014, selon les derniers chiffres disponibles, 1.896 Belges se sont volontairement tués, dont 721 en Wallonie et 121 à Bruxelles. Sur l’ensemble du pays, cela représente près de six suicides par jour. Les spécialistes estiment à 20 fois supérieures le nombre de tentatives précédant l’acte final, on peut donc estimer qu’il y aurait près de 40.000 tentatives par an.

Pour les plus jeunes, la Belgique se place en 26e position sur 41 pays étudiés, avec un taux de six suicides pour 100.000 enfants selon Olivier Marquet, directeur d’Unicef Belgique interviewé par la DH. Le suicide est la deuxième cause de décès après les accidents de la route chez les jeunes entre 15 et 24 ans (17% des décès). On estime que 7.5 % des garçons et 10% des filles qui ont entre 12 et 24 ans on fait une tentative de suicide (chiffres pour la Flandre). À Bruxelles, le nombre de suicides chez les jeunes de 15 à 24 ans est nettement moins important qu’en Flandre et en Wallonie : 5,5 décès par suicide pour 100 000 habitants, contre 11,7 en Flandre et 12,5 en Wallonie (chiffres de 2008). Enfin, en extrapolant la dernière enquête de santé, on peut estimer qu’il y a environ 150.000 personnes qui ont des pensées suicidaires.

Cato est déjà en traitement depuis 4 ans, mais elle ne va pas franchement mieux. Elle continue à se scarifier. Els sait qu’elle risque de perdre sa fille à tout instant. Du coup; elle s’est transformée malgré elle en une « contrôle freak ». Sa fille ne reste jamais plus d’une heure seule et lorsqu’elle prend un bain elle va régulièrement vérifier. Els ne boit plus jamais d’alcool pour pouvoir, si besoin, se ruer en voiture aux urgences. C’est pour ça aussi qu’elle part séparément en vacances avec son mari.

Le père de Laurenzo (20 ans) dort lui tous les soirs avec son fils dans le canapé. Laurenzo ne peut dormir seul dans sa chambre à cause de ses angoisses. « Je souffre de dépression chronique. Le problème a commencé en cinquième année: d’abord un burn-out, puis une dépression » dit-il. « Mes parents ne savent pas, depuis longtemps, ce qu’il se passe. Par exemple, j’ai longtemps pris des antidépresseurs en cachette. Ce n’est que lorsque j’ai eu une grosse crise à l’école que je n’ai plus pu le cacher. Pour mes parents, le choc fut énorme. J’étais toujours le plus drôle de l’assemblée, pas la moindre trace de dépression. »

Il a fait trois tentatives de suicide, dont une a été presque fatale. « Je me rends compte que tout cela est dur pour mes parents surtout à cause du tabou énorme qu’il existe autour des problèmes psychiques. C’est aussi le conseil que je veux donner aux autres : ne cachez pas vos idées noires. Même si vous ne trouvez pas les mots : essayez d’en parler. Et écoutez. »

Signes qui peuvent laisser penser qu’un proche a des idées suicidaires.

Des messages et signaux d’alerte du genre « à quoi bon continuer comme ça… », « Je voudrais partir loin… « , « Vous seriez mieux sans moi… », « Bientôt, tout ira mieux…

Un changement brutal de comportement (s’agiter, mutisme, isolement…)

Des problèmes à l’école : échecs soudains, absentéisme, désinvestissement…

Une mauvaise perception de soi, des autres et de la vie en général

Des plaintes physiques

Des troubles du sommeil

Accidents répétés, usage abusif et répété de drogues ou d’alcool, automutilations, fugues , irritabilité…

Ne pas s’oublier et l’importance de communiquer

Malgré la détresse, de nombreux parents ne vont pas chercher de l’aide pour eux-mêmes. Toute leur énergie est dirigée vers leur enfant suicidaire. Si cette réaction est compréhensible, elle n’est pas une bonne chose, puisque les parents sont des alliés de choix lorsqu’il s’agit de se reconstruire et sont une aide précieuse pour aller « mieux ». C’est pourquoi ces derniers ne doivent pas s’oublier. Pour les soutenir, le gouvernement flamand a lancé un outil en ligne qui leur est spécialement dédié avec numéro d’aide et quelques conseils. En Belgique francophone, il existe le Centre de prévention suicide ou encore l’ASBL Un passe dans l’impasse.

Derrière une tentative de suicide, il peut y avoir toutes sortes de raisons. 75% des personnes décédées par suicide l’avaient annoncé. Quasi personne ne se suicide sans avoir fait connaître son désespoir à quelqu’un. D’où l’importance de communiquer. Il n’existe pas de recette miracle lorsque l’on est confronté à quelqu’un qui nous parle directement ou indirectement de ses idées suicidaires mais parler est déjà un facteur de protection. Et en écoutant activement, en questionnant et en soutenant les parents peuvent jouer un rôle important.

Ainsi parler ouvertement et calmement de son envie de mourir est une bonne chose (contrairement à ce que l’on pourrait croire cela ne donne pas des idées), même si on doit renoncer à tout vouloir comprendre. Il est aussi important de prendre toute tentative de suicide au sérieux. Trop gâter son enfant n’est pas plus efficace. Tout comme les parents ne doivent pas tout permettre de peur d’avoir des réactions négatives. Selon Alexandre Reynders, chercheur qui a élaboré l’outil disponible en Flandre et interviewé par De Morgen : cela aura même l’effet inverse puisque cela plombe l’autorité parentale.

Technique de communication pour éviter que le conflit vire au drame

On ne doit pas finir ses phrases lorsqu’il cherche ses mots. Ou alors dites ce que vous pensez et demandez si c’est correct.

On ne doit pas juger ou blâmer : un reproche soulève souvent un autre reproche. Évitez donc les phrases de type « Ce que tu fais n’est pas normal » ou « Tu fais l’enfant ». Dites plutôt ce que vous percevez et ressentez à ce sujet.

Évitez aussi la phrase suivante : « je sais ce qui est bon pour toi ». Il veut probablement plus d’indépendance et de confiance. Analysez la situation en vous demandant ce que cela lui fait et quel besoin votre enfant remplit en agissant comme il le fait. Laissez-le lui-même réfléchir à la façon de gérer cela au mieux.

Enfin, n’exagérez et ne généralisez pas. Ça donne l’impression à l’enfant qu’il ne fait jamais rien de bien. Ou alors il pense que ce que vous dites est faux et cherchera à le prouver.

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