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La voie de la sagesse ? Renoncer à la rivalité !

En nous faisant voir en « l’autre » un modèle ou un rival, notre troisième cerveau, mimétique, peut engendrer des névroses ou des psychoses. La parade ? Apprendre à « manager » ses désirs pour se diriger vers des situations d’apaisement et de paix intérieure.

Notre troisième cerveau, par Michel Oughourlian, éditions Albin Michel, 336 p.

Pendant bien longtemps, les neurologues (rappelons que la neurologie, discipline chargée d’étudier les maladies du cerveau est née en 1687 !) ont cru que l’homme avait un seul cerveau, rationnel et cognitif, siège de l’intelligence et de la mémoire. Grâce à lui, nous pouvons bouger, marcher, sentir, voir, entendre et apprendre. Ce premier cerveau est donc d’une importance capitale, mais il n’est pas unique et ne fonctionne pas seul.

Les recherches du neurologue portugais Antonio Damasio, effectuées dans les années 1970-80, ont permis de mettre en évidence un deuxième cerveau : le limbique, impliqué dans la gestion des émotions (le stress, l’angoisse, la colère, la joie, la peur), les sentiments (l’amour, la tendresse, la haine, l’envie, la jalousie) et les humeurs (l’euphorie, l’excitation, la dépression, la léthargie).

Damasio le qualifia d’ « émotionnel » car il explique les réactions émotives et les manifestations qui l’accompagnent (face à un événement, on devient rouge ou blanc, par exemple). Les deux cerveaux, cognitif et émotionnel, sont connectés en permanence et agissent en symbiose. « Si l’émotionnel est lésé, le cognitif ne peut plus agir, souligne Jean-Michel Oughourlian, neuropsychiatre, auteur de Notre troisième cerveau. Le fonctionnement normal de l’individu ne peut plus être assuré. C’est ce qu’on appelle l’intelligence émotionnelle. »

La révolution majeure date cependant de 1996, lorsque Giacomo Rizzolatti et son équipe de spécialistes en neurosciences découvrent, grâce à l’imagerie médicale, les neurones miroirs. Ces mécanismes mimétiques enclenchent l’action des deux cerveaux et sont à la base du système par lequel les êtres humains entrent en relation les uns avec les autres. « Prenons un exemple simple, poursuit Jean-Michel Oughourlian. Quand vous avez soif, vous prenez une bouteille, vous versez de l’eau et vous buvez. Ces gestes mobilisent certaines zones de votre cerveau. Si, à ce moment-là, une personne vous regarde, ses zones cérébrales fonctionnent exactement de la même façon ! »

Suggestion et imitation

La découverte des neurones miroirs est absolument extraordinaire dans la mesure où elle prouve que nous possédons un troisième système dont on parle encore très peu. « Il fallait absolument y adjoindre ce troisième cerveau, note Jean-Michel Oughourlian, que j’appelle le cerveau mimétique ou de réciprocité. Il est le premier à entrer en action. Il joue le rôle fondamental dans les relations humaines et gère nos rapports avant que la pensée et l’émotion, donc les premier et deuxième cerveaux ne soient sollicités.

Citons un exemple très parlant. Deux hommes se rencontrent. L’un d’eux tend la main spontanément. L’autre lui tend la main à son tour. L’imitation est positive, la réciprocité est bonne. Mais il peut arriver que les sentiments deviennent négatifs. Le second refuse la main tendue, le premier se fâche et s’écrie : « Casse-toi, pauv’con ! » La main tendue du premier est une suggestion, elle est censée entraîner l’imitation du second. La suggestion et l’imitation sont partout, ce sont les deux faces d’une médaille qui s’appelle réciprocité. La réciprocité relationnelle est mimétique par essence, elle est universelle. Ce va-et-vient perpétuel est à la base de nos rapports « interdividuels » et non pas interindividuels ou intersubjectifs, car il n’y a pas deux individus isolés l’un de l’autre mais un mouvement perpétuel entre les humains qui circule de manière cinématographique, mouvante et fluide et non pas photographique ou statique.

Tous les cerveaux sont branchés et interconnectés. Un rapport entre les humains, c’est un dialogue entre cerveaux. En ce moment, je vous parle, il y a un dialogue entre nos cerveaux. Mais dans ma tête, il y a une foule de cerveaux, soumis, en permanence, à une multitude d’interactions. J’insiste : le premier mouvement est toujours mimétique et « interdividuel ». Ensuite, il « s’habille » de rationalisation intelligente et d’humeurs. Je ris, on rit, je fais une suggestion, on m’imite, ça va, ça vient, et ainsi de suite. C’est comme ça que se construit une relation. »

Le désir de l’autre

Notre cerveau reflète donc toujours celui de nos semblables. L’imitation (ou mimésis) est le point de départ de tous les rapports humains. Présente dès la naissance, elle revêt quatre formes et porte d’abord sur le paraître. Un nourrisson sourit lorsqu’on lui sourit, tire la langue lorsqu’on lui tire la langue. Vers l’âge de quatre mois, la mimésis s’intéresse à l’ « avoir ».

Le bébé veut s’emparer d’un stylo que sa mère tient en mains. Ici, entre déjà en jeu la volonté de s’approprier ce que l’autre possède. La troisième mimésis concerne l’ « être » ou l’identification. L’enfant veut s’identifier à son père, à sa mère ou à une personne de son entourage. Enfin, la mimésis va porter sur le désir de l’autre, faisant naître chez la personne un désir identique. « Le désir qui constitue mon moi est le désir de l’autre, décrypte Jean-Michel Oughourlian.

Cette altérité qui nous pétrit est la condition humaine. Notre tragédie réside dans la difficulté à accepter que le moi est un autre et qu’il est en permanence recréé par le désir de l’autre à chaque instant de sa vie. Nous ne sommes jamais les mêmes. Nous sommes différents face à notre banquier, à notre concierge ou à notre patron. Certains nous trouvent sympathique et intelligent, d’autres nous considèrent comme antipathique et nul. Une personne qui est invitée à une réception à la cour de Belgique et, le lendemain, à une réunion entre copains, n’est jamais la même. On ne joue pas un rôle, on reflète l’ambiance. Le moi est une structure flottante et changeante qui existe en rapport avec l’autre et le désir qui le constitue. »

Les maladies du désir

Schématiquement, la relation à l’autre se décline de trois manières : l’autre peut être pris comme modèle, rival ou obstacle. Dans le premier cas, le désir mimétique n’évolue pas, en principe, de façon conflictuelle. Si, par exemple, l’objet désiré est la gloire littéraire, cela peut conduire à la production de textes de plus en plus géniaux. Tout se complique lorsque l’autre est pris comme rival ou obstacle.

Le désir mimétique peut évoluer vers l’émergence de symptômes psychopathologiques, tels différents types de névroses ou de psychoses aux gradations variables et plus ou moins lourdes. « Aujourd’hui, nous assistons également à l’émergence de troubles du comportement nouveaux que j’appelle les maladies du désir, explique Jean-Michel Oughourlian. Ce sont des maladies de la relation, autrement dit des maladies purement culturelles et non pas naturelles, liées à notre culture moderne et occidentale.

L’anorexie, par exemple, illustre de manière éclatante la force du désir rival. La minceur devient une fin en soi. Une anorexique arrive à supprimer l’instinct animal. La faim, les besoins, les hommes n’existent plus. La rivalité pousse à devenir toujours plus maigre et à aller plus loin que tous les modèles. Le corps est sacrifié sur l’autel de la rivalité. L’anorexie est une arme déployée contre les autres et, vue sous cet angle-là, elle entretient des rapports avec le terrorisme.

Prenez les terribles massacres, hypermédiatisés, commis par Anders Breivik ou Mohammed Merah. Des tueurs fous se prennent mutuellement pour modèles et veulent rivaliser avec le leur : faire plus et plus horrible que lui. La réalité matérielle se dissout, un être humain, un enfant, la vie d’autrui n’ont plus aucune importance. Tout est « chosifié ». Ce qui compte, c’est la passion rivale, la lutte à mort avec le modèle-rival. »

La solution est dans la sagesse

Peut-on venir à bout de ce désir mimétique qui peut s’avérer, parfois, dévastateur ? La réponse est oui. Guérir consiste à apprendre le contrôle des mécanismes mimétiques dont nous sommes les jouets et à surmonter les rivalités qui nous enferment dans une prison. « Il faut éduquer son désir, conclut Jean-Michel Oughourlian. La sagesse consiste à désirer ce que l’on a déjà au lieu de se concentrer sur ce que l’on n’a pas. Comme le dit saint Augustin : « Le bonheur, c’est de continuer à désirer ce que l’on possède. » Je conseille toujours de relire les grands écrivains romanesques qui sont plus psychologues que les psychologues diplômés. Voltaire, par exemple, nous apprend par la bouche de Candide que c’est en cultivant son jardin que l’on porte remède à la tristesse, à l’envie et à la jalousie. C’est ainsi qu’on devient sage et serein. Pour y parvenir, il faut effectuer un travail sur soi-même, se faire aider par une psychothérapie qui s’adresse uniquement au troisième cerveau, telle l’hypnose ou l’EMDR (bouger les yeux pour guérir l’esprit). Cette démarche initiatique conduit vers l’apaisement, l’harmonie et la paix avec soi-même et les autres. »

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