© Nick Proot

Faire du shopping à s’en rendre malade : ces Belges oniomanes

Dès novembre, les sirènes du shopping de fin d’année font entendre leurs complaintes. Les magasins en ligne et hors-ligne essayent de nous attirer dans leur filet. Des dizaines de milliers de Belges sont incapables de résister. Ce sont des acheteurs compulsifs. Ce qui a souvent des conséquences désastreuses. Interdire l’accès à un ordinateur est souvent la seule solution.

Une pléiade d’appareils de fitness, des casseroles, des bijoux et des télévisions. C’est tout ce que la police a découvert chez J.B., une jeune femme qui vit à Ostende. Pour pouvoir acheter toutes ces choses, elle a volé près de 60.000 euros chez Ava papier, où elle était vendeuse. Le mois dernier le tribunal lui a accordé une réduction de peine à la condition que celle-ci rembourse la somme et soigne son addiction aux achats.

J.B. n’est pas la seule à souffrir de ce mal. 5 à 6 % des Belges sont sous le joug d’une irrépressible envie d’acheter des choses dont ils n’ont pas besoin et qu’ils ne peuvent, la plupart du temps, même pas se permettre. Chaque jour cette envie ne cesse de croître. C’est ce qu’on appelle l’achat compulsif ou l’oniomanie en termes scientifiques. « Acheter quelque chose de cher dans un moment d’emballement n’est pas encore de l’achat compulsif » dit la psychologue et psychothérapeute hollandaise Carien Karsten, auteure du livre « Afkicken voor shopaholics ». Cela ne devient un problème que lorsqu’à cause de ces achats on est en conflit permanent avec son conjoint, qu’on se retrouve dans des problèmes financiers, si cela occupe une grosse partie de notre temps ou que cela empêche de travailler normalement. Un dernier critère est lorsqu’on a tenté en vain d’arrêter. »

Les acheteurs compulsifs sont issus de toutes les classes de la société. La plupart sont des femmes, bien que le nombre d’hommes augmente petit à petit. Les femmes achètent principalement des vêtements, des chaussures ou des accessoires, les hommes surtout des gadgets électroniques ou des outils. « Les femmes sont plus portées sur leurs apparences et les vêtements » dit Carien Karsten. « Par ailleurs, dans la plupart des familles, c’est la femme qui achète les affaires pour les enfants ou les objets pour enjoliver la maison. Elles font donc souvent plus de shopping et en éprouvent plus de plaisir. C’est pour cela qu’elles sont plus susceptibles de tomber dans cette addiction. »

De différentes études, il ressort que les jeunes sont plus à même de tomber dans les problèmes suite à des achats compulsifs. Ce n’est pas un hasard si c’est eux qui éprouvent moins de problèmes à être à découvert que leurs parents ou grands-parents. « Les jeunes sont souvent en pleine construction de leur identité, et celle-ci est souvent liée à des biens matériels » dit le psychologue et économe Guido Valkeneers. « Ils ont par exemple tendance à vouloir montrer qui ils sont à travers leurs vêtements. Et ils doivent encore apprendre à gérer leur budget tout en étant plus impulsif que les adultes. »

Certains traits de personnalité rendent plus sensibles à l’achat compulsif. Une mauvaise image de soi, si on est névrotiques ou qu’on a une propension à être matérialiste. « Si vous n’êtes pas très stables ou que vous avez des sautes d’humeur, vous avez plus de risques d’être accros au shopping » dit Valkeneers. « Si vous êtes contentieux, vous y êtes moins sensibles »

D’une étude du psychologue américain Ray Miltenberger, il ressort que 53 % des accros au shopping sont dépressifs ou se sentent tristes et 21 % sont nerveux ou anxieux. Les acheteurs compulsifs ont aussi souvent des troubles alimentaires ou sont alcooliques. Certains souffrent aussi d’un traumatisme.

Les personnes qui développent une addiction de ce genre le font souvent après un moment difficile dans leur vie. Selon l’étude de Miltenberger, 42 % de ces addictions surviennent après un moment charnière dans une vie. « Lorsqu’on est quitté par son partenaire, lorsqu’on déménage vers un endroit où ne connaît personne, ou encore lorsqu’un proche tombe gravement malade. « Ce sont des évènements qui servent de déclencheur, mais qui n’en sont jamais la cause dit Carien Karsten. « Les gens se sentent mal et découvrent que faire du shopping leur fait du bien. On pourrait y voir une déviance du réflexe de survie. »

Un cercle vicieux

À la base, faire des courses à quelque chose de positif, une chose dont on se réjouit. Beaucoup de gens s’offrent une séance de shopping pour se récompenser. Parce qu’ils ont travaillé dur, ont réussi à répondre à un deadline, ou accompli une chose qui leur faisait peur.

Chez certaines personnes ce comportement change au fil du temps. Faire du shopping prend de plus en plus de temps. Et pour finir ils ne se sentent bien que lorsqu’ils font des achats dit la psychologue spécialisée dans le comportemental Laurence Claes (KU Leuven). L’envie est si forte que ces personnes commencent à en souffrir.

Le problème est aussi que c’est efficace parce que l’acheteur compulsif se sent effectivement mieux lorsqu’il achète. Cela lui occupe l’esprit des heures en amont. Il se réjouit à l’idée, imagine ce qu’il va acheter et ne peut plus penser à rien d’autre. Le temps qu’il arrive à la boutique, il est déjà sous tension. 37 % se sent euphorique, 26 % est calme et détendu. Un peu comme les boulimiques qui se remplissent, les accros au shopping sont dans une sorte de transe. Ce n’est que lorsqu’ils passent à la caisse qu’ils retombent sur terre. Parfois, ils ne se rappellent même pas ce qu’ils ont acheté. Souvent, ils ne déballent même pas leurs achats ou les vêtements même pas portés disparaissent encore avec leurs étiquettes dans l’armoire.

Un cercle vicieux ou le regret des achats doit être adouci par le plaisir de nouveaux achats.

Nulle part à l’abri

Parfois l’addiction n’est perçue par les proches que des années après. Car un acheteur compulsif cache ses achats. Dans une armoire au grenier ou derrière des bouteilles dans la buanderie. D’autres font secrètement des achats la nuit ou lorsqu’ils sont aux toilettes. Et ils se vont alors livrer au bureau ou un point d’enlèvement.

Souvent lorsqu’on remarque un amour immodéré pour le shopping, on s’en amuse avec des réflexions du genre « tu as de nouveaux quelque chose de neuf » ou « toi aussi tu es un panier percé ». On ne perçoit la gravité du problème que lorsque la personne se retrouve dans des problèmes financiers. Certains vont même jusqu’à voler leur conjoint ou leur entreprise pour assouvir leur passion. Rien ne peut les arrêter. Ni les menaces de rupture ou les enfants qui les fuient devant la montagne de choses qu’ils ont accumulées.

La plupart des accros au shopping n’appellent à l’aide que lorsque la situation leur échappe.  » Une infime partie le fait de sa propre initiative dit Guido Valkeneers. « Beaucoup sont poussés par leur proche ou par un juge. » Pourtant, une aide d’un professionnel est souvent la seule façon de venir à bout d’une addiction tenace. « Une de mes patientes dépensait jusqu’à 15.000 euros par mois. En la poussant à faire d’autre chose qu’elle aimait comme le yoga ou s’occuper d’enfant, elle s’est spontanément mise à moins acheter. »

Un sevrage complet n’est pas possible puisque l’on doit tout de même, de temps à autre, effectuer des achats. Un conseil est alors de ne pas faire ses courses seul ou de faire une liste au préalable. Ou encore de payer contant plutôt que par carte dit Claes.

La période de fin d’années est particulièrement difficile. Ils doivent acheter des cadeaux pour leurs proches. Pour ce faire ils sont en perpétuel combat contre eux-mêmes pour ne pas acheter des choses inutiles.

Le comportement d’acheteur compulsif n’est pas neuf puisqu’il a déjà été recensé il y a plus de 100 ans. Mais avec l’avènement du shopping en ligne et la disparition des boutiques de quartier, la situation n’a fait que se compliquer davantage puisqu’il « anonymise » et qu’il n’est même plus nécessaire de sortir de chez soi. On est harcelé par les publicités en tout genre de sa boîte mails aux réseaux sociaux. Les promotions et leur action extrêmement limitée dans le temps sont autant de pousses au crime. Car les grosses promotions sont extrêmement tentantes pour les accros au shopping. Tout comme le fait que les achats sont anonymes. « Parfois la seule solution est d’enlever l’ordinateur ou de couper internet. »

Selon Comeos, 64% des Belges avaient au moins effectué un achat en ligne en 2015. En 2011, il n’était que 45%. Les smartphones, les vidéos avec liens vers une boutique en ligne et les boutons où un seul clic suffit pour acheter ne font que renforcer le phénomène dit Malaika Brengman.

Aujourd’hui les sites de vente ne s’inquiètent de genre d’addiction que lorsque les acheteurs sont à découvert ou qu’ils reçoivent des retours par chariots entiers. Certains, suite à la demande de leurs proches peuvent être blacklistés sur certains sites.

Une des pistes selon Malaika Brengman serait de ralentir le processus d’achat en ligne. « On pourrait envoyer un mail quelques heures après l’achat pour confirmer ce dernier » Etablir une liste nationale comme pour les casinos est par contre impossible tant cela serait compliqué.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire