© Adobe stock

Euro 2020: buvons-nous trop d’alcool pendant les matchs ?

Stagiaire Le Vif

La question de la consommation d’alcool revient lors des évènements sportifs. Mercredi 16 juin, le joueur de football français Paul Pogba a retiré une bouteille de Heineken posée sur sa table lors d’une conférence de presse. Ce geste n’a pas donné suite à des explications mais on se doute que le joueur refuse d’être associé à une marque de boissons alcoolisées. Cela a soulevé un débat autour des sponsors d’alcool lors de ces grands évènements, ainsi que de sa consommation.

La publicité pour les boissons alcoolisées et la consommation d’alcool parfois excessive des supporters de foot est un problème récurrent des évènements sportifs. Le même schéma se répète, les spectateurs boivent trop, des insultes ou des bagarres éclatent pendant ou après le match. Cependant bien que le football soit concerné par ce problème, ce n’est pas le seul sport dont les supporters abusent de l’alcool.

Pas que dans le foot

La consommation d’alcool est liée aux évènements sportifs, que celle-ci soit récréative, festive ou excessive. Thomas Orban, alcoologue, affirme qu’il y a « une augmentation de la consommation lors évènements ». En 2017, L’American Addiction Centers avait sorti une étude sur la consommation d’alcool lors des matchs en basant l’étude sur plusieurs sports comme le football, le football américain mais aussi le hockey, le baseball ou le basketball . L’étude démontre que c’est devant du football américain et du hockey que la consommation d’alcool des supporters est la plus élevée, 3.1 verres consommés devant un match de hockey contre 2.2 verres lors d’un match de football. De même pour le binge drinking, pratique qui consiste à boire avec excès dans un temps court, l’étude démontre que les spectateurs de Hockey sont 26 % à pratiquer le binge drinking contre 6 % seulement pour le football. Lorsque l’on parle des supporters qui ont trop bu, on pense souvent aux hooligans dans les stades de foot, mais le spectateur de hockey est apparemment tout aussi susceptible de boire avec excès, en tout cas aux Etats Unis.

L’Europe n’est pas en reste face à ce problème. En 2018, Goodwood en Angleterre a vu une grande bagarre dégénérer lors d’une course de chevaux. Cet incident a impliqué environ 50 personnes et a donné suite à 12 arrestations, forçant les organisateurs de courses de chevaux à imposer la règle des quatre pintes de bières maximum par spectateur.

Alcool et violence

En 2013, une étude réalisée par l’Université de Lancaster au Royaume Uni démontre une hausse inquiétante entre les violences conjugales pendant la Coupe du Monde. L’étude qui a été réalisée pendant trois tournois consécutifs (2002, 2006, et 2010) s’est soldée sur des résultats sont sans appel: les évènements sportifs d’une grande importance sont souvent un moment particulièrement dangereux pour les femmes battues, avec une moyenne de 79,3 incidents reportés les soirs de matchs, contre 58,2 habituellement. L’alcool est un élément déterminant de l’étude car la consommation augmente pendant les matchs, donc les violences aussi. L’étude a donné suite à une campagne publicitaire aux visuels puissants diffusée en Grande-Bretagne lors de la compétition de 2014.

Cependant, le foot n’est pas le seul sport concerné par une hausse des violences lors des soirs de match, les matchs de football américain causent aussi une augmentation des violences domestiques selon une étude publiée dans le Quarterly Journal of Economics. Là aussi, l’alcool est mis en cause. L’alcoologue Thomas Orban confirme le lien entre alcool et la hausse d’incidents violents : « dans mon métier d’alcoologue, je sais bien par expérience que l’usage d’alcool dans les familles, chez les gens, augmente le degré de violence. L’alcool en désinhibant fait dire des choses qu’on a pas envie de dire puis on en vient aux mains, on donne des coups, on se fâche, ça peut parfois aller très loin. »

Interdire l’alcool dans les stades ?

L’alcool est aussi un levier économique et les évènements sportifs attirent les sponsors, dont les marques de boissons alcoolisées. En Belgique, lors de la dernière coupe du monde en 2018 Jupiler avait été rebaptisée « Belgium » pour soutenir les Diables Rouges. En faisant cela, la marque de bières s’est imposée comme un accessoire de supporter de l’équipe belge. La même année, le chiffre d’affaires d’AB InBev, brasseur qui produit entre autres Jupiler, a atteint 54,6 milliards de dollars, affichant une croissance des volumes totaux de 0,3 % sur base comparable. L’année de la Coupe du monde a été une année florissante pour la bière belge.

Face à cela, l’interdiction de vente et consommation d’alcool dans les stades est une des solutions proposées. En Belgique, la question avait été posée en 2018. La ministre wallonne de la Santé Alda Greoli (cdH) voulait bannir les publicités pour boissons alcoolisées des compétitions sportives et pourquoi pas par la suite bannir la vente de bières dans les stades. De son côté, la France a déjà mis en place des mesures strictes. La loi Evin interdit l’alcool dans les stades sauf pour les VIP, ce qui a été fortement critiqué car seules les personnes privilégiées ont alors le droit de boire pendant les matchs. Ceux qui tenteraient de déroger à cette règle risquent 7.500 euros d’amende et un an de prison. Une mesure avec laquelle Thomas Orban est d’accord. Selon lui, « C’est une évidence, et si j’étais lebourgmestre d’une ville où il y a un match de foot j’interdirais tout usage d’alcool fortement concentré, que ce soit des bières spéciales ou des alcools plus forts, pas seulement dans le stade mais aussi dans les alentours. ». En effet, les spectateurs se rejoignent aussi avant le match et profitent de quelques verres avant de rejoindre les gradins.

Un problème peu pris au sérieux

Pour Thomas Orban, la Belgique fait face à un vrai problème de santé publique.Selon lui, le pays devrait commencer à se doter d’un plan alcool « digne de ce nom ». Il s’inquiète du fait qu’un problème aussi grand que les excès de consommation d’alcool et qui touche autant de monde ne soit pas réellement pris au sérieux : « Je ne comprends pas que l’on fasse autant pour le covid, mais que pour l’alcool on ne fasse rien, pire, on laisse les alcooliques faire ce qu’ils veulent malgré tout ce qu’on sait que ça coûte à notre société. C’est de la violence, des morts, des maladies. C’est une catastrophe. » En 2018, le rapport de l’OMS sur la santé des Européens rangeait la Belgique en troisième position dans la consommation d’alcool dans l’UE.

En ce qui concerne la prochaine Coupe du Monde qui se tiendra en 2022 au Qatar, elle sera alcoolisée. Il sera possible de consommer de l’alcool dans les loges des stades, c’est-à-dire uniquement pour les spectateurs qui possèderont des billets dits d’hospitalité. Cependant la vente d’alcool étant très stricte dans ce pays du Moyen Orient, les excès seront peut-être controlés.

Angèle Bilégué.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire