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L’effet pervers des enfants boomerang

Muriel Lefevre

Les parents qui accueillent temporairement à nouveau leurs enfants disent qu’ils le font avec plaisir. Sauf qu’une étude démontre que cela ne se fait pas sans conséquence.

Un enfant boomerang est un enfant adulte, qui après quelques années d’indépendance, revient vivre chez ses parents. Au contraire des Tanguy, leur désir n’est pas forcément de profiter aussi longtemps que possible du gîte et du couvert. Leur retour découle souvent d’un échec économique ou sentimental. La difficulté de retrouver un emploi et des loyers de plus en plus chers font qu’ils sont de plus en plus nombreux à retourner vivre chez leurs parents. Le phénomène touche toutes les catégories d’âge: du jeune trentenaire aux séniors de 50 ans.

« Au-delà de l’aspect économique, le retour chez des parents plus âgés est bien souvent un sas de décompression. La famille est normalement l’institution qui va le moins juger, qui va rassurer et accueillir spontanément sans poser trop de questions » dit le sociologue Guérin dans Le Monde encore. La réduction des différences culturelles entre les générations favorise aussi ce retour. En effet, « autrefois, la pierre angulaire de l’éloignement de l’enfant était la sexualité. Celle des parents et celle du jeune ne pouvaient pas s’exercer sous le même toit, d’où la nécessité d’une séparation. Mais ce n’est plus le cas. » explique un sexologue dans La Croix.

Une évidence, mais pas sans conséquence

Si le phénomène ne cesse de grandir, il n’est pas sans conséquence. Un enfant boomerang ne fait, en effet, pas le bonheur des parents selon une étude de la London School of Economics and Political Science, menée dans 17 pays européens (aussi en Belgique). Les chercheurs sont arrivés à la conclusion que les parents qui hébergeaient à nouveau leurs enfants adultes voyaient leur qualité de vie baisser d’une façon non négligeable. Les chercheurs précisent qu’on peut comparer cette perte de qualité de vie à celle liée à l’usure de l’âge, par exemple, quand on commence à avoir du mal à marcher ou à s’habiller.

Pourtant, lorsque la question d’héberger à nouveau son enfant se pose, peu de parents hésitent tant c’est une évidence. Beaucoup accueillent sans condition leurs enfants et une fois, ces derniers installés, la plupart ne regrettent rien, mais avouent tout de même un certain soulagement lorsqu’ils repartent. Car l’idée première est tout de même que cette situation ne s’éternise pas dans le temps. Donc pour que les choses se passent au mieux, il est important que « les parents aient le sentiment que leur enfant reste actif, essaye au maximum de s’en sortir, et participe le plus possible aux finances et aux tâches ménagères du foyer, sinon, cela risque de créer de fortes tensions. En effet, le retour d’enfant au foyer peut amener les parents à retarder leur retraite, piocher dans leurs économies, relancer une hypothèque sur leur maison, retarder leurs projets, réduire leurs dépenses ou encore passer moins de temps ensemble. » précise Barbara Mitchell, sociologue canadienne, dans Atlantico.

Injuste envers les autres enfants ?

Bien que l’étude se soit aussi penchée sur des données belges, elle ne s’attarde pas particulièrement sur notre pays. Elle fait cependant remarquer certaines différences régionales. Au nord de l’Europe, les parents souffrent davantage d’un retour de fils ou de fille. Selon Miet Timmers, professeur-chercheur à l’Institut Supérieur des Sciences de la Famille interviewée par De Standaard, c’est dû à une différence culturelle: « En Europe du Nord, on est beaucoup plus indépendant une fois qu’on est parti du nid parental, alors que dans le sud cette coupure ne se fait jamais on est moins vraiment parti.  » La Belgique serait un entre-deux.

Selon elle, l’étude serait à nuancer, car on ne peut pas affirmer que cette baisse de qualité de vie vaut pour tous les parents, car elle ne se base que sur des relations statistiques. Néanmoins, il est vrai que les parents d’enfants Boomerang perdent par exemple un peu de leur autonomie. « Ce n’est pas étonnant, car lorsque vous atteignez l’âge de 50 ans, vous arrivez à une nouvelle phase dans laquelle vous pouvez consacrer plus de temps à votre partenaire, vos amis, vos passe-temps, etc. Et lorsque votre enfant revient subitement cela chamboule vos projets » dit-elle.

J’entendais souvent aussi les parents craindre que cela n’entraîne des injustices envers les autres enfants. Pas tant parce qu’il logeait gratuitement un de leur enfant, mais parce que ça désavantageait les enfants qui n’étaient pas revenus.

On ne sait exactement combien il y a d’enfants boomerang en Belgique, car cette situation est souvent vécue dans le huis clos familial. Il n’est pas rare que ce soit même vu comme quelque chose de honteux, bien que la chose tende à être de mieux en mieux acceptée. Toutes des situations qui échappent de fait aux statistiques.

En Amérique du Nord et en Europe, on estime qu’un tiers des jeunes adultes retournent à la maison pour vivre avec leurs parents, souvent plusieurs fois. En France, on estime cependant qu’ils ont augmenté de 20% en dix ans. Selon les chiffres avancés par De Morgen, 8% des ménages flamands compteraient un enfant de 25 ans ou plus. Ce qui représenterait en moyenne 210.000 foyers. Mais on ne sait s’il s’agit de « Tanguy » ou de « Boomerang ».

Quelques conseils selon Plus magazine

>>Mise au point préalable

Il faut se préparer et faire une solide mise au point préalable. Et ce, sans omettre aucun aspect de la vie en commun. « L’enfant adulte qui revient vivre chez ses parents doit être prêt à s’adapter et à modifier quelque peu ses habitudes ». « Cela n’a rien d’évident de reprendre un enfant chez soi quand on n’a vécu qu’en couple pendant tout un temps. Il faut se mettre d’accord sur une série de choses, par exemple la participation aux frais du quotidien, les repas et l’alimentation, les sorties, les allées et venues d’amis, etc. Le fils ou la fille doit accepter de plier son indépendance aux règles de la maison. »

>>Gare au surcroît de travail !

En tant que parent, on aime ses enfants de manière inconditionnelle, ce qui peut nous aveugler sur la charge supplémentaire (ménage et frais) que signifie inévitablement le fait d’avoir une personne de plus sous son toit. En particulier si le fils ou la fille revient vivre chez ses parents avec un enfant. Magda : « Notre fille s’est séparée voici deux ans et elle est revenue chez nous avec ses deux jeunes enfants (qui ont aujourd’hui 5 et 10 ans). En tant que couple pensionné, nous nous occupons d’eux chaque jour, avec beaucoup de joie et d’amour, mais c’est parfois dur à porter ! »

>> Conséquences inattendues

Vos revenus sont limités et vous êtes de ce fait exonéré d’impôts ? Vous avez droit à une aide sociale (ex. statut Omnio) ? Dans ce cas, pensez-y à deux fois avant d’accepter le retour d’un enfant adulte sous votre toit. Si votre fils ou votre fille se domicilie légalement chez vous, ses revenus viendront s’ajouter aux vôtres et vous risquez de perdre (une partie de) vos avantages sociaux. Els en a fait l’expérience : « Je suis séparée depuis de nombreuses années. L’an passé, notre fils aîné est revenu vivre avec moi à l’âge de 19 ans, après avoir vécu chez son père. Je ne pouvais pas refuser, je suis sa mère ! Il sortait de l’école et n’avait droit à aucune allocation. Nous avons donc conclu un accord concret : il devait se trouver un emploi aussi vite que possible. Ce qu’il a fait. Il me verse chaque mois une petite somme pour son entretien. C’est indispensable, car je suis mère célibataire et j’ai un autre fils, de 16 ans, encore à ma charge. Hélas, le fait d’aider mon fils aîné me vaut d’avoir nettement perdu au change financièrement. Avant, je bénéficiais d’une aide sociale en raison de mes faibles revenus (statut Omnio et chèques mazout). Je n’y ai plus droit depuis que les revenus de mon fils aîné sont calculés avec les miens (nous sommes considérés comme cohabitants). »

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