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Le bonheur à tout prix

Le Vif

Nous voulons tous être heureux. À tel point parfois que cette course au bonheur nous rend… malheureux !

Je vous souhaite beaucoup de bonheur… Aujourd’hui pourtant, le bonheur est avant tout l’objet d’une quête personnelle… et le sujet d’un nombre incalculable de livres, dont quelques bestsellers. Le bonheur, c’est désormais un business, même s’il ne s’achète pas si facilement. Mais qu’est-ce donc que le bonheur ? Beaucoup voient le bonheur comme le fait de vivre des sentiments positifs. Ceux-ci sont souvent liés à la satisfaction de besoins. Ah… pouvoir démarrer la matinée avec ce café auquel vous aspirez tant ! Et meilleur sera le café, plus heureux vous vous sentirez. Dans cette vision hédoniste du bonheur, le plaisir est le moteur premier de l’activité humaine. On peut toutefois se demander si la quête de ce type de bonheur rend vraiment heureux, et si elle n’est même pas parfois immorale quand elle implique que vous satisfaisiez vos besoins aux dépens d’autrui.

Une autre vision du bonheur, qualifiée d’eudémoniste, s’inspire de la conception d’Aristote pour qui le bonheur est le but ultime de son éthique de la vertu. C’est un sentiment de félicité qui peut être atteint lorsque l’on choisit rationnellement comment agir, combiné à l’excellence physique : nous poursuivons un but qui a du sens pour nous et vers lequel nous aspirons. Si la première version du bonheur est essentiellement affaire de nombrilisme, la deuxième définition est davantage tournée vers autrui. On n’est pas heureux seul, mais avec les autres et par les autres. Dans cette définition, le bonheur va de pair avec des relations spécifiques que nous entretenons avec des personnes spécifiques. Un peu comme quand un parent éprouve un sentiment de bonheur lorsqu’il voit ses enfants jouer et se rend compte qu’ils sont heureux.

Pas des problèmes mais des défis

Tout comme avec tout dans la vie, le bonheur et la possibilité d’être heureux n’ont pas nécessairement été « distribués » de manière équitable. De nombreuses études montrent que ce que l’on appelle un affect positif est fortement lié au degré d’extraversion d’une personne, à savoir son envie de contacts sociaux et de situation nouvelles. Plus quelqu’un sera replié sur lui-même, moins il aura de chances d’être heureux. Or, tant l’extraversion que l’introversion sont des qualités génétiques. (1)

L’optimisme est aussi bon pour le bonheur. Carol Ryff de l’Université de Wisconsin a constaté qu’une personne bien éduquée (et dont les parents l’étaient aussi), de race blanche et appartenant à une classe professionnelle élevée, est en général plus optimiste. (2)

Certaines études suggèrent que les personnes en quête d’un bonheur eudémoniste gèrent différemment leurs émotions. Elles utiliseraient davantage leur cortex préfrontal, essentiel dans des domaines tels que le langage, la mémoire, la fixation d’objectifs. Ces personnes sont peut-être mieux en mesure de réévaluer des situations et d’en percevoir les aspects positifs. Elles voient un défi là où d’autres voient un problème. (3)

Un but dans la vie

Ces dix dernières années, les psychologues ont intensément étudié l’impact d’un bonheur eudémoniste ou hédoniste sur la santé physique et psychique d’un individu. Les symptômes de dépression, de paranoïa et de psychopathologie ont considérablement augmenté ces temps-ci. D’après les chercheurs de la San Diego State University, l’importance accordée au matérialisme et au statut (bonheur hédoniste) en est une des causes. (4) On peut sans cesse acquérir davantage de choses et grimper plus haut sur l’échelle sociale. S’ensuit une impression chronique de manque. Prenons-en pour exemple le domaine de l’amitié : nous profitons certes de nos amis mais nous nous efforçons d’élargir sans cesse notre cercle d’amis.

La personne qui réussit à vivre un bonheur eudémoniste voit se réduire les facteurs de risque pour sa santé. Ainsi, les personnes peu qualifiées (un facteur de risque pour la santé) qui éprouvaient un fort sentiment eudémoniste de bonheur, avaient des niveaux inférieurs d’interleukine-6 dans le sang, un marqueur associé à des affections cardiovasculaires, l’ostéoporose et Alzheimer. (5)

David Bennet, patron de l’Alzheimer’s Disease Center à Chicago a montré que les personnes qui n’avaient pas (ou n’avaient plus) de but clair dans la vie couraient deux fois plus de risques de développer la maladie d’Alzheimer. (6) Le groupe qui avait un but gardait plus longtemps la faculté d’accomplir des activités quotidiennes telles que monter un escalier, gérer ses finances ou entretenir son ménage. Sur une période de cinq ans, on y dénombrait un taux de mortalité nettement inférieur.

Court ou long terme ?

Quiconque cherche un bonheur rapidement accessible ne ressentira finalement que de la frustration. Parfois, c’est l’importance accordée à ce bonheur à court terme (qui n’est justement pas toujours à portée de main) qui nous rend malheureux. Nous avons l’impression que le bonheur est quelque chose qui va de soi si nous le cherchons suffisamment. Un peu comme si le fait de ne pas vouloir avoir un cancer suffisait pour ne pas l’avoir. Penser positivement, c’est bien mais pas si cela nous conduit à ignorer les problèmes. Parfois la réalité fait obstacle au bonheur.

Nous devons être conscients que nous ne pouvons pas toujours être heureux dans la vie. Étudier jusqu’aux petites heures en période d’examens, se lever à trois heures du matin pour un enfant malade, passer tout son temps libre à rénover sa maison… personne n’est heureux dans ces situations. En revanche, ce sentiment de bonheur, nous le connaîtrons lorsque nous irons chercher notre diplôme, que notre enfant fera ses premiers pas ou que nous pourrons enfin emménager dans notre maison. Parfois, il faut « investir » pour plus tard. Ce n’est pas toujours très agréable, mais cela donne un sentiment de plénitude, de satisfaction d’avoir donné le meilleur de soi, de se réaliser.

Et en fin de compte, ne sont-ce pas justement les expériences douloureuses qui nous apprennent le plus, nous font grandir et donnent à notre vie sa profondeur ? Les personnes qui nous inspirent le plus sont généralement celles qui vivent pour ce en quoi elles croient. Le bonheur parfait est – heureusement – inaccessible. Si nous pouvions l’atteindre, nous n’en deviendrions que plus ignorants, superficiels et égoïstes. Personne n’aime être malheureux. Mais le malheur fait partie intégrante de la vie. Si nous acceptions cela, nous serions déjà un peu plus heureux.

Un « à côté »

Soyons clairs : il n’y a aucun mal à (vouloir) être heureux. Les gens heureux sont plus sociables et ont plus d’énergie. Cependant, il importe de se rendre compte que le bonheur n’est pas toujours accessible. Et qu’il vaut mieux ne pas en faire un but en soi. Décider de faire du bénévolat dans le but de développer votre bonheur eudémoniste ne vous rendra pas plus heureux, car vos objectifs sont erronés.

Le bonheur réside dans les personnes et non dans les choses. Investir dans des relations et des projets qui vous donnent de la satisfaction, cela marche. Focalisez-vous sur vos buts plutôt que sur le bonheur. Essayez de profiter du chemin qui y mène. Ou comme le dit Nietzsche : le bonheur est possible, mais comme un « à côté », une émanation secondaire de la vie.

Mais surtout, il faut se débarrasser de la vision du bonheur comme une paix de l’âme. Il est inutile de chercher à éviter le malheur, à se détacher des choses du monde pour s’insensibiliser, ou à accueillir le malheur avec résignation. Mais comme le préconise Niezsche, considérer le malheur pour ce qu’il est : un élément de la vie. Aimer la vie, être heureux, c’est l’aimer avec le malheur qu’elle contient et le traverser pleinement. Si nous l’acceptions, nous serions déjà un peu plus heureux.

Sources : www.bodytalk.be

Par Tine Bergen

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