Didier Pittet, médecin-chef au service prévention et contrôle aux hôpitaux universitaires de Genève, en Suisse. © OLIVIER MAIRE/BELGAIMAGE

Didier Pittet, discret sauveur du monde

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Ce médecin suisse, aujourd’hui sexagénaire, est à l’origine de la généralisation du gel hydroalcoolique. En faisant don de la formule à l’OMS, il a empêché la privatisation de ce produit essentiel dans la lutte contre le coronavirus.

C’est un soldat, sinon inconnu, du moins peu connu. En revanche, il est identifié. Et dans la lutte contre le coronavirus, il est invisiblement omniprésent. Didier Pittet, 63 ans, est un épidémiologiste et infectiologue, aujourd’hui médecin-chef du service de prévention et contrôle aux hôpitaux universitaires de Genève. C’est à lui que l’on doit la mise au point du gel hydroalcoolique, le produit aujourd’hui le plus connu au monde. Rebobinons. En 1995, Didier Pittet découvre dans son institution les ravages des maladies nosocomiales, causées par les soignants eux-mêmes, transporteurs involontaires de virus et de bactéries. L’étude qu’il mène sur le sujet au sein de son hôpital le conduit à cette conclusion :  » Les mains qui sauvent sont celles qui tuent. «  Dès lors, avec William Griffiths, un pharmacien attaché à la même structure hospitalière et qui avait déjà travaillé à la formulation de la solution hydroalcoolique des années auparavant, il invente le gel hydroalcoolique.

Ce gel permet de diviser par deux le taux d’infection en milieu hospitalier.

De l’alcool, un agent antibactérien, de l’eau oxygénée, de la glycérine, de l’eau, voilà pour l’essentiel. Rien n’empêche d’y ajouter un agent moussant, un parfum agréable, voire un colorant. En quinze à trente secondes, ce gel extermine les bactéries, virus et champignons qui voyagent incognito sur nos mains alors qu’un lavage avec eau et savon dure au moins deux minutes. En milieu hospitalier, le personnel soignant pourrait devoir se laver les mains jusqu’à 22 fois par heure, soit durant 44 minutes : intenable. Hypoallergénique, ce gel peut s’employer sans eau et s’emporter partout. Il sèche en outre presque instantanément, ce qui représente un gain de temps considérable pour ses utilisateurs professionnels. L’étude menée par Didier Pittet, prouvant que le gel hydroalcoolique permet de diviser par deux le taux d’infection dans le milieu hospitalier, est publiée en 2000 dans la prestigieuse revue britannique The Lancet. En 2005, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) fait appel à lui pour lancer le programme Clean Hands Save Your Life (des mains propres sauvent votre vie) auquel adhèrent des milliers d’hôpitaux dans le monde.

De quoi assurer la fortune du génial inventeur ? Que nenni. Ce dernier décide, en 2006 – après avoir découvert combien son produit se vendait cher – de rendre la formule gratuite. Il publie la formule et le protocole sur le site de l’OMS, lui faisant don du brevet, au grand dam des laboratoires pharmaceutiques.  » Nous avons simplifié la formule et nous l’avons adaptée pour que, localement, on puisse utiliser l’alcool de canne à sucre « , par exemple, détaille-t-il dans sa biographie intitulée Le Geste qui sauve (1). Et en Russie, certains ont entrepris de boire le gel, contraignant ses concepteurs à y ajouter un vomitif…

Selon les estimations de l’OMS, les campagnes incitant au lavage régulier des mains, couplées à l’invention du gel hydroalcoolique, sauvent entre cinq et huit millions de vies par an.

(1) Le Geste qui sauve, par Thierry Crouzet, éd. L’Age d’homme, puis Thierry Crouzet et le Fonds Clean Hands Save Lives. Ce livre, publié sous licence creative commons, est disponible sur tcrouzet.com.

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