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Maladie génétique : est-il bon de tout savoir ?

Muriel Lefevre

Les chercheurs du centre de génétique humaine de l’UZ Leuven commenceront, d’ici la fin de ce mois, à analyser le génome entier de patients atteints de maladies génétiques rares. Un service rendu possible grâce à la spectaculaire diminution du prix de cette technique, explique l’hôpital universitaire. Mais cette révolution entraîne aussi de nombreuses questions.

A l’UZ Leuven on pourra donc désormais effectuer rapidement et à grande échelle des « analyses génomiques » complètes. Ou, autrement dit, cartographier toutes les briques à partir desquelles vous avez été construit. Mais aussi les fissures et les trous de cette construction. Le super appareil de l’UZ à 1 million d’euros, mais qui n’est pas plus grand qu’une machine à laver, pourra analyser l’ADN de 96 personnes en même temps. À la fin de cette année, les patients présentant des maladies génétiques inexpliqués pourront obtenir un diagnostic basé sur une analyse complète du génome.

« Nous ferons quelques milliers d’analyses par an », explique le professeur Gert Matthijs du Centre de génétique humaine de l’UZ Leuven dans De Standaard. Coût: 2 000 euros par test. Une somme qui n’est, pour l’instant, pas remboursée par la sécurité sociale. « Les premières analyses seront effectuées chez les enfants atteints d’une maladie héréditaire rare que nous ne pouvons pas encore lier à un gène spécifique », explique encore Matthijs. « Nous sommes ainsi parmi les premiers centres de génétique en Europe. En analysant pleinement leur ADN et en le comparant avec d’autres, nous verrons où se situent les déviations et ferons de meilleurs diagnostics. Et nous pourrons également dire aux parents quels sont les risques pour les futurs frères ou soeurs. »

8000 maladies génétiques différentes

Il existe bien entendu déjà des tests ADN, comme celui qui vise à détecter la mucoviscidose. Sauf que les analyses génétiques se concentrent habituellement sur un ou plusieurs gènes précis dans l’ADN d’un patient. Or il est désormais possible de séquencer l’ensemble du génome d’un individu à partir d’un seul échantillon d’ADN. Ces génomes pourront être interprétés grâce au développement des nanotechnologies, des ordinateurs super puissants et à la mise en place de bases de données internationales reprenant les séquences ADN de milliers de patients. L’appareil fait aussi baisser le prix de telles analyses qui passe de 10.000 à 2000 par personne.

L’UZ Leuven est aussi l’un des premiers centres européens à effectuer des analyses de génome entier dans un but diagnostique, bien qu’il ne recourra à ces analyses que si le gène responsable de la maladie en cause n’est pas connu. De nos jours, les analyses complètes du génome ne sont effectuées que pour la recherche scientifique et cela prend en moyenne plus de deux mois. Avec ce nouvel appareil, cela ne prend qu’un mois. Décrypter l’ADN prend lui trois jours au lieu de deux semaines. Sans parler du fait qu’on repère directement certains gènes déviants. De quoi dégager du temps pour les 98% de l’ADN dont on ignore encore tout.

On estime qu’un bébé sur cent nait avec une maladie génétique et qu’il existerait plus de 8000 maladies génétiques différentes. « Rien que l’année dernière, pas moins de 500 maladies génétiques ont été découvertes. Nous ne pouvons établir de diagnostic précis que pour un patient sur deux. En effectuant plus d’analyses, nous espérons trouver de nouveaux mécanismes qui influencent le fonctionnement des gènes. En conséquence, de plus en plus de patients atteints d’une maladie génétique rare recevront un diagnostic », explique encore le professeur Joris Vermeesch, président du département génétique humaine de la KU Leuven. « Au plus nous analysons et nous comparons les gènes, au mieux nous serons capables de comprendre la maladie » explique encore Matthijs. Un soulagement pour les parents qui ignorent de quoi souffre leur enfant.

L’ADN pour les nuls

Le génome humain est comme une encyclopédie qui compte trois milliards de lettres. Celle-ci compte 23 chapitres, les chromosomes, et 20.000 gènes qui sont des combinaisons de lettres dont nous connaissons le sens. Les gènes seraient comme les ingrédients d’une recette que l’on n’arrive pas à décrypter. On reconnait bien tel ou tel ingrédient, mais il nous manque des informations essentielles comme, pour reprendre la métaphore de la recette, la quantité des ingrédients ou le temps de cuisson. On ne connaît aujourd’hui que 1 à 2 % de cette encyclopédie, ce qui fait que les chercheurs en sont souvent réduits au tâtonnement et essayent d’y trouver un sens en comparant des images cliniques et des analyses de génomes venus des quatre coins du globe grâce aux dispositifs de plus en plus nombreux dans le monde.

Veut-on vraiment tout savoir ?

Cette avancée soulève pourtant d’innombrables questions telles que : « que dites-vous et que ne me dites-vous pas? Qui deviendra le propriétaire du fichier informatique contenant toute l’analyse? Effectuez-vous ce test à la naissance ou déjà dans l’embryon?  » , admet l’ UZ. Des questions qui n’ont pas encore de vraies réponses pour le moment, mais auxquelles il est de plus en plus urgent de répondre lorsqu’on sait que ces tests vont se généraliser. « Dans cinq ans, peut-être dix ans, nous le ferons à la naissance de chaque enfant en Belgique, soit environ 100 000 par an. La technologie est disponible et la demande sera énorme. » explique Matthijs dans De Standaard. Or « plus nous ferons d’analyses et plus nous comparerons, mieux nous serons capables d’identifier à l’avance toutes sortes de maladies. Plus nous cartographierons le génome d’un patient, plus nous tomberons sur des informations que nous ne cherchions pas. On peut par exemple tout à fait rechercher une anomalie congénitale du squelette et tomber dans une prédisposition génétique au cancer ou aux maladies cardiaques. Nous pouvons donner au patient uniquement les informations qui exigent une action clinique. Et, par exemple, éviter des angoisses inutiles en ne les informant pas qu’ils ont un terrain favorable pour la démence. Car à l’heure actuelle, nous ne pouvons prédire avec précision la maladie d’Alzheimer. Un pronostic du genre vous avez 12% plus de risque d’en souffrir un jour, n’est donc pas très utile. Cependant même cela sera beaucoup plus précis à l’avenir. Ce qui est en soi une bonne nouvelle puisqu’un diagnostic rapide permet un meilleur traitement de la maladie.

« Nous devons impérativement anticiper toutes ces choses pour éviter de se retrouver le bec dans l’eau le moment venu », conclu Matthijs. Et il n’est pas le seul. En février dernier, le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) avait recommandé la plus grande prudence quant à la lecture du génome complet, au vu des enjeux financiers et éthiques considérables que soulève cette avancée. Un débat sociétal est donc plus que nécessaire sur ce sujet qui ressemble chaque jour un peu moins à de la science-fiction.

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