Carte blanche

Maggie De Block: au service de l’industrie pharmaceutique et non du patient

Les mesures budgétaires 2018 dans le secteur des soins de santé viennent d’être annoncées. 187 millions seraient l’effort demandé au secteur pharmaceutique. Le patient devra débourser plus sur les médicaments s’il se voit prescrire par son médecin certains conditionnements et marques. Prenons à la loupe la politique des médicaments proposé par Madame De Block depuis 2015. Au lieu d’être étayée scientifiquement et accessible au patient, la politique des médicaments de Maggie De Block est surtout taillée à l’aune du profit de Big Pharma.

Stelvia a 12 ans et souffre d’anémie falciforme (drépanocytose). Cette maladie héréditaire la rend extrêmement sensible aux infections. Là où d’autres enfants viennent à bout eux-mêmes d’un refroidissement, Stelvia court le risque de se retrouver à l’hôpital avec une grave pneumonie. C’est la raison pour laquelle, quotidiennement, elle prend des antibiotiques et, depuis lors, elle n’a plus été hospitalisée. Depuis le 1er avril 2017, ce médicament indispensable pour elle a toutefois doublé de prix. Fin 2016, la ministre de la Santé publique, Maggie De Block, décidait de réduire le remboursement des antibiotiques. La conséquence pour Stelvia et sa famille est très concrète : à chaque début de mois, sa mère doit compter quand elle va pouvoir acheter une nouvelle boîte, car à la fin du mois, se retrouver à court du médicament veut généralement dire qu’elle va devoir reporter cet achat… et, dans ce cas, il pourrait très bien s’ensuivre de nouvelles infections graves.

La ministre De Block défend sa politique : « En demandant quelques euros de plus pour un médicament en surconsommation, nous pouvons rembourser le médicament contre l’hépatite C à des centaines de patients. » C’était également l’enjeu de son pacte de l’avenir avec l’industrie pharmaceutique qu’elle avait annoncé avec beaucoup de bravoure en 2015. En misant davantage sur les médicaments génériques et, partant, sur des prix plus bas, un accès plus rapide à de nouvelles thérapies serait possible pour les patients . Dans les faits, la ministre limite toutefois l’accès à quelques médicaments d’une nécessité vitale et elle octroie de la sorte une « licence de vol manifeste » à l’industrie pharmaceutique, qui va pouvoir piller littéralement la sécurité sociale.

Des arrangements secrets avec l’industrie pharmaceutique

Le remboursement du Sovaldi, le médicament dont on prétend qu’il peut guérir l’hépatite chronique C’est réglementé par l’article 81. Cet article permet de rendre disponibles de nouveaux médicaments dont l’efficacité est encore incertaine. Par un arrangement entre le cabinet de la ministre et l’industrie, un prix secret est alors fixé pour une certaine durée et le remboursement au patient est garanti. Pour le Sovaldi, il s’agit d’environ 45 000 euros pour un traitement de trois mois. Une grosse somme, donc : aussi n’est-il remboursé qu’à certains patients. Pourtant, l’industrie indienne des génériques produit le même médicament au prix de 300 euros et pour le traitement complet. C’est rendu possible par une licence contraignante : un pays oblige un producteur de faire produire également une version générique du médicament parce qu’autrement, le médicament essentiel compromettrait la solvabilité de l’assurance maladie. Toutefois, la ministre De Block préfère obliger des patients comme Stelvia à payer plus cher leur médicament indispensable et elle limite l’accès à des médicaments novateurs à certains groupes, de sorte que le géant pharmaceutique Gilead (qui produit le Sovaldi) puisse conserver ses marges bénéficiaires colossales.

Sovaldi n’est pas le seul médicament réglementé par l’article 81. Selon des calculs du mensuel Médor, on pourrait dépenser, entre 2015 et 2018, quelque 2,1 milliards d’euros dans ce genre de remboursements et, chaque année, ces montants augmentent . « Pourrait », car personne ne sait de quels montants précis il s’agit, en fait. Afin de ne pas affaiblir la position concurrentielle de l’industrie dans les pays voisins, ces accords sont en effet strictement secrets. En outre, il est tout sauf certain que ces médicaments aient vraiment une valeur ajoutée. Mais au moins 9 des 74 médicaments concernés actuellement par l’article 81 sont considérés par la très sérieuse revue médicale Prescrire comme « des exemples flagrants de médicaments qui sont plutôt dangereux qu’utiles  » .

Les médicaments réglementés tombant sous l’article 81 ne sont toutefois pas les seuls concernés par les arrangements conclus par la ministre avec l’industrie pharmaceutique : dans l’accord estival du gouvernement, il est prévu de rendre gratuit le lancement d’une étude clinique afin de tester un nouveau médicament. Cela signifie que, chaque année, les caisses de l’État vont se priver de 2,7 millions d’euros en provenance du secteur. Ensuite, en novembre dernier, la ministre a désigné Bart Vermeulen comme chef de cabinet adjoint et responsable de la politique des médicaments. Vermeulen a été naguère économiste en chef chez pharma.be : le groupe de pression par excellence des entreprises pharmaceutiques en Belgique. Un hasard ? La politique du cabinet De Block laisse en tout cas présumer qu’il n’en est rien.

L’information scientifique indépendante en danger ?

Raf Mertens, directeur général du Centre fédéral d’expertise pour les soins de santé (KCE), ainsi que 75 professeurs d’université ont tiré récemment la sonnette d’alarme à propos de la fusion du KCE et du Conseil supérieur de la santé avec quelques autres institutions afin de constituer une grande « institution du savoir ». L’influence des lobbys de l’industrie et de la politique deviendrait incommensurablement plus grande et mettrait par conséquent en danger l’indépendance du travail d’étude . En juin 2016, le KCE publiait encore un rapport détaillé et quatre scénarios afin de rompre la spirale des prix sans cesse croissants des nouveaux médicaments. Les chercheurs critiquaient fortement la façon dont l’industrie pharmaceutique aujourd’hui fait passer sa logique du profit économique avant les besoins de la société et ils plaidaient pour un développement des médicaments davantage dirigé par l’État . Mais ceci aussi peut être un hasard, naturellement.

En outre, voici quelques semaines, on apprenait que l’ASBL Farmaka doit licencier tous ses collaborateurs parce que son financement sera arrêté. Avec ses 20 délégués indépendants et un budget ne dépassant pas 1,2 million par an, l’association atteint près de la moitié des généralistes belges par ses informations scientifiques et les directives actualisées concernant les nouveaux et moins nouveaux médicaments . Une enquête a révélé que ces visites fournissent 3,2 millions d’économies par an par la diminution d’une attitude de prescription inutile et trop onéreuse . En face se trouve par contre l’industrie pharmaceutique, avec ses quelques milliers de représentants et son budget de marketing d’au moins 500 millions. Sans Farmaka, les médecins seront davantage renvoyés à ces représentants s’ils veulent obtenir des informations sur les nouveaux traitements. Et il ne faut pas s’étonner si ces informations sont presque exclusivement positives, à propos de ces tout derniers médicaments, les plus récents et souvent aussi les plus chers, que ces firmes ont lancés sur le marché.

Des patients « en surconsommation » et des médecins « qui jouent les pharmaciens »

Et le patient ? Celui-ci « surconsomme » donc trop de médicaments et il va devoir payer davantage afin de perdre cette fâcheuse habitude. La diminution du remboursement des antibiotiques, des antiacides et des sprays nasaux à la cortisone, au début de cette année, fait qu’il devient plus malaisé, pour des patients comme Stelvia, de payer les médicaments dont ils ont absolument besoin, avec tous les problèmes de santé plus graves encore et, partant, les frais supplémentaires que cela entraîne. Ensuite, c’est le médecin, qui prescrit, et non le patient. Ainsi, les Pays-Bas sont connus pour leur faible consommation d’antibiotiques, dans le même temps que ces antibiotiques sont gratuits pour les patients. En outre, la diminution du remboursement des sprays nasaux à la cortisone signifie que ces médicaments ne feront plus l’objet d’une prescription obligatoire. La publicité pour ce genre de médicaments à la télévision et dans d’autres médias devient possible. Cette « publicité adressée directement au consommateur » est l’une des façons les plus efficaces d’accroître fortement la consommation de médicaments. Pour aborder la surconsommation, on doit en premier lieu informer de façon neutre tant le médecin que le patient, mais les mesures récentes de la ministre De Block ont précisément l’effet contraire.

Fin août, lorsque quelques médecins ont lancé un appel afin de rendre possible la distribution à des patients moins nantis de médicaments qui, autrement, auraient été jetés, la ministre De Block a de nouveau fait allusion à la surconsommation du chef du patient. Comme si les patients qui ne peuvent payer leur médicament en étaient indûment dépendants. « Les médecins ne peuvent jouer les pharmaciens », a encore ajouté la ministre, « même s’il y a une exception : distribuer des échantillons de médicaments« . On ne peut être plus explicite : distribuer des médicaments est permis, selon la ministre, afin de faire la publicité des nouveautés de Big Pharma, mais surtout pas quand il s’agit d’aider un patient dans le besoin.

Le modèle kiwi en tant qu’alternative

Il peut en être autrement, par exemple, en appliquant le modèle kiwi. Cela part tout d’abord d’une analyse scientifique des besoins. Une commission scientifique indépendante sélectionne alors, sur base de critères objectifs de l’evidence based medicine, les meilleurs médicaments permettant de satisfaire à ces besoins. Enfin, le pouvoir d’achat commun de la communauté est utilisé afin, par les négociations de l’assurance maladie avec les firmes pharmaceutiques, éventuellement par le biais d’un appel public d’offres, d’obtenir le meilleur prix pour les médicaments qui sont objectivement les meilleurs.

Une étude montre que l’application de ce modèle kiwi aux seuls 25 médicaments qui coûtent le plus à l’INAMI, fournirait une économique de quelque 450 millions . De l’argent qui pourrait être investi dans la recherche indépendante et novatrice ou dans du personnel supplémentaire, absolument indispensable, dans le secteur des soins. Mais la ministre De Block ne veut rien savoir du modèle kiwi. En 2005 déjà, en tant que parlementaire, elle avait torpillé une proposition de loi en ce sens et, aujourd’hui, elle sort toute une série d’arguments aussi absurdes les uns que les autres pour contrer le regain d’intérêt pour le modèle kiwi et sa demande renouvelée.

Attelez-vous à la science, à l’efficience des coûts et à l’accessibilité

Une politique de la santé s’appuyant sur des preuves scientifiques, sur l’efficience des coûts et sur une accessibilité maximale, voilà ce que promettait la ministre de la Santé publique Maggie De Block lors de son entrée en fonction, voici trois ans. En tant que « grande partisane de l’evidence-based medicine« , elle avait répété à plusieurs reprises les avantages du sérieux scientifique pour le médecin, le patient et la société . De cette evidence-based medicine, il ne reste décidément plus grand-chose aujourd’hui et, sur le plan de l’efficience des coûts, la politique de la ministre De Block est surtout avantageuse pour la comptabilité de Big Pharma. Il est grand temps que vienne une politique des médicaments s’appuyant sur des bases scientifiques et dans laquelle le patient réoccupera la place centrale qu’usurpe actuellement la logique du profit de l’industrie pharmaceutique.

Anne Delespaul et Sofie Merckx,

Spécialistes de la santé au PTB

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