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Faut-il utiliser des produits antibactériens ?

Le Vif

Ils pullulent dans les supermarchés : ce sont les produits antibactériens. Mais est-il raisonnable et nécessaire de faire la chasse à ce point aux bactéries de notre environnement ?

Désormais, selon les dires des producteurs, il est possible (voire recommandé !) de vivre dans une maison aseptisée, puisque les produits qu’ils vendent « éliminent 99.9 % des bactéries » et ce, quelle que soit la surface. Dans la cuisine, sous la douche, dans la salle de bains, aux toilettes, ces produits sont partout ! C’est sûr : l’argument « antibactérien » fait vendre ! Et pourtant…

Pas plus efficaces que du savon

« Je ne vois pas d’un bon oeil l’ajout d’antiseptiques – des antibactériens – dans des produits d’utilisation courante », commente le Pr Anne Simon, microbiologiste et médecin hygiéniste, responsable de la Qualité et de la Sécurité du patient aux Cliniques universitaires Saint-Luc à Bruxelles. Elle pointe du doigt différentes raisons. Tout d’abord, leur prétendue plus grande efficacité. « Pour ce qui est de l’hygiène corporelle, les produits contenant des antiseptiques n’ont jamais prouvé une efficacité supérieure à un lavage classique au savon. Ils éliminent 99.9 % des bactéries ? L’eau aussi ! Par exemple, les bactéries sur les mains ne résisteront pas à un bon lavage durant quelques minutes avec un savon doux et de l’eau… Quant au corps, pourquoi vouloir le désinfecter ? Doit-on vraiment tuer nos propres bactéries, qui vivent en harmonie avec notre organisme et protègent notre peau ? Et ne parlons même pas de ces savons antibactériens pour les zones intimes des femmes, présentés comme sélectifs : les antibactériens ne sont pas spécifiques, ils s’attaqueront donc à toute la flore bactérienne indispensable, notamment aux lactobacilles qui veillent à maintenir un Ph vaginal acide pour le protéger ! Et s’ils veulent ‘tuer’ d’autres bactéries, lesquelles ? Je me le demande… »

Un peu d’huile de bras

Et pour ce qui est des produits d’entretien ? « Là aussi, utiliser des produits de nettoyage avec des antiseptiques n’est pas plus efficace que de nettoyer avec de l’eau et un détergent classique, à condition d’utiliser des torchons et serpillières propres ! Idem pour les produits de lessive ou les machines à laver qui se veulent bactéricides : si le linge est trop sale, il suffira de prévoir un programme à plus haute température… »

Quant à la cuisine, l’aseptie n’est pas nécessaire ! Il n’y a que quelques précautions à prendre, par exemple lorsque vous coupez du poulet cru, souvent porteur de salmonelles, sur une planche à découper, il vous faudra la nettoyer avant de l’utiliser pour autre chose. « Mais toujours pas besoin de produit antiseptique pour la cause : un torchon propre, de l’eau chaude, un savon détergent et de l’huile de coude, et le tour sera joué ! Pour le reste, se laver les mains régulièrement au savon classique, en particulier avant de préparer un repas ou de manger, suffit largement ! Si on prend des mesures de précautions classiques, on ne risque pas plus qu’avec des produits plus agressifs. »

Trop d’hygiène ? Pas utile !

Le problème, c’est que les fabricants essaient de nous faire croire que les bactéries sont dangereuses. « Ils jouent sur une peur infondée et l’entretiennent. Je pense qu’ils surfent sur les campagnes pour limiter la prise d’antibiotiques : on y dit que les bactéries sont de plus en plus résistantes, donc potentiellement dangereuses. Aussi, il suffit de laisser penser au grand public qu’il faut donc les éliminer afin de ne pas être en contact avec elles et risquer gros… », explique le Pr Simon. Et puis il y a l’obsession du « risque zéro » …

Car à force de vouloir tout désinfecter, on risque encore d’accroître les résistances de ces bactéries. « C’est déjà le cas, mais les études sur le sujet ne sont pas encore suffisantes pour voir l’impact clinique de ces résistances à plus long terme. » Le triclosan, antibactérien très utilisé dans ces produits, notamment les savons, est d’ailleurs accusé d’augmenter la résistance et de favoriser de ce fait le développement de bactéries plus agressives, comme le staphylocoque doré.

Ajoutons encore à ce risque, l’impact environnemental, avec des eaux usées chargées de produits bactéricides et refoulées dans les rivières, qui vont éliminer les bactéries indispensables à la biodégradation. Voire l’effet sur la chaîne alimentaire…

Enfin, n’oublions pas le risque d’allergie, qui est favorisé par une exposition trop faible à des virus et bactéries durant l’enfance…

Quelques cas où ils peuvent être utiles

Dans certaines situations, néanmoins, Anne Simon se montre plus souple. Par exemple, les dentifrices. « Certaines personnes ont vraiment des problèmes de mauvaise haleine malgré un brossage efficace, à cause de certains types de bactéries. Dans leur cas, on peut éventuellement penser à un dentifrice avec antiseptique », concède- t-elle.

Idem pour les déodorants. On le sait, l’odeur de transpiration est due à des bactéries qui sont éliminées par une bonne hygiène corporelle, au simple savon. « Mais certaines bactéries spécifiques peuvent être plus résistantes et donner une odeur particulière. Les personnes qui souffrent de ce problème peuvent alors envisager un déo ‘enrichi’ d’antiseptiques. Enfin, certains hommes voient apparaître, après le rasage, de petits boutons qui peuvent s’infecter. Dans ce cas, une mousse à raser avec des antibactériens peuvent limiter ce risque. »

Des cas spécifiques donc, qui ne justifient absolument pas que l’on continue à jouer aux apprentis sorciers en faisant croire à tout le monde que ces produits sont plus efficaces que des solutions simples, et en tentant de les généraliser !

Par Carine Maillard

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