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La libido n’a pas d’âge

Le Vif

Dans nos sociétés, le sexe est constamment associé à la jeunesse. Et pourtant, la libido n’a pas d’âge. Encore faut-il apprendre, au fil du temps, à faire l’amour « autrement ».

Avec l’âge, le sexe compte-t-il de moins en moins ? Rien n’est moins sûr ! Une enquête publiée il y a quelques années dans le New England Journal of Medecine montrait que 26 % des 75-85 ans avaient encore au moins un rapport sexuel par an, ce chiffre s’élevant à 53 % chez les 65-74 ans. La sexualité est donc parfois moins fréquente, mais elle ne disparaît pas. Dans son livre « Sex & Sixty » (Robert Laffont/Versilio, 2015), la psychologue et psychothérapeute Marie de Hennezel rappelle pour sa part que 36 % des personnes âgées de plus de 65 ans souhaiteraient que l’amour soit une source de plaisir physique mais qu’il ne l’est que pour 12 % d’entre elles !

Si le désir est bien là, la satisfaction, elle, n’est donc pas toujours au rendez-vous. Et pour cause : omniprésente dans les médias, la sexualité y est traitée de manière stéréotypée. Corps jeunes et minces, positions acrobatiques, orgasmes à tout prix : difficile de se reconnaître dans cette vision normative quand on a de l’arthrose, des rides et quelques « pannes ». « Si on reste dans une vision de la sexualité performance, on est foutu ! Il faut évoluer d’une sexualité génitale vers une sexualité plus érotique. Les éléments comme la lenteur, la tendresse, la présence charnelle à l’autre prennent beaucoup d’importance avec le temps », explique Marie de Hennezel.

La vraie jouissance après 60 ans ?

Dans les traditions orientales – où sont nées les pratiques tantriques -, l’âge n’est d’ailleurs pas considéré comme une barrière, rappelle la psychologue. « Il s’agit de prendre son temps et d’oublier la destination. C’est le voyage érotique qui compte, pas l’aboutissement. Et ce voyage est un voyage sensuel. La peau est équipée de capteurs sensoriels multiples. Pourquoi ne pas prendre le temps d’éveiller lentement toutes les zones érogènes du corps, de les caresser de toutes les manières possibles ? », suggère-t-elle dans son ouvrage. Si on veut préserver sa vie sexuelle, il faut explorer d’autres voies, sans nostalgie pour ses vingt ans ! « La sexualité évolue et si on suit ces évolutions, elle peut durer toute la vie », affirme Marie de Hennezel.

Les capacités d’excitation, de lubrification et d’érection tout comme les manières d’avoir du plaisir ne sont certes plus les mêmes. Mais d’autres découvertes sont au rendez-vous, comme le suggèrent les témoignages qu’elle a rassemblés, dont celui de l’actrice Macha Méril qui affirme que « la vraie jouissance ne se découvre qu’après 60 ans ». « À cet âge, on dispose aussi de plus de temps et de disponibilité que les jeunes. La maturité rend aussi plus indulgent avec les autres et avec soi-même, ce qui est propice à l’épanouissement sexuel », poursuit Marie de Hennezel.

Malheureusement, dans nos sociétés, la sexualité des seniors reste un sujet hautement tabou. On en parle peu, on ne la représente pas et, quand on l’aborde, c’est souvent avec un sourire en coin ou une mine de dégoût… « Les stéréotypes associent la personne âgée à un individu angélique ou, au contraire, à un individu en décrépitude. Dans un cas comme dans l’autre, cela évacue la question de la sexualité », explique Sandrine Cesaretti, chargée de projet à « Espace Seniors ».

Ménopause, un tournant…

L’ignorance quant aux réalités de la sexualité après 50 ans est d’ailleurs très grande ! Le Pr Serge Rozenberg, gynécologue au CHU Saint-Pierre, déplore ainsi le manque d’information des femmes quant aux conséquences de la ménopause sur leur sexualité. « Outre les désagréments bien connus comme les bouffées de chaleur, la ménopause a aussi un impact direct sur la sphère uro-génitale, avec un risque d’atrophie vaginale lié à la carence en oestrogènes. C’est un phénomène qui s’installe insidieusement », explique-t-il. Sécheresse vaginale, infections à répétition, incontinence d’urgence et douleurs lors des rapports : l’atrophie vaginale conduit de nombreuses femmes à appréhender les rapports sexuels. « Certaines finissent par renoncer à toute sexualité, alors qu’il existe des traitements », précise le Pr Rozenberg.

Encore faut-il pouvoir aborder ce sujet en consultation, ce qui demeure très compliqué. « Les femmes vieillissent sexuellement mieux que les hommes, rappelle pourtant Marie de Hennezel. Elles sont douées pour cette sexualité différente, plus érotique. Ce sont elles qui vont pouvoir aider les hommes, les rassurer, leur montrer comment faire autrement, à un moment où ceux-ci sont souvent dans l’angoisse de la performance. »

La sexualité, espace de liberté ?

Dans une société où les couples se font et se défont, les seniors se retrouvent aussi plus fréquemment célibataires. « Aujourd’hui, beaucoup de couples se remettent en question au moment de la retraite ; certains décident de se séparer mais sans avoir l’intention de renoncer à la sexualité. Et beaucoup n’hésitent plus à fréquenter les sites de rencontres », raconte Marie de Hennezel. Tous n’y trouvent pas le grand amour mais des aventures naissent. Ce qui pose aussi la question de la protection face aux maladies sexuellement transmissibles, une menace longtemps considérée comme étant réservée aux jeunes. « Depuis le début des années 2000, les cas de VIH sont en recrudescence chez les plus de 50 ans », explique Thierry Martin, président de la Plate-Forme Prévention Sida. Pour autant, acheter et mettre un préservatif n’est pas toujours évident pour ces seniors ! « Quand nous faisons des distributions de préservatifs, les plus âgés nous disent souvent : ‘Merci, je les donnerai à mon petit-fils !’ Comme si ça ne pouvait pas les concerner… »

La question de la poursuite d’une vie sexuelle se pose jusque dans les maisons de repos, où les règlements d’ordre intérieur garantissent « le respect de la vie sexuelle et affective de la personne âgée et de son orientation sexuelle ». Mais en pratique, les choses se révèlent souvent plus compliquées… Certains couples entrent ensemble en maison de repos tandis que d’autres se forment. Hétéro ou homosexuels.

Quant à la sexualité solitaire, plusieurs études montrent que la masturbation augmente en fréquence chez les personnes âgées. Arriver « au mauvais moment » peut donc être très gênant, aussi bien pour le personnel que pour le résident. « Le personnel des maisons de repos est très demandeur d’informations car il est confronté à de nombreuses situations où ce respect de l’intimité côtoie des enjeux de sécurité, de communication avec la famille, etc. », explique Sandrine Cesaretti. C’est pourquoi il est aujourd’hui essentiel d’anticiper les situations délicates : protéger l’accès aux chambres (ne pas entrer sans frapper par exemple, donner la clef au résident quand c’est possible) mais aussi faciliter l’accès à des chambres doubles ou communicantes pour les couples. Car même en institution, la sexualité demeure un moyen de se sentir autonome, vivant, libre. Autrement.

Par Julie Luong

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