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« Les personnes âgées sont poussées vers les maisons de repos »

Si les personnes âgées déménagent dans des résidences, ce n’est souvent pas leur propre choix. « Cependant, presque tout le monde peut vivre seul », explique l’infirmier à domicile Pierre Fourier. Interview.

« Imaginez que demain un réfugié saute du toit du centre fermé où Theo Francken l’a enfermé. On risque fort de se trouver dans une violente tempête gouvernementale. Alors que quand un très vieux couple se jette du neuvième étage d’un home, comme ce fut le cas récemment à La Panne, c’est considéré comme un fait divers », explique Pierre Fourier, infirmier à domicile sur la Côte. « Cet acte désespéré n’est pas un fait isolé. Beaucoup de personnes âgées sont poussées dans des centres de soins contre leur volonté et sont profondément malheureuses. Le résultat est que beaucoup d’entre eux ne veulent plus vivre. Pas étonnant que tant de résidents prennent des antidépresseurs ou des somnifères. »

Est-ce que vous voyez souvent des patients qui sont forcés de déménager dans un centre de soins résidentiels?

Certainement. Habituellement, cela se produit quand ils sont à l’hôpital parce qu’ils sont tombés ou ont contracté une infection. Ce qui en soi n’est pas une raison pour déménager, car ce sont des situations qui s’améliorent en guérissant. Mais nous constatons souvent que les gériatres ou les employés du service social estiment qu’il n’est plus prudent de laisser ces personnes seules chez elles. Ils en discutent généralement avec la famille, sans consulter la personne concernée. Ce n’est qu’après qu’ils en parlent au patient et en noircissant le tableau ce qui fait qu’elle est souvent effrayée. « La prochaine fois, vous n’aurez peut-être pas autant de chance », disent-ils. Quelqu’un qui est vieux, faible et malade n’ose généralement pas s’opposer. Et encore moins la génération actuelle des octo et nonagénaires.

Et la famille ne dit rien ?

Pour commencer, beaucoup de gens vivant à la Côte n’ont pas de famille dans la région. Ils ont choisi de passer leurs vieux jours à la mer pendant que leurs enfants vivent à l’intérieur du pays. Mais même s’ils ont des membres de leur famille qui habite non loin, cela ne signifie pas que ces derniers peuvent ou veulent assumer la surcharge de travail. La plupart d’entre eux ont des vies assez remplies. J’ai même l’impression que pour beaucoup c’est un soulagement quand maman ou papa emménage dans une maison de retraite, parce qu’ils n’ont plus rien à faire. Récemment, une femme a été placée dans un centre de soins contre sa volonté parce que sa fille ne voulait plus l’aider pour son linge. « On pourrait simplement externaliser votre lessive? Ai-je suggéré. Mais non, elle trouvait que c’était trop cher. Parfois, ce sont des petites choses qui poussent les gens vers une maison de retraite.

Les services sociaux sont-ils vraiment si légers sur ce sujet?

Souvent. Il y a quelque temps, je suis allé rendre visite à l’une de nos patientes, une dame de 99 ans, à l’hôpital. Elle était tombée en voulant ramasser un biscuit de sa perruche et s’était fissuré le bassin. Dès que je suis entré dans la pièce, elle a commencé à pleurer de façon incontrôlable. « Ils veulent me mettre dans un home », sanglota-t-elle. Les services sociaux m’ont dit qu’ils ne trouvaient pas responsable de la laisser à la maison sans pour autant lui avoir rendu visite chez elle. Comme souvent, ils ne s’étaient basés que sur son état du moment. Or tout le monde sait que les personnes âgées sont plus dispersées et confuses à l’hôpital qu’à la maison. Je me suis mis en colère au point de menacer de faire arrêter cette personne des services sociaux.

Pardon ?

Ce qu’elle s’apprêtait à faire c’était de la privation de liberté. Quand une personne est capable de prendre des décisions, c’est à lui de les prendre. C’est comme ça que ça devrait être. Mais en pratique, je vois à maintes reprises que ceux qui croient tout savoir imposent leur volonté. Ils n’ont aucun respect pour les souhaits des personnes âgées. À cause de ce genre de paternalisme, les droits des patients ne valent pas grand-chose lorsque vous avez dépassé les quatre-vingts ans. Récemment, j’ai entendu dire qu’une femme allait être emmenée d’un hôpital vers un centre de soins par l’ambulance, parce que si la famille l’amenait, elle risquait de rentrer chez elle. Alors que cette femme était encore capable de le faire. Constamment, les droits des personnes âgées sont violés parce que d’autres prennent des décisions à leur place. Des décisions qui déterminent pourtant le reste de leur vie. Parce qu’une fois que vous êtes dans un home, il est très difficile d’en sortir.

Est-ce que ça arrive tout de même que des gens en sortent?

La plupart des gens n’osent pas. Surtout parce qu’ils ont peur qu’ils ne puissent plus revenir lorsqu’ils en auront vraiment besoin. Il existe tout de même des gens qui font le pas.

Êtes-vous contre le fait de déménager vers un centre d’hébergement?

Bien sûr que non. Il y a des gens qui le veulent eux-mêmes. Si c’est leur propre libre choix, il n’y a rien de mal à cela. Il y a aussi des personnes âgées qui ne peuvent effectivement plus vivre seules. Presque tous mes patients âgés sont inscrits sur la liste d’attente d’un centre d’hébergement à titre préventif. C’est une bonne chose, car si un placement s’impose, ils n’ont pas à attendre longtemps.

Quand une personne âgée a-t-elle intérêt à se rendre dans un centre d’hébergement?

S’il souffre de démence. Bien que la plupart des patients peuvent rester à la maison pendant une année ou deux avec l’aide de quelques astuces. Par exemple ne plus avoir de gaz ou une cuisinière électrique peut faire une grande différence.

Donc toutes les autres personnes, même les plus âgées, pourraient parfaitement rester chez elle ?

C’est vrai. Il y existe une solution pour presque tous les problèmes. La personne risque de tomber? On lui donne un bouton d’urgence. Un patient se souille souvent ? On peut lui offrir des visites plus régulières. La famille opte souvent pour un centre de soins sans vérifier les alternatives. Cependant, beaucoup de choses sont possibles, même passer 4 à 6 fois par jour. Je dois tout de même admettre que tous les services infirmiers à domicile ne sont pas prêts à le faire. Certains rejettent même des patients gravement dépendants. Car si vous percevez un montant unique par patient, la personne à qui vous rendez visite une fois par jour est bien sûr plus lucrative que la personne avec chez qui vous devez aller quatre fois.

Doit-on donner plus d’argent pour les soins infirmiers à domicile?

Pas seulement pour les soins infirmiers à domicile. Il est également crucial que les personnes âgées puissent faire appel à des services d’aide à domicile pour faire leur ménage nettoyer ou faire leurs courses. Aujourd’hui, il y a une pénurie aiguë et cela ne fera qu’empirer. Le gouvernement ferait mieux d’investir dans ce domaine au lieu de construire des centres de soins résidentiels.

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