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La violence entre parents, une maltraitance souvent oubliée

Muriel Lefevre

On pense souvent, à tort, que la violence entre adultes ne laisse pas de trace sur les petits enfants. Qu’ils l’oublient, n’en ayant pas été eux-même les victimes directes. Or, grandir avec des parents qui se brutalisent, est souvent une forme ignorée de maltraitance infantile.

De son enfance, elle se souvient surtout de son père qui ne cessait de dire que sa mère était une pute. Parfois, il était ivre, mais pas toujours. « C’est bien simple, je n’ai plus aucun souvenir de conversations normales avec lui. » Grandir dans une maison où il y a beaucoup de disputes et d’agressivité, laisse des traces comme le témoigne Sara dans De Morgen.

« Le pire, c’est la nuit où la porte de la chambre était fermée à clé et où je n’arrivais pas à les joindre. Souvent prise de panique, j’hyperventilais . J’avais si peur que ma mère ne survive pas à cette violence. »

Sara raconte aussi la difficulté pour une enfant de demander de l’aide. Enfant, elle s’est rendue régulièrement chez le pédopsychiatre, envoyée par sa mère. Elle se taisait et se contentait souvent de pleurer. « J’espère que les travailleurs sociaux s’en rendent compte qu’un enfant ne raconte pas si facilement ce qui se passe à la maison. » C’est pourquoi elle plaide aujourd’hui pour que ces derniers tiennent davantage compte quand l’enfant prend ce genre d’initiative. Mais aussi qu’ils fassent savoir régulièrement qu’ils veulent écouter et que leur porte est ouverte. « Ainsi, un enfant peut trouver un moment approprié pour se confier ».

Une fois, elle raconte à sa directrice d’école que son père frappe sa mère. Celle-ci se contente d’aller voir les parents qui nient tout en bloc. Les gens ne s’attendaient pas non plus à ce qu’il y ait de la violence chez elle, dit Sara. Ses parents étaient riches et recevaient les gens dans le village. « J’ai toujours eu l’impression que les gens soupçonnaient que quelque chose n’allait pas, mais ne faisaient rien. Les éducateurs de l’internat, les professeurs de l’école, les amis de mes parents : ils ont dû voir que j’étais une enfant malheureuse, non ? »

Une forme de violence infantile souvent ignorée

Chandra Ghosh Ippen, sommité dans le domaine de la violence familiale depuis des décennies et qui a écrit sur ce sujet le livre Don’t Hit My Mommy, pense qu’environ un enfant sur dix en Europe vit dans cette forme relativement ignorée de maltraitance. « Les conséquences sont souvent sous-estimées. Les parents pensent que les enfants oublient la violence, mais ce n’est pas le cas. Le souvenir du traumatisme demeure, selon elle, même chez les plus jeunes enfants. Entre la première et la troisième année de vie, le cerveau se développe le plus rapidement, c’est alors que se forment les systèmes de réponse au stress les plus importants. »

L’exposition à la violence peut affecter les enfants de diverses manières, dit encore l’expert. Elle parle de problèmes d’élocution, de concentration et de comportement. « Grandir avec la violence signifie que les enfants ont une vision complètement différente d’eux-mêmes et du monde. Elle influence aussi leur façon de gérer la tristesse, la colère et la frustration. Sans aide, il peut être très difficile pour eux d’être confrontés à ce genre de sentiments. Certains se taisent complètement, d’autres réagissent avec violence. »

C’est pourquoi elle plaide que l’on organise des thérapies familiales qui regroupent les très jeunes enfants qui sont ou ont été témoins de violence domestique avec leurs parents. « Plusieurs études ont déjà montré que les conséquences d’un traumatisme peuvent être considérablement réduites ainsi. » Selon elle, cela profite aussi à la relation entre les deux parents. « Nous travaillons étape par étape. Les parents sont souvent très disposés à coopérer. Ils sont, la plupart du temps, eux aussi demandeurs pour briser le cycle de la violence. » Ghosh Ippen essaie de découvrir quels sont les traumatismes des parents eux-mêmes, comment ils les ont influencés. « Ils veulent souvent faire beaucoup de choses différemment, pour eux-mêmes, mais aussi pour leurs enfants. »

Quand Sara a eu 8 ans, ses parents l’ont envoyé en pension. Sa mère pensait que c’était mieux pour elle, plus sûr aussi. Sara doute encore que c’était la meilleure solution. Chaque semaine, elle décomptait les heures et chaque vendredi elle craignait de retrouver sa mère morte. Elle va couper les ponts à seize ans. Depuis lors, elle n’a eu aucun contact avec son père. De temps en temps, elle voit sa mère.

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