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Empathie: le drame photogénique, voilà ce qu’il faut pour émouvoir les foules

Muriel Lefevre

Pourquoi s’inquiète-t-on tant des jeunes thaïlandais coincés dans la grotte alors qu’on ne se préoccupe guère des enfants qui se noient dans les bateaux de migrants se demande De Standaard? L’occasion de revenir sur les rouages parfois impénétrables de l’empathie. Une belle qualité, mais aussi une arme redoutable.

C’est une histoire qui a tenu en haleine le monde entier ces derniers jours. Un drame qui a commencé un peu dans l’indifférence générale avant de capter l’attention de la plupart des médias du monde lorsqu’il s’est transformé en véritable thriller. Si les 12 jeunes footballeurs et leur coach avaient péri « simplement » noyés dans la grotte, cela aurait fait une brève dans la presse locale. Mais les différents chapitres et rebondissements vont changer la donne.

Acte 1: un coach et sa toute jeune équipe de foot se retrouvent coincés dans une grotte suite à la montée des eaux. Acte 2 : pendant plus d’une semaine, on ne saura s’ils sont vivants ou morts. C’est alors qu’un premier miracle survient. Acte 3: Ils sont vivants, tous. Acte 4: Très vite, on tempère l’enthousiasme, car si l’on sait désormais où ils se trouvent, ils ne sont pas sauvés pour autant puisque seuls des plongeurs aguerris sont parvenus jusqu’à eux après plusieurs heures éprouvantes. En plus, ironie du destin, la plupart des jeunes ne savent pas nager. Acte 5: Ils vont devoir apprendre les rudiments de la nage en un temps record. On apprend aussi qu’un plongeur est mort, prouvant, si besoin, à quel point la sortie est périlleuse. Acte 6: nouveau rebondissement, les eaux remontent suite à d’importantes pluies. L’urgence est encore accentuée par le fait que les services de secours préviennent que l’air se raréfie dans la grotte. La tension est donc à son comble lorsqu’on apprend que quatre jeunes de 12 jeunes étaient sortis de leur prison souterraine. Ils seront suivis de peu par les autres qui remontent au compte-goutte.Tous sont donc sortir vivants de cette mésaventure.

Empathie: le drame photogénique, voilà ce qu'il faut pour émouvoir les foules
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Cette histoire que l’on croirait inventée par Hollywood a, il faut bien le dire, tous les ingrédients pour plaire aux médias qui le lui rendent bien avec une ouverture médiatique maximale. On connaît désormais le nom des enfants et leurs rêves. Les victimes ont un visage et des parents que l’on voit pleurer. De quoi toucher une bonne partie de la population mondiale.

« Une personne morte est une tragédie, mais un million de morts n’est qu’un chiffre statistique »

Pourtant ce ne sont pas là les seuls enfants qui risquent de mourir noyés dans d’atroces conditions. Tous les jours des enfants et leur parent meurent dans les bateaux en méditerranée, par exemple. Mais dilués dans des abstractions politique ou idéologique, ces drames humains ne suscitent que peu d’intérêt. Car, comme le précise De Standaard, qui paraphrase Staline, : « une personne morte est une tragédie, mais un million de morts n’est qu’un chiffre statistique ».

Toujours selon le quotidien flamand, un tel mécanisme ne signifierait pas tant que nous soyons tous des monstres, mais serait plutôt lié à un bug de notre cerveau empathique. Selon Stijn Bruers, philosophe et spécialiste de l’altruisme interviewé par le quotidien : « la souffrance d’un enfant nous émeut, car on peut se l’imaginer, mais nous sommes incapables de saisir ce que représente la souffrance de mille enfants. C’est trop. Dans une sorte de réflexe psychopathique, cela devient abstrait et coupe tout sentiment de culpabilité. Et cela se vérifie dans les faits. Prenons l’exemple d’une ONG qui souhaite récolter des fonds. Elle sait, étude à l’appui, qu’elle a tout intérêt à dire à chacun de ses donateurs qu’ils vont sauver un enfant en particulier plutôt que des milliers. Plus surprenant encore, des études ont démontré que nous sauterions plus facilement à l’eau pour sauver un enfant, même s’il y avait 1000 euros dans notre portefeuille, que de donner directement 1000 euros à une association. On serait en droit de se demander pourquoi, vu que le sacrifice semble a priori plus grand. Mais c’est probablement oublier un peu vite que, lorsqu’on se jette à l’eau, on ne fait pas que se sacrifier pour sauver cet enfant. On en retire aussi une importante euphorie et le sentiment d’avoir fait ce qu’il fallait.

Les mystères de l’empathie

Les rouages de l’empathie, ou autrement dit de notre capacité à se mettre spontanément à la place d’autrui, sont parfois complexes. Le postulat de base est cependant que s’il nous arrive d’avoir mal pour les autres, c’est parce que cela nous est utile. Cette capacité nous permet de nous occuper de notre descendance en donnant à manger à un bébé qui a faim par exemple, mais aussi de percevoir ce qui est bénéfique ou dangereux pour le groupe et donc aussi pour soi-même.

L’empathie n’est cependant, a priori, pas innée. Elle s’élabore en trois phases bien dès la prime enfance. Vers un an, on commence à développer l’empathie affective, soit on parvient à identifier des émotions diverses chez l’autre. Par exemple: il pleure parce qu’il est triste. Vers 4 ans et demi, peut-être un peu plus tôt, vient l’empathie cognitive. Les jeunes enfants comprennent à partir de cet âge que les autres ne vivent pas forcément la même chose qu’eux. Par exemple: on voit que l’autre est content, mais on sait aussi qu’il peut l’être pour d’autre raison que nous. Ces deux formes d’empathies fusionnent entre 8 et 12 ans pour former ce qu’on appelle l’empathie mature. Soit la capacité à pouvoir se mettre à la place de l’autre. On estime cependant que 4 % des hommes, 2 % des femmes en sont dépourvus et ont donc une personnalité dite psychopathique. Une personnalité qui peut se traduire par la capacité à manipuler les autres sans scrupules.

Ne pas confondre empathie et compassion

On veillera cependant à ne pas confondre l’empathie, qui consiste à ressentir ce que ressent l’autre, avec la compassion qui consiste, elle, à se soucier de quelqu’un qui souffre, sans pour autant éprouver soi-même ce qu’il ressent. Ce serait même deux états d’esprit différents en sachant que la seconde étant plus bénéfique que la première. En effet, les gens qui développent la compassion ont plus facilement du plaisir à aider les autres, alors que les personnes très empathiques font souvent des burn-out selon le Figaro.

On notera également que l’empathie est visible à l’imagerie cérébrale. Lorsqu’on souffre ou que l’on voit souffrir ce sont les mêmes zones s’activent. Il s’agit d’aires émotionnelles du cerveau et pas des aires sensorielles. C’est ce qui explique pourquoi on ne confond généralement pas sa propre douleur avec celle de l’autre. Ce partage émotionnel de la douleur n’est néanmoins pas mécanique, son intensité va dépendre de ce qu’on sait du contexte et de la personne que l’on observe, mais aussi par les sentiments qu’on lui porte.

Enfin l’empathie, si elle est souvent encensée, pourrait pourtant faire plus de mal que de bien selon Paul Bloom, psychologue canadien installé à l’université de Yale et interviewé par Le Temps. Elle serait en effet « souvent partiale, bornée, capricieuse, aveugle aux conséquences de nos actes, facile à manipuler pour attiser la haine… »

Aisément menée en bateau par un storytelling adéquat, l’empathie peut effectivement devenir une arme redoutable. Donald Trump, mais il n’est pas le seul, utilisent l’empathie pour manipuler et attiser la haine de l’autre en racontant des histoires dont la véracité n’est pas toujours la principale qualité.

Identification et suspense devant les caméras

Si le drame thaïlandais passionne autant les foules, c’est donc aussi parce que les victimes forment un groupe auquel beaucoup peuvent s’identifier. Une équipe de foot avec leur entraîneur, beaucoup s’y reconnaissent, surtout en période de coupe du monde.

Le fait que ce thriller se déroule aussi devant les caméras amplifie sa portée. D’autant plus que l’affaire a trouvé une fin heureuse en direct sous les yeux du monde. Cette notion de « célébrité » et le poids des photos sont sans conteste un autre élément important dans le « succès » de cette mésaventure. Un effet des plus puissant puisque les deux fois où le drame des réfugiés a réellement fait la une des médias, c’est à travers des images-chocs. En 2015, lorsque le corps de Aylan Kurdi, âgé de trois ans, s’est échoué sur une plage turque ou plus récemment lorsque Mawda Shawri, deux ans, a été tué par un policier belge.

Ce sont les images fortes publiées dans les médias qui, en donnant un visage à ces enfants, vont placer ces évènements au coeur de l’attention. La preuve par le triste exemple, qu’une image vaut hélas mieux qu’un long discours.

Mawda
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