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La jalousie, ciment du couple ou poison ?

Le Vif

Elle s’infiltre dans la moindre brèche, transforme un doute en certitude, la peur en panique, la passion en cauchemar. Où commence la crainte légitime, où bascule-t-on dans le fantasme ?

La jalousie, ciment du couple ? Ce serait un peu court. Pour un homme comblé, combien de valises jetées par la fenêtre pour un regard de trop, un mail ambigu ou un tweet déplacé. La dictature actuelle de la transparence n’admet pas d’entorse au contrat de confiance. Près de 1 Français sur 4 avoue espionner le téléphone ou l’ordinateur de son conjoint. D’autres fouillent les poches. C’est mal, c’est une violation de la vie privée. C’est mal et inutile : en cas de divorce, le cocu ainsi certifié ne sera pas reconnu par les tribunaux. C’est mal, inutile à mais terriblement tentant.

Une incroyable épidémie, réservée à l’espèce humaine

Paradoxe des temps modernes. Les soupçonneux compulsifs, ces aigris, ces pauvres hères, n’ont toujours pas bonne presse. Ils n’en disposent pas moins de moyens diaboliques pour traquer l’infidèle. Plus besoin de se coincer le dos dans un placard à balais ou sous un matelas à ressorts. Progrès technologique oblige, les jaloux peuvent jouer aux espions à distance, s’invitant jusque dans les méandres des réseaux virtuels pour épier messages, indices, photos, voire écouter, si ça leur chante, les conversations de leur cher et tendre (lire l’encadré ci-contre). Attention, l’arme est à double tranchant. Ainsi, Marion se rappellera longtemps sa tentative de piratage avortée sur le portable de son mari. Il rentrait à la maison plus tard que d’ordinaire, semblait « ailleurs », « distrait », elle imaginait le pire. Au hasard d’un site Internet, elle dégote la solution miracle : un logiciel prétendument capable de percer le code secret des boîtes mails Marion se décide à lancer l’assaut et y entre l’adresse de son conjoint suspect. Bug. Le mari piraté est aussitôt alerté de la tentative d’effraction par un message de son fournisseur d’accès. Côté mission discrète, c’est raté. Côté confiance, c’est pire encore. L’épouse agent double s’est repris son missile en boomerang.

Mais pourquoi tant de haines ? Plus de la moitié d’entre nous connaîtrait cette peur panique, compulsive, d’être lâchés du jour au lendemain pour l’ex, la voisine, le collègue de bureau ou la première inconnue qui passe, affirment les spécialistes. « La jalousie touche tous les milieux sociaux, tous les âges, toutes les professions, et ce, depuis des millénaires », confirme, laconique, le grand observateur des affaires de famille Serge Hefez. Et pire encore, les indifférents chroniques, ceux qui ne veulent rien voir, seraient tout aussi névrosés.

Un sentiment légitime, face à une menace réelle

Au fil de l’Histoire, les médecins de l’âme n’ont pourtant jamais cessé de sonder cette incroyable épidémie réservée à l’espèce humaine. Le fiel de la jalousie émaille la littérature, y compris la première, la Bible. La sublime Sarah, épouse stérile d’Abraham, souffrit mille morts de devoir laisser sa servante porter le premier fils du prophète, Ismaël. Les civilisations qui suivront, des terres d’islam aux confins de la Chine, ne seront pas plus sereines, qui dissimuleront les épouses, les concubines et les reines derrière les lourds volets striés et les étroits croisillons de leurs paravents du même nom : jalousies, version en bois sculpté des burqas d’aujourd’hui.

Mais quel mal donc ronge à ce point l’homme, et la femme, pour déclencher une telle paranoïa amoureuse ? La jalousie, quand elle est justifiée, est un réflexe sain, rappellent les psychologues (voir l’interview ci-dessus). Chacun est légitime à défendre son couple contre une menace réelle. C’est lorsque le soupçon s’accroche à un simple fantasme que le poison s’installe. Il n’est plus question d’amour, mais d’amour-propre. Celui que le jaloux s’est construit dans l’enfance, sous le regard de ses parents – notamment de sa mère. Un amour trop distant, et le doute s’infiltre sans prévenir vingt ou trente ans plus tard dans le futur lien conjugal. Trop intrusif, et la possessivité excessive est perçue comme la norme. Dans les deux cas, il faudra au jaloux maladif un long travail sur soi avant de parvenir à trouver l’équilibre. Un équilibre instable, fragile, qui n’épargne personne des tourments de l’amour.

Julie Joly, avec Laetitia Dive et Vincent Olivier

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