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La course à pied, « une façon d’exorciser la mort »

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

Nicolas Duruz, 73 ans, est psychologue-psychothérapeute à la retraite. Dans son ouvrage « Dis-moi pourquoi tu cours ? » empli d’une grande sagesse et sérénité, ce joggeur amateur expose sa relation bien particulière à la course à pied à travers les différents états physiques et mentaux qu’il éprouve. Entretien à l’approche des 20 km de Bruxelles auxquels il participera pour la 9e fois.

Nicolas Duruz, 73 ans, est psychologue-psychothérapeute à la retraite et professeur honoraire de psychologie clinique à l’université de Lausanne. Dans son ouvrage « Dis-moi pourquoi tu cours ? », ce joggeur amateur expose sa relation bien particulière à la course à pied à travers les différents états physiques et mentaux qu’il éprouve. Son ouvrage empreint d’une grande sagesse et sérénité aborde aussi la manière dont la course le confronte à sa propre mort et le pousse au lâcher-prise. Entretien de celui qu’on pourrait qualifier de « Murakami suisse »*, à l’approche des 20 km de Bruxelles auxquels il participera pour la 9e fois.

Nicolas Duruz
Nicolas Duruz© PG

Vous avez une vision très philosophique et méditative de la course à pied. Vous préférez le « slow running » à la recherche de la performance à tout prix. En quoi consiste votre philosophie de course?

Quand on prend de l’âge, on ralentit dans sa pensée et dans ses gestes. Courir sur le mode « slow running », courir lentement donc, me met dans ce rythme. Il y a aussi un peu plus de place pour la routine par rapport à la période où l’on est jeune et plein de projets. En courant, on vit pleinement ces gestes répétitifs, cette routine de l’intérieur.

Vous écrivez « qu’entre trop convoquer la mort et trop la fuir, l’équilibre est difficile ». La course vous aide-t-elle à relativiser la mort?

La mort m’a toujours un petit peu accompagné, car je suis un vivant qui s’interroge. Plus on avance dans l’âge, plus cela devient existentiel et concret. J’avais l’impression qu’en courant, il y avait aussi un début et une fin de course, je voyais ma vie qui commence et ma vie qui se termine. J’ai aussi souvent l’image du souffle qu’on prend et puis qu’on rend et qui renvoie au fameux « dernier souffle ». L’âge avançant, c’était, pour moi, une manière d’exorciser la mort qui est dans notre culture l’évènement de la vie. Courir s’est donc invité dans mon existence comme une métaphore du bien-vivre, qui m’aide aussi à réconcilier la vie et la mort.

La course à pied,
© PG

Comment peut-on vivre une expérience de course sur le mode « mindfulness », en lâchant prise et en profitant au maximum de l’instant présent?

Concrètement, quand je cours, mon but n’est pas de me dire « après, je prendrai une bonne douche » même si, c’est sûr, cela fait aussi partie de l’expérience et que je serai content à ce moment-là. Mais j’essaie de vivre chaque kilomètre un par un. Quand on me demande quel temps je vise, je ne sais pas vraiment répondre. Il m’arrive de dire : « le temps qu’il faudra ! ». Je sais en tout cas que j’essaie de vivre pleinement le 5e kilomètre, le 6e, le 7e et ainsi de suite. Au fond, chaque kilomètre, je le prends non pas en fonction du 20e, mais en fonction de lui-même. Je m’installe dans la course, plus sensible à l’ambiance de chaque moment qui passe.

Vous avez votre propre mantra. Quel est-il ?

J’ai en effet un mantra bien personnel. Lors d’une course, quand je suis trop dans une perspective de « qu’est-ce que je vais faire après ? », j’ai un mantra où je me répète « maintenant, c’est maintenant; après, c’est après », « ici, c’est ici; là-bas, c’est là-bas », un peu comme quand on égrène quelque chose. C’est important de pouvoir mettre entre parenthèses, à certains moments dans sa vie, des pensées trop intentionnelles.

C’est ce que vous définissez comme le « courir contactuel » dans la « typologie du courir « * que vous développez dans votre ouvrage, un type de course que vous privilégiez dans votre pratique sportive…

En effet, dans ce mode de course, on n’est plus dans le calcul, on n’est pas dans la mesure, on est dans le mouvement de la vie rythmé avec ses hauts et ses bas, dans une sorte d’indifférenciation, comme un coureur doux rêveur. Je pense que c’est aussi lié à l’âge. C’est une manière de suspendre cette question qui m’a toujours fortement travaillé à travers mon éducation chrétienne et mes études en psychologie, celle, fondamentale de l’identité, du « qui suis-je » et puis aussi « D’où je viens ? », « Pourquoi vais-je mourir »…C’est fatigant, épuisant même de se poser ces questions, courir est une manière de me ressourcer et de suspendre momentanément cette quête identitaire qui est propre à l’être humain.

Vous participez pour la 9e fois aux 20 km de Bruxelles cette année, comment appréhendez-vous cet événement sportif?

Je me fais toujours surprendre sur ce parcours, je le termine à chaque fois en un peu plus de temps, car il faut faire attention aux nombreux coureurs. Et puis il fait souvent un peu plus chaud. C’est un parcours que j’apprécie beaucoup, car je connais bien Bruxelles, il y a de l’ambiance et j’y participe en famille. Aux autres coureurs, je leur dirais de profiter de la course au maximum et même si on dit qu’on court pour le plaisir, on est quand même content quand ça s’arrête ! (rires) Il y a le plaisir pendant la course et puis il y a celui d’après-course, c’est sûr. Il faut surtout s’économiser sur la dernière petite côte de Tervueren tant redoutée…

« Dis-moi pourquoi tu cours, comment la course à pied nous révèle à nous-mêmes », de Nicolas Duruz, (octobre 2015) Editions Médecine & Hygiène, Genève (117 pages), 12 euros.

* L’écrivain japonais Haruki Murakami décrit très bien son expérience et ses émotions en tant que coureur de fond dans son ouvrage « Autoportrait de l’auteur en coureur de fond »(lire la critique ici)

*La typologie du coureur par Nicolas Duruz

Dans son ouvrage, Nicolas Duruz dresse une « typologie du courir », soit 4 types de coureur basés sur une grille anthropologique établie par le psychanalyste belge Jacques Schotte. La voici en résumé:

Courir contactuel: c’est le premier état du coureur, dans le bien-être du moment présent, du lâcher-prise, il se vide la tête, sans se préoccuper du chrono. Il est à l’écoute de son corps et en syntonie avec l’environnement qui l’entoure.

Courir performant: La route n’est plus sentie, mais mesurée. Le coureur objective le temps et l’espace, mais il perd le lien avec la sensation du monde environnant. Il se concentre sur l’effort forcé sans laisser ses pensées vagabonder.

Courir collectif: le coureur se définit par rapport aux autres, il est motivé par le groupe, par le ‘courir ensemble’. Il est reconnu par la communauté en respectant les règles qui la régissent et est rejeté dans le cas contraire.

Courir motivé: « Qu’est-ce qui nous anime, qu’est-ce qu’on veut se prouver ? Le coureur motivé se construit à travers ses idéaux de course et ses fantasmes ». Pratiquer la course à pied sur ce mode, c’est aller au-delà de la performance et de ses limites par pure passion.

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