© Istock

Le paradis, c’est les autres

Le bien-être a-t-il le même sens au Bouthan qu’en Belgique? Un ado trouve-t-il satisfaction aux mêmes sources qu’un vieillard? Les conclusions des spécialistes mondiaux sont presque unanimes: le secret du bonheur passe avant tout par… nos semblables.

Le bonheur… La plupart de nos contemporains (dés)espèrent qu’il leur soit livré sans délai, à domicile et en prêt-à-porter. Alors même que la notion de bonheur demeure totalement insaisissable! Oiseau dans le ciel ou paix universelle, tasse de café chaud ou gain au Lotto, il semble que « tout, ou n’importe quoi, puisse rendre les gens heureux, du moment qu’ils le désirent… ». Pourtant, depuis une petite vingtaine d’années, le bien-être subjectif (ou la satisfaction dans la vie, ou le Bonheur tout bête) est devenu le terrain d’investigations d’un nombre croissant de scientifiques « sociaux ». Ces « bonheurologues » ont étudié des gens heureux de toutes les couches sociales, de tous les âges et de tous les pays, pour constater que, finalement, leurs cobayes avaient beaucoup en commun. Les heureux, pas de doute, sont des êtres très sociables, très altruistes et très confiants. Chez eux, pas de trace (ou si peu!) d’égoïsme ou de jalousie – l’envie et la rancoeur, sentiments délétères, sont de très puissants corrupteurs du bonheur. Tous, aussi, ont appris à s’en tenir à leurs objectifs, à s’investir dans des relations, à éviter de ruminer, à pardonner, à faire travailler leur corps et leur esprit, à agir avec bonté, à savourer les plaisirs de la vie et, surtout, à s’estimer heureux…

Où trouver la force d’être ainsi, même face à l’adversité? Les scientifiques du bonheur l’ont souligné maintes fois, au cours de dizaines d’années d’enquêtes: la corrélation argent/félicité est très forte, et l’insécurité économique nuit certainement au bonheur… Mais ce dernier est à la portée de celles et ceux qui disposent de ressources matérielles suffisantes et modèrent leurs attentes. Voilà, parmi d’autres, une des certitudes absolues desdits scientifiques. D’autres questions, parfois, les laissent toutefois perplexes. Savants honnêtes qui n’imposent ni lois ni commandements, ces chercheurs balancent: avoir une descendance, par exemple, est-il garant d’une vie heureuse? Et la religion ou le mariage, rendent-ils les humains plus sereins? Les époux avec foi et enfants toucheraient-ils tous au nirvana? Sûrement pas! Chacun connaît des parents qui regrettent d’avoir engendré, des « singles » bien moins isolés que certains conjoints, et des croyants qui font pitié… Non, le bonheur est ailleurs. Il dépend de la façon dont nous puisons notre affection chez les autres, et dont nous la leur rendons. Le bonheur est notre £uvre d’art, qu’il importe de façonner chaque jour, au présent. « Si vous ne pouvez pas être heureux aujourd’hui, pourquoi pensez-vous pouvoir l’être demain? » interroge sans ménagement Gary Reker, un psychologue canadien. En attendant que ses collègues et lui apportent d’autres constats et affinent leurs recherches, voici en tout cas quelques-uns des domaines où leurs conclusions s’accordent… par bonheur.

LES RELATIONS HUMAINES

L’enfer, c’est clairement l’absence des autres. La solitude est la principale ennemie du bonheur. Retenez bien: dans tous les écrits de psychologie positive, on cherchera vainement la trace d’une seule théorie qui n’insiste pas sur l’importance primordiale des autres (conjoints, parents, amis, enfants, voisins de palier, anonymes…). Animal social, l’homme n’est pleinement satisfait que lorsqu’il est relié à d’autres individus. Il paraît donc extrêmement important de rencontrer des gens, d’entretenir des contacts, d’en créer de nouveaux, même (et surtout!) quand on n’en a pas tellement envie… La meilleure façon d’être heureux, c’est donc de se consacrer aux personnes qui vous entourent. « Soyez conscient du bien-être que vous ressentez quand vous partagez avec d’autres une vie paisible et aimante », recommande José Zaccagnini, professeur de psychologie à l’université de Malaga (Espagne).

L’ARGENT

La fortune ferait-elle le bonheur des pauvres et le malheur des riches? C’est possible… Tous les scientifiques en conviennent: la vie est bel et bien insupportable lorsqu’on n’arrive pas à subvenir à ses besoins élémentaires (disposer d’un logement décent et de nourriture en suffisance), mais, lorsque ceux-ci sont rencontrés, des hausses de revenus n’engendrent pas forcément des gains de bonheur analogues. « Dès qu’un niveau de vie raisonnable est atteint, une croissance de richesse ultérieure ne rend pas plus heureux », souligne José de Jesus Garcia Vega, du Centre d’études sur le bien-être de l’université de Monterrey (Mexique). Le passage d’un revenu faible à moyen « booste » le bonheur. Mais grimper d’un palier moyen à (très) élevé y contribue ensuite (très) peu. Certains n’hésitent pas à affirmer que se préoccuper du confort des autres, même au détriment de son propre avantage matériel, rend plus heureux que de ne penser qu’à soi.

LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE

Le Danemark et l’Islande tendent à partager avec certains pays particulièrement heureux d’Amérique latine (comme la Colombie) la conviction que si quelque chose va mal, dans la vie, il appartient à chacun d’y remédier. Toutefois, il s’agit de croire d’abord fortement en soi, et d’accorder pareillement une grande confiance à ses semblables, ainsi qu’aux institutions étatiques (gouvernement, police, système judiciaire). Etre convaincu qu’on dispose en outre d’une liberté personnelle est aussi une condition fondamentale pour trouver le bonheur. D’aucuns, comme Enkook M. Suh, professeur de psychologie à l’université Yonsei de Séoul, en Corée du Sud, vont jusqu’à conseiller aux individus de « transgresser les attentes, les règles et les normes imposées par d’autres ». Affranchissez-vous: « Ne faites pas toujours ce qu’on attend de vous! » renchérit Christian Bjornskov, professeur d’économie à l’université d’Århus, au Danemark.

LA SANTÉ

Les personnes en bonne santé ne sont pas forcément plus heureuses que les autres. Mais l’inverse est vrai: les personnes heureuses jouissent d’une meilleure santé. Alors, remuez-vous! D’innombrables études ont prouvé que l’exercice physique (qui libère des endorphines, les hormones du bien-être) peut soulager une légère dépression ou une angoisse. L’effort ne doit d’ailleurs pas être forcément long ou intense: une petite promenade de quinze minutes améliore déjà l’humeur et l’attitude face à la vie. Bougez et… dormez! Les gens heureux n’oublient pas de consacrer aussi du temps à leur sommeil et à la solitude. Et que vienne l’âge, et son cortège de handicaps, ne devrait rien y changer: des recherches ont montré que les sexagénaires et au-delà, qui ont appris, avec les ans, à gérer leurs émotions, sont souvent plus heureux que les quadragénaires.

L’HUMOUR

Les spécialistes relèvent que la moquerie, le sarcasme et l’ironie provoquent des effets négatifs durables sur l’individu. En revanche, l’hilarité, l’amusement, le plaisir, la gaieté, la joie, l’extravagance semblent intrinsèquement profitables. L’humour va-t-il jusqu’à contribuer au bonheur durable? Ils sont nombreux à nous recommander de ne pas nous prendre trop au sérieux, mais de toujours saisir l’ironie et le comique de chaque situation. « Lisez des livres intéressants, voyez des films drôles, écoutez des blagues gentilles, communiquez avec des gens positifs, recommande Elena Pruvli, de l’Ecole d’administration d’Estonie, à Tallinn. Mais évitez toute malveillance. N’encouragez pas les taquineries ou les plaisanteries humiliantes envers des cultures que vous connaissez mal… »

L’ACCEPTATION

Pour assurer sa tranquillité d’esprit, il paraît essentiel de se contenter de ce qu’on a. D’ailleurs, plus les sociétés deviennent matérialistes, moins les individus semblent satisfaits. Des tas de forces obscures ombragent nos existences: les épreuves n’épargnent personne, et toute vie est truffée d’événements désagréables inattendus. Comment se fait-il que certaines personnes acceptent leur destin, quand d’autres s’en désolent sans cesse, et d’autres encore réussissent à le prendre en main et à en tirer le maximum? Apprendre à accueillir les choses comme elles sont, surtout celles que nous ne pouvons pas changer, voilà qui est sage. Beaucoup de chercheurs soulignent qu’il est très difficile d’être heureux quand on passe du temps à ressasser erreurs passées, insultes et frustrations, ou à s’inquiéter de ce qui peut arriver demain. Il faut se concentrer sur les aspects positifs de l’existence. Se souvenir que rien n’est permanent et que tout change. Se convaincre que même si cela va mal, ça finira sûrement par s’arranger…

LA RELIGION

Les gens pieux sont-ils plus heureux? De nombreux travaux montrent que l’appartenance et l’engagement philosophique (mais non l’extrémisme religieux) ont un effet bénéfique sur le bien-être, l’estime de soi et la faculté d’adaptation. Aucune étude, cependant, n’a prouvé qu’une religion serait plus efficace qu’une autre… Il semble que ce soit le travail réalisé pour ouvrir notre conscience, afin de goûter à une paix intérieure, « qui permette, selon Thomas d’Ansembourg, ex-avocat belge apôtre de la communication non violente, de puiser dans cette ressource dont toutes les traditions spirituelles parlent, qu’elles l’appellent souffle, esprit, grâce, présence, conscience ou dieu »…

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire