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La thérapie en ligne, une révolution pour la santé mentale ?

Stagiaire

Les nouvelles technologies révolutionnent de plus en plus de secteurs. Celui de la santé mentale ne fait pas exception. Chat, vidéoconférence, aide via une application… les formes que peut prendre le contact avec son psy sont nombreuses aujourd’hui. On fait le point.

Plusieurs dispositifs existent aujourd’hui pour permettre aux professionnels de la santé mentale d’apporter des soins à leurs patients à distance, grâce aux technologies de communication. Pourtant, l’utilisation des nouvelles plateformes pour les soins psychologiques demeure relativement peu courante. À titre d’exemple, dans le traitement de la dépression et de l’anxiété, les produits de l’e-santé mentale ne sont utilisés que dans 8% des cas en Europe centrale.

Des avantages pratiques

Pourtant, l’e-thérapie offre certains avantages indéniables aux patients : économiser le temps et l’argent d’un déplacement, pouvoir consulter quand on le souhaite et d’où on le souhaite. Bien souvent aussi, obtenir une consultation assez rapidement.

L’e-thérapie peut se révéler très utile dans certaines situations spécifiques : pour des pathologies telles que l’agoraphobie, mais également pour contrer certains facteurs environnementaux. La thérapie à distance permet de fournir une offre de soins parfois absente dans certaines zones rurales. Elle permet aussi à des patients de garder un contact avec leur thérapeute s’ils quittent leur communauté.

C’est le cas de Marie, qui vit en tant qu’expatriée aux Émirats arabes unis depuis trois ans. Elle a repris contact, via Skype, avec une psychologue qu’elle connaissait en Belgique. Ne pas avoir à se déplacer jusqu’à un cabinet représente définitivement un avantage aux yeux de Marie. Pour elle, c’est surtout dans « l’après » que cela compte : « une fois que c’est fini, j’étais chez moi, et ça avait quelque chose de confortable de pouvoir m’installer dans le fauteuil, laisser percoler la séance », nous confie-t-elle. « Parce que quand tu es dans le cabinet, une fois que c’est fini, tu dois reprendre ta voiture et faire 20 minutes pour rentrer chez toi. Et des fois, tu es dans un état émotionnel où tu as envie de te poser. C’était vraiment pour moi le grand point positif de pouvoir me poser à la fin de la séance, calmement ».

« Je pense qu’il y a un marché à pendre pour les expats et pour les personnes qui ne savent pas se déplacer ». La thérapie à distance permet de contourner à la fois des barrières géographiques, mais aussi linguistiques : « ça peut arriver, dans la vie de tout le monde, de se dire j’aurai bien besoin d’une aide pour le moment, et parfois tu es limité quand tu es expat par le nombre de personnes qui pratiquent ta langue. Même si je parle anglais, je n’aurai pas été assez à l’aise pour avoir des entretiens avec une psy en anglais. »

Cette possibilité de consulter via Skype, « c’est un service, c’est vraiment un plus et ça n’enlève pas grand-chose. Je n’ai pas trouvé, dans la thérapie proprement dite, des difficultés liées à cet éloignement », affirme Marie.

Une efficacité thérapeutique

Si l’e-thérapie n’est pas encore connue à grande échelle, elle fait déjà l’objet de considérations et d’études scientifiques. C’est d’ailleurs l’objet du projet E-MEN, qui rassemble plusieurs experts européens autour de l’innovation et des technologies dans le secteur de la santé mentale. Lors d’un colloque au mois de février, le professeur Chris Gastmans, chercheur sur les implications éthiques de l’e-santé mentale, est revenu sur plusieurs de ces avantages pratiques, mais aussi thérapeutiques.

D’après le professeur, l’e-thérapie permet de poser un diagnostic fiable sur des troubles psychiatriques communs. La littérature scientifique ne constate pas de différence significative au niveau des résultats entre la télépsychiatrie et la consultation en face à face. Toutefois, s’il n’y a pas de différence flagrante quant aux résultats, on ne peut pour autant pas affirmer que c’est plus efficace thérapeutiquement. « On sait que c’est tout aussi bien, ou presque, que les consultations en face à face », souligne le chercheur.

L’un des inconvénients majeurs de l’e-thérapie, pour le Pr Gastmans, est que le thérapeute n’a pas accès à toute une série de signes visuels et auditifs du langage non verbal, pourtant nécessaires pour cerner le patient. « Il y a des informations qui ne peuvent être ressenties et observées que lorsque le thérapeute se trouve dans la même pièce. » Le chercheur insiste : « Il est important, aussi, de prendre en compte le corps dans l’e-santé ». De sa propre expérience, c’est aussi le constat que pose Marie : « l’image, c’est vraiment important. Je pense que par téléphone, ça enlève vraiment des outils pour le thérapeute. Parce que le non verbal, le visage, les expressions, c’est quand même très précieux. »

Finalement, Marie est sortie très satisfaite de cette thérapie à distance, « vraiment efficace ». Elle recommanderait cette méthode « même à des gens qui ne vivent pas à l’étranger. Parce que finalement, a posteriori je me suis dit « tiens quel serait l’apport d’une visite en cabinet que je n’ai pas eu ici ? » Et, d’un point de vue thérapeutique, je ne le voyais pas ».

Des défis éthiques

D’un point de vue éthique, « il y a des problématiques qui sont évidentes et auxquelles il faut faire attention », prévient le professeur Gastmans. « Comme la vie privée, la confidentialité des informations, le consentement informé, etc. Mais il y a aussi des problématiques éthiques plus fondamentales », avertit le chercheur. « C’est par exemple, est-ce que l’utilisation des techniques de l’e-santé réduit le sentiment de responsabilité du soignant, et quels sont leurs impacts sur la dynamique de la relation de soin ? » Car, comme le rappelle le professeur, la relation entre le thérapeute et le patient « est un outil en soi et peut avoir une influence sur les résultats du traitement. »

Par ailleurs, la littérature scientifique fait aussi état de « sentiments inconfortables des patients et des psychiatres, comme une baisse de confiance dans le diagnostic, une diminution du sentiment de contrôle… » Ce qui pousse le professeur Gastmans à conclure : « on ne devrait pas remplacer la consultation en face à face par l’e-thérapie, mais on devrait intégrer l’une à l’autre. Et ensemble, cela peut constituer des soins de qualité. »

Vérifier l’identité de son interlocuteur, c’est possible ?

En Europe, ces offres de soins à distances sont relativement récentes, et toutes leurs applications et implications n’ont pas encore été étudiées à ce jour. En Belgique, la Commission des Psychologues, l’organe compétent pour la déontologie et le titre des psychologues, ne s’est pas encore positionnée sur ces questions. Néanmoins, « cela fait partie de nos centres de préoccupations actuels« , certifie son Service d’étude. Des recommandations sont en préparation et seront prochainement adressées aux psychologues. « Ça restera de grandes lignes directrices pour pouvoir encadrer la relation thérapeutique et la façon dont le psychologue se présente pour que ça respecte la dignité de la profession. Mais il faut que le psychologue puisse conserver son autonomie dans les initiatives qu’il prend », rappelle la représentante du Service d’étude.

Savoir qui est la personne à qui l’on s’adresse et quelles sont ses qualifications est parfois plus difficile lorsque l’on communique par écrans interposés. Psychologue ou psychothérapeute, quelle différence ? « Seuls les psychologues agréés peuvent vous apporter la certitude qu’ils ont reçu la formation adéquate et sont liés au code déontologique », prévient la Commission des Psychologues dans son dernier rapport. Les dispositions du code déontologique assurent certaines garanties au patient, que ce soit en cabinet ou à distance, notamment vis-à-vis de ses données personnelles. Elles affirment entre autres la responsabilité du psychologue quant à ses démarches et méthodes utilisées, et rappellent que « le psychologue évite l’usage abusif et mercantile des connaissances psychologiques ».

Les psychologues agréés sont repris sur une liste officielle de la Commission l’on peut facilement consulter. «  On essaye de se rendre visible pour qu’il y ait vraiment un réflexe, chez un patient potentiel, d’aller vérifier l’agrément d’une personne, l’enregistrement sur le site de la personne qu’il souhaite consulter », développe la responsable de la Commission.

Responsable de la protection du titre de psychologue, la Commission veille également aux abus potentiels sur les sites internet et les moteurs de recherches. Elle peut, le cas échéant, entreprendre des actions judiciaires contre ces personnes (actions qui peuvent aboutir à la fermeture de plateformes).

L’e-thérapie en Belgique

Caroline Eloy, psychologue spécialisée dans les psychopathologies liées au travail, est la fondatrice de « MyPsy.be ». Première plateforme belge d’e-tharpie, mypsy rassemble des psychologues cliniciens dont le profil peut être consulté par le patient avant de prendre directement rendez-vous avec l’un d’eux. Les échanges se font par vidéoconférence, pour des tarifs allant de 40 à 70€. Des consultations bientôt remboursées par les mutuelles, tout comme celles effectuées en cabinet.

« Quand j’ai créé mypsy, j’étais enceinte et je voulais pouvoir donner des consultations tout en m’occupant de mon enfant. J’ai réfléchi à plusieurs options », explique Caroline Eloy. Elle a envisagé l’idée des consultations via Skype, mais découvert que la plateforme «  n’offre pas les conditions de sécurité qui sont nécessaires pour les consultations psychologiques. Donc j’ai fait des recherches et j’ai trouvé un système ultra-sécurisé que j’ai implémenté sur la plateforme mypsy.be et qui donne les garanties de confidentialité et de sécurité pour les patients. »

Depuis janvier 2017, 215 patients se sont inscrits sur la plateforme, pour des consultations qui varient entre 10 et 20 par mois. « Quand le patient expose sa problématique lors de la première consultation, le psychologue détermine si la vidéoconférence peut se prêter à cette problématique et au traitement que le psychologue envisage de lui proposer ».

Une équipe de quinze psychologues sont actifs, bien qu’ils soient une cinquantaine d’inscrits. Certains attendent que la plateforme génère plus de trafic. « C’est un réseau moyennement étendu et qui s’agrandit jour après jour, en fonction de la demande et aussi du changement des mentalités », explique la fondatrice. « Parce que tout le monde n’est pas encore prêt à faire confiance aux nouvelles technologies dans cette matière-là donc il y a aussi un travail de changement des mentalités à effectuer ».

« Une personne sur trois en Belgique a besoin d’une aide psychologique »

« En Belgique c’est encore tabou de consulter un psychologue », constate Caroline Eloy. Et face à cela, un autre avantage à la consultation en ligne : « il y a tout ce côté tabou qui n’est pas encore libéré en Belgique, donc vraiment, c’est le côté discrétion qui ressort comme avantage principal de la consultation par vidéoconférence. »

Lancer la plateforme mypsy était donc une solution pour « pouvoir offrir une aide psychologique aux personnes qui n’ont pas les moyens ou la possibilité de se rendre en cabinet ou qui ont un stress ou une angoisse par rapport à la consultation en cabinet », ajoute sa fondatrice. « Il faut savoir quand même qu’une personne sur trois en Belgique manifeste un besoin d’aide psychologique, mais ne consulte pas. C’est énorme. Donc c’est vraiment aider toutes ces personnes-là en offrant une alternative à la consultation en cabinet ». Et du côté des psychologues, « c’est leur offrir une meilleure visibilité et aussi une meilleure image de la profession de psychologue en Belgique. Le côté tabou et l’image du psychologue en Belgique tout ça doit être travaillé. Et changer les mentalités, c’est vraiment l’objectif de mypsy.be ».

Les sites et applis d’assistance psychologique, mieux que rien ?

Les experts semblent s’accorder sur ce point : une assistance à distance fournie par un professionnel, même minime, est toujours mieux que rien. SMS, applications et sites internet sérieux peuvent donc apporter une aide d’une réelle valeur aux patients. Et ils représentent parfois un premier pas vers une thérapie « classique ».

La fondatrice de mypsy nous explique qu’aux États-Unis « l’association des psychologues dit que même si c’est des contacts par SMS, il faut évidemment qu’il y ait une relation thérapeutique entre le patient et le psychologue, qu’on puisse vérifier l’identité du psychologue, et que la relation pécuniaire soit raisonnable et proportionnelle aux services offerts, mais c’est toujours mieux que rien », développe Caroline Eloy. « C’est-à-dire que même une aide minime par SMS c’est mieux que pas d’aide du tout. Donc je pense que dans les prochaines années, la Commission des Psychologues de Belgique pourrait aller vers des guidelines qui soient similaires à celles de l’association américaine ».

Oriane Renette

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