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Être végane peut-il nuire à l’intelligence ?

Marie Gathon
Marie Gathon Journaliste Levif.be

Le régime végétalien est pauvre ou, dans certains cas, totalement dépourvu de plusieurs nutriments importants pour le cerveau. Ces carences pourraient-elles affecter la capacité de réflexion des végétaliens ?

Les anthropologues se disputent depuis des décennies sur le contenu de l’assiette de nos ancêtres, rapporte la BBC. De nombreux scientifiques pensent que la viande a été à l’origine du développement de notre cerveau, qui pèse aujourd’hui 1,4 kg. Certains sont même allés jusqu’à dire que la consommation de viande a fait de nous des êtres humains.

Aujourd’hui, selon les dernières statistiques, il y a environ 375 millions de végétariens (qui ne consomme pas de chair animale) sur la planète. En Occident, le véganisme (qui ne consomme aucun produit animal) est devenu l’une des tendances qui connaît la croissance la plus rapide. Aux États-Unis, il a augmenté de 600 % entre 2014 et 2017.

Les préoccupations récentes concernant les carences nutritionnelles des régimes à base de plantes ont fait la Une des journaux. Notamment en ce qui concerne le risque d’un retardement du développement du cerveau, ainsi que celui de possibles dommages irréversibles au système nerveux. En 2016, la Société allemande pour la Nutrition est allée jusqu’à déclarer catégoriquement que – pour les enfants, les femmes enceintes ou allaitantes et les adolescents – les régimes végétaliens ne sont pas recommandés, ce qui a été confirmé en 2018 par de nouvelles recherches. En Belgique, imposer un régime végétalien à votre enfant pourrait vous valoir une peine de prison.

D’un autre côté, si l’arrêt de la consommation de viande avait un réel impact sur le cerveau, nous pourrions penser qu’on l’aurait déjà remarqué. Alors, est-ce que cela nuit vraiment à notre intelligence, ou est-ce seulement la peur de l’inconnu ?

Un manque d’étude sur le sujet

Idéalement, pour tester l’impact du régime végétalien sur le cerveau, il faudrait prendre un groupe de personnes choisies au hasard, demander à la moitié d’entre elles d’arrêter de manger des produits animaux – et voir ce qui se passe. Mais il n’existe pas d’étude de ce type.

La seule étude qui s’en rapproche a été menée sur 555 écoliers kenyans qui ont reçu comme en-cas, pendant sept trimestres scolaires, trois types de soupe : une à la viande, une au lait et une à l’huile – ou sans soupe du tout. Ils ont été testés avant et après, pour voir comment leur intelligence avait évolué. En raison de leur situation économique, la majorité des enfants étaient végétariens de facto au début de l’étude.

Étonnamment, les enfants à qui l’on donnait chaque jour la soupe à la viande semblaient avoir un avantage significatif. À la fin de l’étude, ils ont obtenu de meilleurs résultats que tous les autres enfants lors d’un test de raisonnement non verbal. Avec les enfants qui ont reçu une soupe additionnée d’huile, ils ont obtenu les meilleurs résultats à un test de capacité arithmétique. Bien entendu, il faut poursuivre les recherches pour vérifier si cet effet est réel et s’il s’appliquerait également aux adultes des pays développés. Mais cela soulève des questions intrigantes quant à savoir si le véganisme pourrait freiner certaines capacités.

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En fait, il existe plusieurs nutriments importants pour le cerveau qui n’existent tout simplement pas dans les plantes ou les champignons : la créatine, la carnosine, la taurine, les oméga-3 et le fer héminique. Les vitamines B12 et D3 ne sont généralement présentes naturellement que dans les aliments dérivés de produits animaux, bien qu’ils puissent être synthétisés en laboratoire ou extraits de sources non animales telles que des algues, des bactéries ou des lichens, et ajoutés à des compléments.

D’autres se trouvent dans les aliments végétaliens, mais en faibles quantités seulement. Pour obtenir la quantité minimale de vitamine B6 nécessaire chaque jour (1,3 mg) à partir de l’une des sources végétales les plus riches, la pomme de terre, il faudrait en manger environ 750 grammes quotidiennement.

Et bien que le corps puisse fabriquer certains de ces composés cérébraux vitaux à partir d’autres ingrédients de notre alimentation, cette capacité n’est généralement pas suffisante pour compenser les carences alimentaires. Pour tous les nutriments énumérés ci-dessus, il a été démontré que les végétariens et les végétaliens en ont des quantités plus faibles dans leur corps. Dans certains cas, la carence n’est pas l’exception – c’est tout à fait normal.

Pour l’instant, l’impact de ces carences sur la santé est encore méconnu. Mais un petit nombre d’études récentes ont fourni quelques éléments de réponse.

« Je pense que le fait que les régimes alimentaires à base de plantes prennent de l’ampleur a de réelles répercussions », déclare Taylor Wallace, un scientifique spécialiste de l’alimentation et PDG de la société de conseil en nutrition Think Healthy Group. « Ce n’est pas que les régimes à base de plantes soient mauvais en soi, mais je ne pense pas que nous éduquions suffisamment les gens sur les nutriments qui sont principalement dérivés de produits animaux ».

L’importance de la B12

L’un des défis les plus connus pour les végétaliens est d’obtenir suffisamment de vitamine B12, que l’on ne trouve que dans les produits animaux comme les oeufs et la viande. D’autres espèces l’acquièrent par des bactéries qui vivent dans leur tube digestif ou dans leurs selles ; elles l’absorbent directement ou l’ingèrent en grignotant leurs propres excréments, mais les humains ne peuvent pas en faire autant.

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Pour voir à quel point la B12 est cruciale pour le cerveau, il suffit de voir ce qui se passe quand on n’en a pas assez. Chez les enfants, les conséquences d’une carence en B12 peuvent changer la vie. « Il existe des cas tragiques d’enfants dont le cerveau ne s’est pas développé parce que leurs parents étaient des végétaliens mal informés », explique M. Benton. Dans un cas, l’enfant était incapable de s’asseoir ou de sourire. Dans un autre, il a sombré dans le coma.

Plus tard dans la vie, la quantité de B12 dans le sang d’une personne a été directement corrélée avec son QI. Chez les personnes âgées, une étude a montré que le cerveau des personnes ayant une faible teneur en B12 avait six fois plus de chances de rétrécir.

Les lacunes dans notre compréhension actuelle de ce dont le cerveau a besoin pour être en bonne santé pourraient potentiellement être un problème majeur pour les végétaliens.

Le faible taux en B12 est très répandu chez les végétaliens. Une étude britannique a révélé que la moitié des végétaliens de son échantillon présentaient des carences. Dans certaines régions de l’Inde, le problème est endémique – peut-être en raison de la popularité des régimes sans viande.

Le fer et la taurine

Le fer est un autre élément nutritif qui est rare dans le régime végétalien typique. Bien que nous l’associons souvent au sang, le fer joue également un rôle prépondérant dans le développement du cerveau, et est essentiel pour maintenir l’organe en bonne santé tout au long de notre vie. Par exemple, une étude réalisée en 2007 a montré que l’administration de compléments de fer aux jeunes femmes permettait d’obtenir des gains intellectuels importants. Chez celles dont le taux de fer dans le sang a augmenté au cours de l’étude, les performances à un test cognitif s’est améliorées de cinq à sept fois, tandis que les participantes dont le taux d’hémoglobine a augmenté ont vu leur vitesse de réflexion augmenter.

Un autre exemple est la taurine. Cet acide aminé est l’un des plus abondants dans le cerveau humain, où il serait à la base de plusieurs processus importants, tels que la régulation du nombre de neurones. On l’ajoute souvent aux boissons énergétiques à base de caféine, car on croit (peut-être à tort) qu’il peut donner un coup de pouce cognitif immédiat.

Bien que certains produits laitiers contiennent de petites quantités de taurine, les principales sources alimentaires sont la viande et les fruits de mer. « Certaines espèces ont la capacité de fabriquer toute la taurine dont elles ont besoin », explique Jang-Yen Wu, scientifique biomédical à l’Université atlantique de Floride. « Mais les humains ont une capacité très limitée pour le faire ».

C’est pourquoi les végétaliens ont tendance à avoir moins de taurine dans leur corps. Personne n’a encore cherché à savoir comment cela pourrait affecter leurs capacités cognitives, mais d’après ce que nous savons de son rôle dans le cerveau, Wu dit que les végétaliens devraient prendre des comprimés de taurine. « Les gens peuvent devenir déficients lorsqu’ils restreignent leur alimentation, car les légumes ne contiennent pas de taurine », dit-il.

En fait, les lacunes dans notre compréhension actuelle de ce dont le cerveau a besoin pour être en bonne santé pourraient potentiellement être un problème majeur pour les végétaliens, car il est difficile d’ajouter artificiellement un nutriment à votre alimentation, si les scientifiques n’ont pas encore découvert sa fonction.

Le cas de la créatine

Dans d’autres cas, notre compréhension est encore plus floue. Le dernier nutriment en question est la créatine – une substance blanche et poudreuse que l’on trouve souvent dans les shakes de fitness. Sa fonction naturelle dans l’organisme est de fournir de l’énergie à nos cellules. Elle est donc vénérée par les obsédés de la gym comme un moyen d’améliorer leur endurance.

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Mais elle est également importante pour le cerveau – et des études ont montré qu’une augmentation de la consommation peut apporter toute une série de bienfaits, comme une meilleure mémoire et une réduction de la fatigue mentale. Récemment, ce médicament a commencé à faire son apparition en tant que médicament de l’intelligence.

Il est bien établi que les végétaliens et les végétariens ont des niveaux de consommation nettement inférieurs dans leur corps, car les plantes et les champignons n’en contiennent pas.

Cela a conduit les scientifiques à se demander si un déficit en créatine ne pourrait pas affecter certaines personnes. Pour une étude, les chercheurs ont testé comment l’intelligence des végétariens et des omnivores changeait après cinq jours de supplémentation. « Nous avons constaté que les végétariens semblaient en tirer un bénéfice particulier », explique David Benton, de l’université de Swansea, qui a dirigé les recherches.

En revanche, les omnivores ont été relativement peu affectés. Cela laisse entendre que, contrairement aux végétariens, ils avaient déjà la quantité appropriée de créatine dans leur cerveau.

Cependant, Caroline Rae, qui a dirigé une autre étude, affirme qu’il n’y a pas encore assez de preuves pour justifier la prise de créatine. Cela pourrait avoir des conséquences imprévues, comme la réduction de la capacité du cerveau à en fabriquer lui-même, ce qui entraînerait une « diminution de la créatine ». « J’ai toujours émis l’hypothèse qu’elle pourrait être utile si vous vouliez vous gaver pour un examen, mais il serait intéressant de voir si les gens régressent après avoir arrêté ».

Enfin, le cerveau fait largement son propre approvisionnement, il n’est donc pas clair si les végétaliens ont réellement besoin de compléments. La créatine de notre alimentation pourrait n’être utilisée par le cerveau que dans des conditions « extrêmes », comme lorsque nous sommes stressés.

Quel est le verdict ?

« Je pense que nous avons besoin de beaucoup plus de recherches sur la nutrition et la santé des végétaliens », déclare Heather Russell, diététicienne de la Vegan Society. « Pour autant que nous puissions le dire, il est possible de mener une vie saine en tant que végétalien « . Bien qu’il soit important de prendre des suppléments, elle explique que la santé cardiovasculaire et cérébrale d’une personne est inextricablement liée, et que les végétaliens ont tendance à avoir un coeur plus sain.

« Je dis tout le temps aux gens que si vous êtes végétalien ou végétalienne, c’est très bien », dit Wallace. « Je ne suis certainement pas contre. Mais il y a environ 40 nutriments essentiels. Il faudrait donc beaucoup de recherches pour que les végétaliens obtiennent tout ce dont leur cerveau a besoin », dit-il.

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