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Le sucre est-il aussi nocif que la cigarette ?

Quel impact le sucre a-t-il sur notre santé ? Peut-on choisir entre bons et mauvais sucres ou les choses sont-elles plus complexes que cela ? Pleins feux sur ce qui est pour beaucoup un péché mignon…

Début mars, plusieurs médias proclamaient que les glucides étaient aussi néfastes que les cigarettes. Selon un rapport scientifique récent, la consommation de certains types de sucre, en particulier les sucres rapides, raffinés, augmenterait le risque de cancer du poumon. Des aliments tels que le pain blanc, le popcorn, les cornflakes et le riz blanc étaient également cloués au pilori. Ils contiennent en effet des glucides qui se digèrent très rapidement et aboutissent dans le sang sous forme de glucose, entraînant un taux glycémique élevé. Et en cas de consommation fréquente de produits à l’index glycémique (IG) élevé, le risque de cancer du poumon augmenterait de non moins de 49 %.

Devons-nous nous tracasser ? Le professeur Christophe Matthys, expert en nutrition à la KU Leuven et à l’UZ Leuven, relativise. « Cette étude établit des associations, mais il n’est nullement question d’un lien étayé de cause à effet ; l’étude met au jour un lien indirect, sans plus. Les gros consommateurs d’aliments à l’IG élevé ont probablement aussi un mode de vie peu sain. Et cela peut évidemment entraîner un risque accru de cancer. » Christophe Matthys regrette par ailleurs le manque de sérénité dans le débat sur le sucre. « Il est évident qu’une consommation (trop) élevée de sucre comporte des risques et que l’obésité constitue un problème dans notre société. Mais trop d’informations erronées circulent sur le net. Qui voit encore la différence entre fait et fiction ? » Car la diététique est selon lui faite de toute une palette de nuances.

Et une première nuance s’impose d’emblée : le sucre en soi ne doit pas nous faire peur. « Le sucre peut prendre différentes formes, présenter des structures simples à complexes. Les sucres absorbés par notre corps sont transformés en glucose, qui constitue le meilleur carburant pour le cerveau, le système nerveux central et les organes. Raison pour laquelle nous déconseillons de bannir totalement le sucre. On peut en principe survivre en se contentant de protéines et de graisses, qui ont aussi la capacité de nous approvisionner en énergie. Mais elles sont beaucoup moins bien équipées pour cela ! »

Équilibre énergétique

Une des premières questions à se poser est celle-ci : quel est l’impact de ma consommation de sucre sur mon équilibre énergétique personnel ? « Si vous ingurgitez plus de kilocalories (kcal) que ce que vous consommez quotidiennement, ou l’inverse, l’équilibre est rompu. Dans le premier cas, vous prenez du poids, dans le deuxième vous en perdez. La consommation d’énergie dépend étroitement de l’exercice physique. Si vous mangez tous les soirs une grosse portion de spaghetti accompagnée de 2 cocas, vous n’allez pas nécessairement grossir si vous courez 15 kilomètres trois fois par semaine. Certains sportifs de haut niveau consomment beaucoup plus de sucre que ce que nous recommanderions à Monsieur Tout-le-monde. Mais ils fournissent des prestations exigeant beaucoup d’énergie (kcal). » Christophe Matthys estime dès lors difficile de donner des conseils généraux en matière de consommation de sucre. « Chaque conseil devrait en effet tenir compte de l’équilibre énergétique. Or, celui-ci est tout à fait personnel. »

L’OMS a malgré tout formulé quelques lignes directrices à ce sujet. « Environ 55 % de notre apport énergétique quotidien doit venir, selon l’organisation, des glucides. Dans ces 55 %, seule une minorité, 10 % maximum, peut provenir de sucres ajoutés, c’est-à-dire ceux que l’on ne trouve pas dans les fruits, les légumes ou l’amidon (pain, pâte, riz, lentilles) et le lait. Le sucre (cristallisé) blanc, le sucre brun, le sucre de canne, d’érable et le miel en font partie. Tout comme le nectar que l’on utilise dans de nombreux jus de fruits. Concrètement, ce seuil maximal de 10 % de sucres que l’on disait naguère ‘rapides’ correspond à environ 25 g par jour… soit 6 cuillères à café. »

Satiété

Pourquoi l’OMS veut-elle limiter l’absorption de sucres ajoutés ? « Ils ont une structure simple, ce sont souvent de pures molécules de sucre et s’assimilent aisément. La digestion de sucres complexes dans les fruits, les légumes et l’amidon (dans les pommes de terre ou les céréales) se déroule d’une tout autre manière. Ces sucres sont intégrés dans une structure fibreuse beaucoup plus compliquée, qui ralentit leur digestion et leur absorption. Ce rythme d’absorption et de digestion a une influence importante sur notre sensation de satiété. » Si l’on tire son énergie essentiellement des sucres ajoutés, on aura donc beaucoup plus vite faim. Prenez par exemple un repas dans une chaîne de fastfood :  » En mangeant un Big Mac, qui contient environ 500kcal, vous répondez déjà à environ 25 % de vos besoins énergétiques journaliers. Directement après, vous vous sentez repu, votre faim est apaisée. Il y a beaucoup de chance cependant pour que vous ayez à nouveau faim une heure après. Comment cela se fait-il ? Notre corps assimile très rapidement les glucides présents dans le hamburger, dès le début de notre système digestif. La deuxième partie de notre système digestif n’en voit pour ainsi dire pas la couleur ! En réaction, cette région du système digestif produit l’hormone de la faim. Résultat : votre estomac commence à gargouiller une heure après ce repas riche en calories. »

Avec les glucides complexes, l’absorption se déroule différemment. Contrairement au repas fastfood, notre organisme absorbe ces glucides beaucoup plus lentement. Les sucres sont imbriqués dans une structure fibreuse plus complexe, qui les libère plus lentement. La partie inférieure de notre système digestif reçoit dès lors sa part, la sensation de satiété dure plus longtemps et nous avons donc beaucoup moins vite faim. Une petite salade de 500 kcal vous tiendra au corps beaucoup plus longtemps.

Christophe Matthys souligne que la faim n’est pas liée au nombre de calories ingurgitées : « On le remarque surtout aux boissons rafraîchissantes et aux jus de fruits. Bien qu’ils contiennent des doses élevées de sucre (ajouté) et donc beaucoup de kcal, ils n’apportent qu’une satiété éphémère. Il y a dès lors beaucoup de chance pour que vous absorbiez ces kilocalories ‘vides’ non pas en complément mais en sus des kilocalories tirées des autres repas. Ce qui rompt naturellement votre équilibre énergétique et augmente le risque de formation de graisse, et à terme d’obésité. »

Saucisse au sucre

Si la nécessité de limiter l’ingestion de sucres ajoutés ne fait aucun doute, passer à la pratique s’avère nettement plus ardu. « Les sucres ajoutés ne sont pas présents uniquement dans les boissons rafraichissantes. Actuellement, on en trouve dans presque tout. Pourquoi les enfants raffolent-ils du ketchup ? On retrouve dans 100 g de ketchup près de 21 g de sucre. De nombreux autres produits tels que les céréales du petit déjeuner, la pizza, la saucisse et même les boulettes contiennent des sucres ajoutés. Au départ, il était utilisé pour des raisons avant tout techniques : le sucre servait de conservateur et donnait une structure. Puis les raisons commerciales ont pris le dessus, car nous éprouvons une attirance naturelle, génétique pour le sucre, que l’industrie alimentaire exploite, évidemment. J’avoue que je considère cette évolution comme préoccupante… Bien qu’un revirement semble se dessiner : ces derniers temps, l’industrie semble s’intéresser davantage à la santé, même s’il reste difficile de la mettre en balance avec les intérêts commerciaux. »

Que pouvons-nous faire ? Remplacer le sucre par des matières sucrantes comme la stevia ? « Je ne suis pas partisan de ces édulcorants. Les produits comme la stevia sont moins inoffensifs qu’il n’y parait. Certaines études établissent un lien entre la stevia et une envie cognitive accrue de sucre. De plus, on recommande seulement 4 m de stevia par kilogramme de poids corporel par jour. On risque de rapidement dépasser cette limite. Mieux vaut alors combiner différents types d’édulcorants. »

Sachez ce que vous mangez

Au lieu d’opter pour des substituts de sucre, nous ferions mieux d’apprendre à gérer notre consommation de sucre, estime Christophe Matthys. « Sachez ce que vous mangez. Utilisez du sucre normal pour préparer un cake, mais prenez conscience que vous avez ajouté ce sucre. » L’industrie ne nous simplifie pas les choses sur ce plan. L’organisation de consommateurs Test-Achats a attiré l’attention l’an dernier sur la manière peu transparente dont les sucres sont mentionnés sur les étiquettes : saccharose, fructose, glucose, maltose… autant de formes de sucres ajoutés, pas toujours simples à repérer ! Selon Christophe Matthys, le système américain fournirait une meilleure alternative : « On y mentionne avec précision la quantité de sucres ajoutés que contient un produit via l’étiquette ‘added sugar’. Cette transparence n’est pas nécessairement néfaste pour l’industrie. La santé opère un retour en force, dont les spécialistes en marketing ont tout intérêt à tenir compte. »

Par Thomas Detombe

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