Matthias Somers

« Le quartier fait l’homme, peut-être plus que sa famille »

Matthias Somers Collaborateur parlementaire de Freya Van den Bossche. Il était sur les listes européennes du SP.A lors des dernières élections

Lorsque les parents déménagent d’un quartier pauvre vers un quartier riche, c’est diablement efficace pour faire grimper à leur famille quelques échelons sur l’échelle sociale, écrit Matthias Somers sur base d’une étude américaine.

La députée fédérale N-VA, Zuhal Demir, aime raconter que son père a pris la meilleure décision de sa vie le jour ou il a quitté sa citée pour « un meilleur quartier, plus blanc ». Selon elle, le fait que son père ait loué une maison quelques rues plus loin lui a permis de quitter son ancien quartier, mais aussi l’avenir que ce dernier lui réservait. Elle en est convaincue: sans cette démarche paternelle, elle n’aurait pas été ce qu’elle est aujourd’hui: bourgmestre d’un district d’Anvers et parlementaire à Bruxelles. « Le quartier fait l’homme. Peut-être plus que la famille » précise-t-elle.

Le quartier fait l’homme. Peut-être plus que la famille

Zuhal Demir

Une expérience américaine

Une récente étude de Ray Chetty, Nathaniel Hendren, et Lawrence Katz de l’université d’Harvard semble lui donner raison. Elle se rapporte à des expériences faites aux États-Unis dans les années 90. A cette époque, les autorités ont réparti, par un système de loterie et sur base volontaire, 4600 familles pauvres en trois groupes distincts.

Le premier groupe était le groupe de contrôle : pour eux rien ne changeait. Le deuxième groupe obtint des

subsides grâce auxquels les familles pouvaient déménager où bon leur semblait. Un troisième groupe a reçu des subsides pour s’installer dans un quartier plus nanti. Dans un premier temps, les adultes vivants dans un meilleur quartier se portaient mieux à la fois physiquement et mentalement. Par la suite, les résultats se nuancent et le fait de déménager vers un quartier moins pauvre montre finalement peu ou pas d’effet. Il n’en allait pas de même pour les enfants.

Les revenus moyens d’une personne qui aurait déménagé vers un quartier plus riche avant ses 13 ans sont 31% plus élevés que ceux des personnes qui sont restées dans le quartier plus pauvre.

Avec les années, les plus jeunes enfants de l’étude ont commencé à travailler. Cela a permis aux chercheurs de comparer leurs revenus avec les enfants du groupe test. Il en est ressorti que les revenus moyens d’une personne qui aurait déménagé vers un quartier plus riche avant ses 13 ans sont 31% plus élevés que ceux des personnes qui sont restées dans le quartier plus pauvre.

Subsidier une famille avec de jeunes enfants pour qu’elle emménage dans un meilleur quartier est donc, non seulement bon pour la famille, mais aussi pour l’État. Les subsides dépensés pour le déménagement étant remboursés par de plus hauts revenus. Ou autrement dit, les parents qui déménagent d’un quartier moins favorisé pour un autre mieux loti contribuent de manière très efficace à faire gagner à leurs enfants quelques échelons sur l’échelle sociale.

Comme cette expérience s’étend sur un échantillon relativement petit, Chetty et Hendren ont appuyé leur étude avec une enquête qui se base sur la vie de près de 5 millions de familles entre 1996 et 2012. Il en est ressorti qu’au plus jeune un enfant quittait un quartier défavorisé, au plus ses revenus se rapprochaient de ses congénères du même âge et natifs du quartier riche. Chaque année supplémentaire passée dans un mauvais quartier creusant au contraire l’écart.

L’avantage de l’étude sur grande échelle de Chetty et Hendren est qu’elle permet de mesurer l’impact sur, par exemple, deux enfants d’âge différents dans une même famille. On constate, là aussi, que l’effet se répète puisqu’on remarque que l’enfant plus jeune sera davantage favorisé que l’aîné. Et que cet écart se creusera d’autant plus si la différence d’âge est importante.

Le quartier fait l’homme

Chaque année passée dans un quartier déterminé rapproche donc davantage les revenus futurs d’une personne à la moyenne du quartier. Chetty et Hendren osent même donner des chiffres (qu’ils ont pu contrôler et vérifier avec différents facteurs): entre 50% et 70% des variations sur les revenus entre enfants de différents quartiers reflètent en réalité l’effet causal de grandir dans un quartier déterminé.

Au-delà de la question si une telle étude est transposable en Belgique, il semble tout de même que Zuhal Demir ait, dans le fond, raison: « le quartier fait l’homme, peut-être plus que la famille dans laquelle il grandit. »

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