Martine le Garroy, responsable en charge des questions de santé et sécurité au service d'études de la Centrale nationale des employés (CNE). © DR

« Les conditions de travail se sont fortement détériorées »

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Les suicides professionnels sont rares en Belgique. Le jugement dans le dossier France Télécom pourrait servir les syndicats, premiers témoins de la pression exercée par certaines directions sur leur personnel, estime Martine le Garroy, en charge des questions de santé et sécurité au service d’études de la CNE.

Le jugement rendu dans le dossier France Télécom est-il susceptible de déboucher sur un changement de la réglementation sur le bien-être au travail en Belgique ?

Contrairement à ce que l’on a vu en France, le problème des suicides sur le lieu de travail en Belgique reste circonscrit. Je ne crois donc pas que ce jugement va percoler jusque dans la législation belge. En revanche, les délégués syndicaux vont certainement se saisir de cette décision pour améliorer la lutte contre les faits de harcèlement dans les entreprises. Ils sont en première ligne pour observer les effets d’un management dur, qui provoque entre autres énormément de burnout. Cela dit, je pense que le management français est beaucoup plus agressif que le management belge, même si je connais des situations très difficiles pour le personnel dans certaines entreprises.

Si vous n’atteignez pas les objectifs qui vous ont été fixés, on vous relègue sur ce qu’on appelle la beach.

Lesquelles ?

Dans le secteur informatique, par exemple, on observe des méthodes de gestion coercitives, avec des évaluations sanctionnantes : si vous n’atteignez pas les objectifs qui vous ont été fixés, on vous relègue sur ce qu’on appelle la beach (plage). Autrement dit, vous êtes toujours employé par l’entreprise mais vous êtes sans fonction. Vous disposez d’un temps limité pour chercher à vous recaser dans la société en vendant vous-même vos compétences. Ce n’est pas plus tendre dans le secteur pharmaceutique. Dans ces entreprises, le jugement rendu en France pourrait servir pour montrer jusqu’où vont les excès du management.

Le harcèlement managérial est donc une réalité à vos yeux ?

Oui. Mais il est très difficile à prouver et ceux qui occupent des fonctions hiérarchiques, même à un petit niveau, sont comme des loups entre eux : ils se protègent. Devant les tribunaux, c’est très souvent la direction qui gagne contre le plaignant.

Globalement, les conditions de travail se sont-elles dégradées en Belgique, ces dernières années ?

Très fortement dégradées. Il y a une sous-évaluation, dans le public, de la pénibilité des conditions de travail. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que patrons et syndicats n’arrivent pas à se mettre d’accord sur la liste des métiers pénibles dans le cadre de la réflexion sur la réforme des pensions. Cette dégradation se manifeste par la façon de licencier les gens, les objectifs irréalistes qui sont imposés aux salariés mais aussi, par exemple, le sous-équipement en matériel du personnel soignant… C’est une accumulation de petites choses qui rendent le travail insupportable pour beaucoup de personnes et non plus, comme par le passé, un seul problème comme le bruit ou la chaleur dans un atelier, par exemple.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire