Illustration. © Elvert Barnes/Flickr (CC)

Je vais courir, j’arrive

Ils peuvent nous paraître un peu dingues, ces coureurs qui, en 64 jours – sans un seul de repos ! – ont couru du sud de l’Italie au Cap Nord. Cependant, grâce à eux, nous savons maintenant que la rotule peut se renforcer au cours d’efforts soutenus et de longues durées, et que notre cerveau peut rétrécir de façon inquiétante, mais heureusement sans conséquence néfaste.

Se désignant eux-mêmes sous le vocable d’ultra-coureurs, ils étaient 67, le 19 avril dernier, à prendre le départ de Bari, dans le sud de l’Italie. Et encore 46 à franchir la ligne d’arrivée, située au Cap Nord, en Norvège, soit 4487 km plus loin. Sans la moindre journée de repos, et en 64 jours de course. Ils ne parcouraient parfois que 40 km en une journée, mais le chiffre pouvait grimper à plus de 90, avec une moyenne de 70. Le plus rapide, un homme de 28 ans, n’a couru « que » 378 heures à une moyenne de 11,9 km/h. La personne la plus lente était une femme de 58 ans, qui a parcouru la distance en 723 heures, à une moyenne de 6,2 km/h. Il n’y avait que 11 femmes parmi les participants ; le reste était surtout constitué d’hommes relativement âgés (en moyenne, juste sous les 51 ans), l’aîné arborant 74 ans, qui a abandonné en cours de route.

Mesurer pour savoir

On peut se demander ce qui passait par la tête de ces coureurs pour traverser ainsi l’Europe sans repos. Mais cette question ne comptait pas parmi les préoccupations d’Uwe Schütz, de l’Hôpital Universitaire d’Ulm, en Allemagne. Des coureurs débarquaient sans arrêt à sa consultation, à la recherche de solutions à leurs problèmes. Des solutions qui n’étaient pas simples à trouver, et qui ne le sont d’ailleurs toujours pas. Uwe Schütz avait déjà réalisé plusieurs études dans l’espoir d’y voir plus clair, mais sans succès. Il persistait cependant dans la recherche de nouvelles pistes, jusqu’à ce que son attention soit attirée par un article évoquant la Transeurope Footrace : des coureurs qu’il est possible de suivre jour après jour pendant plus de 2 mois, c’était une chance unique, et il l’a saisie à pleines mains. Contre toute attente, la firme Siemens a accepté de lui prêter un appareil de RMN (résonance magnétique nucléaire) dont il rêvait pour cette étude, une sorte de scanner capable de livrer des images de haute qualité. Ce n’était pas une sinécure, car les déplacements quotidiens au travers de l’Europe sont très éprouvants pour un tel appareil. Uwe Schütz et son équipe ont d’ailleurs été régulièrement confrontés à des problèmes techniques.

Uwe Schütz n’a pu sélectionner que 44 coureurs pour son programme de recherche. Le suivi de l’évolution de leurs muscles et articulations, de leur cerveau, de leur coeur et de leur composition corporelle a fourni des résultats aussi inattendus qu’intéressants.

Des rotules résilientes

L’observation la plus importante était la régénération de certaines rotules. « Nous, les médecins, partions jusqu’ici du principe que la rotule ne pouvait pas se régénérer sous une charge de longue durée. Mais nos mesures ont justement démontré le contraire. Au début de la course, nous avons observé un léger amincissement des rotules, avant de voir leur volume augmenter. Nous sommes incapables de dire ce qu’il se passait exactement, mais il est question d’un processus de régénération, et pas seulement d’une hydratation de la rotule qui aurait ensuite disparu. Je suis réellement heureux de cette observation, car elle me permet enfin de délivrer, en toute sérénité, des conseils positifs aux coureurs. Nous n’avons par ailleurs observé aucune progression significative des lésions rotuliennes existantes au départ, ce qui est également rassurant. Je dois cependant admettre que pas un seul participant ne présentait de lésion rotulienne sérieuse au niveau des zones exposées à une charge élevée. Je ne peux donc pas me prononcer sur l’évolution de telles lésions. » Cette observation, conjuguée à d’autres, a convaincu Uwe Schütz : courir est bon, à long terme, pour les rotules. Il rapporte ainsi l’histoire d’un triathlète bien installé dans la cinquantaine et qui avait des rotules aussi bonnes que celles d’un homme de 20 ans. « Les rotules ont donc besoin d’activité physique« , conclut-il en souriant.

Le cerveau dans tous ses états

Il arrive que des coureurs soient victimes de problèmes cérébraux sérieux, comme un accident vasculaire cérébral. Uwe Schütz a voulu vérifier ce qu’il se passait dans le crâne des ultra-coureurs, et sa recherche a également débouché sur des résultats surprenants : la substance grise baissait d’environ 6% au fil de la course. Pour comparaison, la perte n’est que de 2% par an en cas de maladie d’Alzheimer. La perte de substance grise était donc environ 250 fois supérieure à celle qu’on observe chez les personnes en bonne santé. Pourtant, la situation était redevenue tout à fait normale huit mois plus tard, comme avant le départ, et sans la moindre séquelle. Cela ne peut résulter d’une déshydratation relative, estime Uwe Schütz, car d’autres phénomènes étaient en jeu. Il a ainsi clairement observé des différences de métabolisme. Mais quoi exactement ? Le mystère reste complet à ce jour. Peut-être était-ce en liaison avec la perte de poids corporel, car le cerveau est constitué en grande partie de graisse. Mais il ne s’agit là de rien de plus qu’une hypothèse. Uwe Schütz a été également rassuré de n’observer aucune nouvelle lésion cérébrale imputable à la course.

La graisse compte

Le surpoids est rare chez les coureurs de fond, surtout en comparaison avec le reste de la population. Pourtant, les couches de graisse jouent également un rôle important chez eux, et plus précisément celles qui sont invisibles comme la graisse viscérale, qui se trouve entre les organes de l’abdomen. Uwe Schütz voit une explication possible dans la préparation, qui était significativement meilleure chez ceux qui avaient pu rejoindre l’arrivée : au cours de l’année précédente, ils avaient couru plus de kilomètres et à un rythme supérieur en comparaison avec ceux qui avaient abandonné. Très logiquement, ils présentaient dès lors moitié moins de graisse abdominale que ceux qui avaient abandonné. En effet, la graisse viscérale disparaît plus rapidement au cours des efforts d’endurance prolongés. Les personnes minces, qui ont peu de graisse sous-cutanée, ont probablement aussi peu de graisse abdominale. Il n’est pas évident d’en savoir plus, car l’épaisseur du pli cutané ou les appareils électroniques ne révèlent rien sur la graisse viscérale. C’est la RMN qui est particulièrement indiquée pour ce genre d’études, méthode de mesure particulièrement onéreuse qui n’est donc pas utilisée en routine.

Ceux qui avaient terminé l’épreuve étaient également plus musclés. Certains ont même gagné un peu de masse musculaire au début de la course, particulièrement au niveau des jambes. Cependant, comme la course exigeait une dépense énergétique supérieure à ce qu’ils pouvaient manger, ils ont tous fini par perdre un peu de masse musculaire.

Tenir jusqu’au bout

Les lésions de surcharge sont très fréquentes chez les coureurs, et il n’en est pas allé autrement pendant cette course. Quelques participants seulement ont atteint l’arrivée sans lésion de surcharge, douleur ou autre gonflement. Les coureurs expérimentés avaient rencontré autant de problèmes que les autres. Ceci dit, les pieds et les chevilles supportaient mieux l’effort qu’attendu, constate Uwe Schütz : « Il semble qu’ils sont à même de s’adapter pendant la course.« 

La douleur et la gêne provoquées par des lésions de surcharge étaient les causes les plus importantes d’abandon, mais seulement s’ils en devenaient insupportables : les participants étaient prêts à souffrir, tant leur envie d’aller jusqu’au bout était forte. Certains ont même poursuivi leur course sur environ 200 km malgré une fracture de stress ! En général, les blessés couraient plus lentement ou recouraient à des pommades, des anti-inflammatoires ou d’autres aides diverses.

Certains coureurs avaient même découpé un morceau de leurs chaussures pour dégager leurs avant-pieds et leurs orteils gonflés. Souvent, leur état se normalisait après quelques jours, mais Uwe Schütz se demande si courir en souffrant est une bonne idée. « Personne ne le sait, en fait« , déplore-t-il.

Le tendon d’Achille était un autre point faible chez les coureurs. Certains en souffraient, mais jamais au point d’abandonner. La grosse surprise était plutôt l’augmentation du diamètre du tendon au cours du périple, passant de 6,8 à 7,8 millimètres en moyenne. De nombreux médecins affirment qu’une telle augmentation indique une atteinte du tendon, mais les résultats de l’étude vont à l’encontre de cette affirmation. Du reste, ils sont en ligne avec les résultats d’autres études réalisées précédemment chez des coureurs en bonne santé.

Immunité et coeur

L’effort prolongé avait aussi des répercussions sérieuses sur l’immunité, comme l’a montré l’abandon devenu inéluctable de trois coureurs chez qui une infection prenait rapidement de l’ampleur. Une petite blessure à un ongle, par exemple, pouvait s’infecter et se disséminer à toute la jambe le lendemain. Ce type d’évolution indique une surcharge du système immunitaire.

Les mesures effectuées sur le plan cardiaque n’ont pas montré d’anomalies notables, et Uwe Schütz pense donc qu’il n’y a pas de problème important à ce niveau. Il reconnaît cependant d’une part qu’il s’agissait d’un groupe très sélectionné, et d’autre part, que des conséquences éventuelles peuvent peut-être ne survenir qu’après de nombreuses années. Malgré tout, l’augmentation du diamètre de la grande artère fémorale au cours de la course indique aussi une adaptation positive, qui favorise la circulation sanguine au niveau des jambes.

Une bonne sélection

Les coureurs n’étaient certainement pas des athlètes de haut niveau, mais ils étaient bien entraînés. Il n’était en effet possible de prendre part à cette course qu’après avoir déjà couru au moins un ultra-marathon. Puisque les participants étaient habitués à parcourir de longues distances, ils sont de facto bien sélectionnés.

Il s’agissait également exclusivement d’amateurs, certains ayant pu consacrer plus de temps à leur hobby que d’autres. Tous les participants étaient actif sur le plan professionnel, et presque tous avaient pris eux-mêmes en charge leur entraînement et leurs besoins en énergie. Personne ne s’était entouré d’un accompagnateur professionnel.

La préparation

En se basant sur ses mesures, Uwe Schütz a pu dresser le tableau des exigences pour les ultra-coureurs futurs qui aimeraient se lancer dans une course de plusieurs jours :

• taux de graisse abdominale maximal : entre 20 et 21% ;

• entraînement : plus de 100 kilomètres par semaine pendant toute l’année qui précède la course ;

• vitesse : minimum 7,5 km/h, ou un temps de moins de 5h pour une course de 50 km, ou plus de 178 km parcourus dans une course de 24h.

Pendant l’année qui précédait la course, les participants avaient couru entre 2500 et 11.500 km. Ils entraînaient surtout la résistance, et à peine la vitesse. Au cours de l’épreuve, ils n’étaient pas particulièrement intéressés par la victoire, mais bien par le fait de franchir la ligne d’arrivée. Quitte à courir plus lentement si nécessaire.

Sources:

Plusieurs articles de Uwe Schütz peuvent être téléchargés gratuitement – et ils en valent la peine:

Expert : Uwe Schütz, radiologue et orthopédiste, Hôpital Universitaire d’Ulm, en Allemagne.

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