Quatre bègues célèbres qui ont pu trouver d'autres voies pour s'exprimer. © REPORTERS

La Rilatine au secours du bégaiement ?

Le Vif

Selon une étude de l’ULB et de la VUB, le médicament décrié aurait un effet positif sur le bégaiement. Mais lui seul ne suffira pas. Le bégaiement est un phénomène complexe que la science peine encore à expliquer.

 » Un jour, je reçois un coup de fil d’un collègue de la VUB, le professeur Devroey, qui m’informe qu’ils ont analysé l’impact de la Rilatine sur la concentration des étudiants pendant le blocus. Ils avaient demandé à une vingtaine d’étudiants de participer à la recherche et, dans ce groupe, il y avait un étudiant bègue qui a affirmé qu’avec la Rilatine, il bégayait moins. Le professeur Devroey m’a demandé s’il existait des études sur l’effet de la Rilatine sur le bégaiement, et j’ai répondu non.  » Voilà comment Henny Bijleveld, professeure de neurolinguistique à l’ULB, raconte l’origine de la recherche qui l’occupe, ainsi que Dirk Devroey et un étudiant de la VUB, Jelle Nasser, depuis 2014.

La grande majorité des bègues sont des hommes

La Rilatine est habituellement prescrite aux enfants atteints d’un  » trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité « . Dans une première phase de leur étude, menée auprès de quinze adultes bègues, les chercheurs bruxellois ont constaté une diminution significative des moments de bégaiement après une seule prise du médicament (en moyenne huit moments par minute d’expression spontanée après la prise, contre 19 auparavant). Dans une seconde phase, des prises quotidiennes observées pendant deux semaines n’ont plus montré d’effet significatif. Enfin, dans une troisième phase qui s’est achevée cet été, les chercheurs se sont attachés à reconnaître les types de bègues à qui la Rilatine serait bénéfique. Pour ce faire, ils ont soumis un questionnaire détaillé à dix-neuf des participants aux deux premières phases.  » Les patients qui présentent des blocages et des tensions musculaires pourraient bénéficier de ce médicament. Ceux qui s’expriment avec des répétitions, avec un aspect émotionnel plus fort, en bénéficient moins « , résume Henny Bijleveld.

Le conditionnel reste de mise. Il faudrait vérifier ces observations sur une plus grande population, plaident les chercheurs.  » Mais on ne trouve pas facilement de candidats, regrette Henny Bijleveld. Il y a une forme de méfiance à l’égard des médicaments qui peuvent agir sur le cerveau.  » David Siciliano, lui, n’a pas hésité longtemps. Agé de 43 ans, ce réparateur de machines à café bégaie depuis ses 5 ans. Il a découvert la Rilatine fin 2014.  » C’est ma femme qui a lu un article sur cette étude sur le site Internet du Vif/L’Express, raconte-t-il. Au point où j’en étais, je voulais essayer. Madame Bijleveld a voulu me parler, connaître mes motivations. Après, j’ai vu un professeur néerlandophone qui travaille avec elle. Il y avait un suivi. Madame Bijleveld filmait mon évolution. Elle était étonnée du résultat.  » David ne regrette pas d’avoir tenté l’expérience.  » Je n’avais plus peur de parler aux gens. Dans les magasins, c’était moi qui commandais. Avant, c’était tout le temps ma femme. Le médicament m’a donné de la confiance en moi. Depuis, quand je bégaie beaucoup, j’en prends pendant un mois. Maintenant, c’est notre médecin de famille qui le prescrit. Avec ça, je me sens plus calme, ma parole est plus fluide.  »

La Rilatine, pourtant, n’a pas bonne presse. Proche de l’amphétamine, elle connaît un certain succès comme produit dopant dans les écoles et les universités. En 2017 encore, la Mutualité chrétienne s’inquiétait de sa surconsommation (2 % des enfants belges de 6 à 18 ans si on ne compte que les volumes remboursés) et rappelait ses effets secondaires potentiels : troubles du sommeil, perte d’appétit, dépendance… David sait cela.  » Je ne prends qu’un comprimé par jour, précise-t-il. Je pourrais en prendre deux, mais je ne veux pas devenir dépendant. Au bout d’un mois, quand j’arrête d’en consommer, je me sens nerveux pendant une semaine. C’est comme une drogue douce. Mais ça me fait du bien. Avant la Rilatine, j’estimais que je parlais bien à 40 %. Maintenant, je dirais 70 %. Avant, je préférais parler aux gens en face. Maintenant, au téléphone, c’est plus facile.  »

Une prédisposition ?

Eviter les communications téléphoniques est un comportement répandu parmi les personnes bègues. Selon Henny Bijleveld, le bégaiement touche 5 % des enfants et 1 % des adultes. Des chiffres stables, déclare-t-elle. Dans l’ouvrage Les Bégaiements (2015) qu’elle cosigne avec la logopède Françoise Estienne (UCL), la neurolinguiste formule l’hypothèse d’une prédisposition : chez les bègues, les neurotransmetteurs produiraient trop de dopamine. D’où l’intérêt de la Rilatine, qui bloque les récepteurs de dopamine. Puis, souvent entre l’âge de 3 et 5 ans, survient un événement déclencheur : une séparation, une personne ou une situation ressentie comme anxiogène. A ce stade, il ne faut pas prendre pour du bégaiement de simples hésitations dues au développement du langage. Le bégaiement, lui, s’accompagne de spasmes, de tensions musculaires. Inconsciemment, l’enfant bègue se concentre sur sa parole, développe des stratégies d’évitement et, si rien n’est fait, s’enfonce dans une spirale négative qui finit par empoisonner sa vie sociale.

Mais au-delà de ce schéma classique, de nombreuses questions restent sans réponse. Les auteures alignent les exemples :  » Comment expliquer que chaque enfant puisse présenter un bégaiement différent du point de vue des symptômes (un tel répète des consonnes, un autre les voyelles, un troisième bloque et un quatrième montre tous les symptômes) ? Comment expliquer que telle personne ne bégaie pas dans une autre langue, tandis qu’une autre personne rencontre plus de difficultés dans une langue seconde ? Comment est-il possible que, malgré tant de recherches dans différents domaines (psychologie, neuroanatomie, génétique), nous ne connaissions toujours pas les origines de ce trouble ?  »

Autre constat inexpliqué : la grande majorité des bègues sont des hommes. Même si, en Flandre, les bègues ont une nouvelle ambassadrice en la personne de Sophie Peeters. En mars dernier, cette puéricultrice de 28 ans a participé à l’émission de télévision Vandaag over een jaar, où des individus lambda viennent exposer s’ils ont atteint l’objectif qu’ils s’étaient fixé un an plus tôt. Sophie cherchait un amoureux. Elle n’a pas réussi son pari, mais elle a séduit tout le monde par sa bonne humeur et son courage.  » Je bégaie depuis mes 5 ans, confiait-elle dans Het Laatste Nieuws. J’étais proche de notre voisin. Quand il est mort, j’ai eu un choc. Et tout d’un coup, je me suis mise à bégayer.  »

David Siciliano, lui, n’a pas gardé le souvenir d’un événement déclencheur.  » Ma mère dit que c’est à cause d’une peur, mais je ne m’en souviens pas. Jusqu’à mes primaires, ça allait. Mais en secondaire, il y a eu plein de moqueries. On me faisait dire mon nom et mon prénom, exprès. Je me mettais en retrait. Je brossais.  » Après sa scolarité, David a transité par pas mal d’entreprises. Un jour, devant un recruteur, il a spontanément demandé si son bégaiement était un problème. Et il a été engagé.  » A partir de ce moment-là, quand je me présentais pour un boulot, je commençais par parler de mon bégaiement. Après, j’étais plus calme. Aujourd’hui, avec mes collègues, ça se passe bien.  »

Colin Firth incarne le roi bègue George VI dans Le Discours d'un roi.
Colin Firth incarne le roi bègue George VI dans Le Discours d’un roi.© DR

Une panoplie de méthodes

Depuis l’Antiquité, toutes sortes de traitements sont proposés aux bègues. D’abord, il y eut les onguents pour soigner les langues trop sèches. Puis, les coups de bistouri des premiers chirurgiens, toujours dans la région de la langue. Freud affirma que la psychanalyse n’aiderait pas les bègues, mais ses successeurs tentèrent de le contredire. Sans oublier la panoplie des méthodes visant à contrôler la respiration et le rythme des mots. De nos jours, la plupart des enfants bègues passent par la case logopédie. David y a eu recours, lui aussi. Et comme bon nombre de petits bègues, il a constaté qu’il parlait beaucoup mieux dans le cabinet de la logopède, mais que ses problèmes recommençaient à l’extérieur. Plus tard, il a aussi testé la fameuse méthode Impoco, qui se caractérise par l’association de chaque syllabe à une contraction musculaire. Un stage de trois jours en France dont il garde un mauvais souvenir :  » Il fallait parler comme un robot, ce n’était pas beau à voir.  »

David a aussi participé à un atelier théâtral organisé par l’association parole bégaiement Belgique. Car c’est une autre caractéristique inexpliquée : les bègues parlent mieux quand ils changent leur voix, quand ils chantent ou quand ils jouent un rôle. D’où les nombreux artistes bègues. Arno, par exemple.  » C’est sans doute pour ça que je fais de la musique : pour réussir à m’exprimer, révélait le chanteur dans Les Inrockuptibles, en 1999. On m’a signalé que Winston Churchill avait le même problème que moi. J’ai toujours pensé que les personnages publics ne le devenaient pas par hasard : on a tous un truc à régler.  »

Dans leur ouvrage Les Bégaiements, Henny Bijleveld et Françoise Estienne plaident pour la thérapie cognitive. En deux mots : accepter son bégaiement, ce qui amène une détente et une amélioration spontanée de la parole. Avec ou sans médicament, l’essentiel n’étant pas là. François Bayrou, autre bègue célèbre, rapportait à peu près la même chose dans la préface du livre-témoignage de William Chiflet, Sois bègue et tais-toi, en 2014 :  » L’essentiel est dans le traité de paix que l’homme réussit à passer avec l’enfant qui vit en lui. Le chemin de la paix déclarée avec l’ennemi intérieur […], c’est de regarder les autres au lieu de s’obséder sur soi-même. Créer le mouvement, et qu’importent les blocages, oser, et qu’importent les petites humiliations.  »

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