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L’univers méconnu des testeurs de médicaments

Barbara Witkowska Journaliste

Pour faire approuver les médicaments, les laboratoires pharmaceutiques sont obligés de les tester sur des humains. Comment cela fonctionne-t-il ? Qui accepte d’être testeur ? Zoom sur ce phénomène ignoré.

Les médicaments naissent de la recherche fondamentale sur les maladies. Il est nécessaire de comprendre et de décoder les mécanismes complexes qui jouent un rôle dans leur développement. Puis, on essaie de trouver des solutions (sous forme de molécules) aux problèmes qui se posent dans les nombreux processus biochimiques de notre organisme. Il s’agit de trouver la bonne clé, capable de pénétrer dans la serrure. Le développement d’un nouveau médicament est extrêmement long et onéreux. « Il faut prévoir environ 1,2 milliard de dollars, sur dix à douze ans, rapporte le Dr. Erik Brouwer, directeur médical de Pfizer Clinical Research Unit lors de la rédaction de cet article et actuellement Vice President et directeur médical chez Sobi, un laboratoire pharmaceutique international spécialisé dans les maladies rares. Ce prix comprend le développement, mais aussi les échecs. Trois médicaments sur dix sont en effet rentables et remboursent les frais de la recherche. Les sept autres ne sont jamais amortis et doivent être compensés par ces trois blockbusters. »

Lourde procédure administrative

Avant qu’un médicament n’obtienne l’autorisation de mise sur le marché, il suit aussi un long cheminement administratif. La recherche débute par des essais précliniques, effectués sur des cellules puis sur des animaux. Puis, viennent les essais cliniques ou l’expérimentation humaine. Le premier feu vert pour pouvoir procéder à ces essais vient de la Clinical trial application (CTA). Il s’agit d’une administration européenne, la plus lourde. Ensuite, le dossier passe à l’Agence fédérale de médicaments et produits de santé. En dernier lieu, il doit être avalisé par un comité éthique, attaché à un centre universitaire ou à un grand hôpital. Le comité est pluraliste et réunit des hommes et des femmes venant de tous horizons : médecins, juristes, philosophes, sociologues, etc. Il travaille en toute indépendance des industries pharmaceutiques et doit se prononcer sur la justification des études cliniques. L’ensemble des procédures administratives s’échelonne sur plusieurs mois. La Belgique est connue pour sa rapidité, grâce à une bonne intégration de la réglementation européenne.

Essais cliniques

L’expérimentation humaine se déroule en trois phases. Les humains testeurs sont des volontaires sains (phase I) et des sujets malades (phases II et III). La première phase appelée aussi First in human (FIH) fait appel à quelques dizaines de personnes, la phase suivante à environ deux cents malades. Entre 5 000 et 10 000 patients participent à la troisième et dernière phase avant autorisation de mise sur le marché. Les volontaires sains reçoivent un dédommagement financier. En revanche, les testeurs dans les phases II et III ne sont pas rémunérés. On parle de « bénéfice thérapeutique ». Les essais cliniques sur les sujets sains n’ont pas pour objectif de rechercher un effet thérapeutique à une molécule, mais d’évaluer son innocuité. Autrement dit, ils doivent estimer sa toxicité, en déterminant la dose maximale tolérée. « Pour déterminer ce dosage, on tient compte de la quantité qui s’est avérée sans danger pour les animaux, explique le Dr. Erik Brouwer. Les essais sur les volontaires sains démarrent avec un dixième, voire un centième, de cette dose. Le processus est lent et progressif. On administre une petite dose à deux volontaires, puis on passe aux suivants. On s’arrête, on analyse les résultats, on augmente légèrement la dose, on s’arrête, et ainsi de suite. J’insiste, la phase I concerne uniquement la sécurité. Les phases II et III concernent la sécurité et l’efficacité. » La phase I permet d’étudier et de comprendre comment une molécule se comporte dans l’organisme, à quelle vitesse elle est absorbée par l’intestin, distribuée dans le sang, éliminée, enfin, par les reins et le foie.

Qui sont les testeurs sains ?

Des hommes et des femmes entre 18 et 55 ans. Chaque labo possède sa banque de données. Pour renouveler les effectifs, on lance des appels sur Internet, on passe des annonces dans la presse (sans faire mention de la rémunération) ou on fait appel au bouche-à-oreilles (environ 50 %). Le recrutement en phases II et III est pris en charge par les médecins. La sélection est sévère, les candidats doivent répondre à plusieurs conditions. Le premier contact est téléphonique. Lorsque le sujet passe l’épreuve de ce « filtre » (on élimine d’office les personnes dont la motivation est uniquement financière), il est invité à une première visite. Il faut répondre à un questionnaire très détaillé de dix pages et passer un examen médical. Si l’issue est favorable, le candidat peut être inclus dans la base de données. La dernière phase consiste en un « screening ». On invite le volontaire pour une première étude spécifique. On lui explique la maladie à laquelle la molécule est destinée, le déroulement des essais, les effets secondaires et les risques éventuels. L’entretien se termine par un check-up. Lorsque tous les examens sont négatifs, le dosage peut commencer dès le lendemain. « Les essais cliniques ne sont pas vraiment une sinécure, poursuit le Dr. Brouwer. Certes, les volontaires sont dédommagés, mais ils doivent se montrer motivés, disciplinés et obéissants. Certaines études peuvent se dérouler sur quinze jours et ils sont hospitalisés dans notre unité avec l’interdiction absolue de sortir. Il faut se soumettre à une discipline de fer. Quand le médecin ordonne de se coucher à 23 heures 34 pour effectuer une analyse, c’est 23 heures 34 et pas 23 heures 35. Sans oublier parfois un régime alimentaire spécifique à suivre, indispensable pour évaluer l’interaction de la molécule avec les aliments. Tout est standardisé et calculé au millimètre près. » Entre les essais, les testeurs sont obligés de suivre une période de repos. Et si certains d’entre eux seraient tentés d’effectuer, en attendant, des études pour un autre labo ? Cela ne marchera pas. Bien que les labos se livrent une concurrence féroce, ils se consultent pour éliminer les « tricheurs ».

Mauvaise presse

En Belgique, les essais cliniques s’accompagnent toujours d’une grande prudence et d’une super-vigilance. Les testeurs n’en retirent, en principe, que des bénéfices, tels le dédommagement financier et les check-up réguliers qui les maintiennent en bonne santé. Ils sont donc indispensables à la mise sur le marché de nouveaux médicaments que des millions de gens avalent au quotidien en toute confiance et toute insouciance. Or l’expérimentation humaine n’a pas bonne presse. Le public préfère ignorer l’univers des testeurs. Souvent, il lui manifeste aussi un certain mépris. Pourquoi ce paradoxe ? « C’est vrai, il y a un paradoxe, décrypte le Dr André Scheen, professeur à l’Université de Liège et chef de service au CHU de Liège. D’un côté, on exige des médicaments efficaces et sûrs, d’un autre côté, on hésite à participer à des études qui permettent de parfaitement valider ces médicaments. Le grand public, mais aussi les médias, ne font pas de distinction entre « testeurs de médicaments » et « cobayes ». Nous sommes très pénalisés par des affaires telles que celle du Mediator ou encore celle des prothèses mammaires, qui jettent la suspicion sur le corps médical et les médicaments. Les gens ont souvent peur de participer à un essai clinique et de servir de « cobaye ». Or participer à un essai clinique est bon pour la santé, le volontaire sain ou le patient bénéficie d’une très bonne prise en charge. Parmi les testeurs, il y a souvent un groupe placebo. Si on en fait partie, on ne subit que les contraintes de l’étude, sans apparemment en tirer des bénéfices. Sur le plan psychologique, c’est dur à accepter. Pourtant, le suivi est tellement bien structuré dans une étude clinique que même le groupe placebo en tire un bénéfice médical. Si le testeur ne tire aucun bénéfice de l’étude (phase II initiale, par exemple), le patient devrait pouvoir être dédommagé au même titre qu’un volontaire sain car il suit exactement le même type de protocole. » Si ce n’est pas le cas, on pourrait considérer, sur le plan éthique, qu’on pénalise les patients malades participant aux essais cliniques par rapport aux volontaires sains. Les pays européens sont aujourd’hui en déficit de recrutement de patients, d’où la délocalisation vers les pays de l’Est et les pays asiatiques. Les raisons sont diverses. On peut évoquer les contraintes plus strictes pour recruter les patients par voie de publicité dans des pays comme la Belgique. De plus, la « bonne » sécurité sociale de notre pays ne nous est pas favorable à cet égard. Chez nous, la couverture sociale est très bonne et les gens ne voient pas l’intérêt de participer aux tests, car leurs médicaments sont de toute façon remboursés. Dans un pays où la couverture sociale est insuffisante, les malades, par exemple les diabétiques, sont motivés par les essais car ils bénéficient de médicaments gratuits et d’une surveillance médicale sans frais dans le cadre de l’étude.

Cet article est paru dans la version papier du 27 janvier 2012

BARBARA WITKOWSKA

TÉMOIGNAGE D’UN HOMME DE 47 ANS

Ma décision de participer aux essais cliniques a été prise suite à la lecture d’une annonce dans un journal. La première fois, tout s’est très bien passé. A deux reprises, j’ai passé onze jours à l’hôpital, sans autorisation d’en sortir. J’ai eu l’impression de faire mon service militaire et me retrouver, à la fois, dans un hôtel cinq étoiles. Je continue les essais depuis dix ans. J’ai testé, notamment, le Viagra et des médicaments contre le diabète type II. Le personnel est à l’écoute, on nous explique en détail la maladie, la molécule et les effets indésirables. Car ils existent. Une fois, j’ai souffert d’un mal de tête carabiné. L’essai a été arrêté tout de suite. Nous sommes totalement libres de choisir les essais et d’en refuser. Ma première motivation est financière. Avec l’argent que les essais m’ont rapporté, j’aurais pu m’acheter une belle voiture. Cela dit, je suis discret et n’en parle pas autour de moi. Les essais cliniques ont une mauvaise réputation, les gens ignorent complètement comment cela se déroule et nous prennent pour des « rats de labo ». Si vous n’êtes pas dans la norme, vous n’êtes pas bien vu. Bien entendu, je suis prêt à continuer. Nous sommes très bien suivis sur le plan médical et je me sens en pleine forme. »

Cet article est paru dans la version papier du 27 janvier 2012

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