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Des seniors partagent leurs expériences : « Parfois, il faut saisir les opportunités, même si elles nous effraient »

Anke Wauters
Anke Wauters Journaliste Knack Focus et Knack Weekend

Comment vivre heureux ? Peut-être que des gens qui ont passé presque un siècle sur notre Terre ont la réponse à cette question. Comment regardent-ils la vie qu’ils ont vécue ? Est-ce qu’ils ont déjà eu l’impression d’être sur la bonne voie ?

Germaine Van Eesbeek
Germaine Van Eesbeek© Jef Boes

Germaine Van Eesbeek (99 ans) : « L’argent détruit beaucoup de choses »

« Pendant vingt ans, mon mari et moi avons tenu un magasin de quartier au coeur de Bruxelles. C’était la plus belle plus époque de ma vie. Quand je repense à cette période, je ne ressens que de la joie. Pourtant, lorsqu’on nous a proposé de racheter le magasin, j’ai traité mon mari de fou. Nous, indépendants ? Non, je ne nous voyais pas faire cela. Pourtant, nous avons réussi. Parfois, il faut saisir les opportunités, même si elles nous effraient, et même si beaucoup de choses peuvent dégénérer. Dans la vie, on ne sait jamais comment les choses vont tourner. Nous sommes tellement habitués à partir du principe que tout ira mal, que le succès est souvent totalement inattendu.

« En gérant un magasin, j’ai également appris de nouvelles choses sur moi, notamment que je suis une tête en calcul mental. Lorsque j’étais à la caisse, je pouvais très rapidement calculer les sommes les plus difficiles. Et même à mon âge avancé, je n’ai aucun problème à multiplier, additionner, soustraire ou diviser de grands nombres. Les maths sont un sport incroyable pour le cerveau. »

« Mon mari était une personne très généreuse, il aimait chouchouter les gens et offrir des cadeaux. Il glissait souvent même quelques extras aux clients: plus de légumes au même prix par exemple, ce genre de choses. C’est une chose que j’ai toujours admiré chez lui : cette générosité, cette cordialité. C’était un homme très chaleureux. »

« Notre fille était la prunelle de ses yeux. Il aurait tout fait pour elle. Lorsqu’elle nous a quitté à cinquante ans, après un long combat contre la leucémie, quelqu’un chose s’est brisé en lui. Il n’a plus jamais été le même, il avait constamment peur que quelque chose arrive aux gens qu’il aime. Un jour, j’ai dû aller à l’hôpital pour un examen. Il avait peur que quelque chose n’aille pas. Et même lorsque je suis revenue à la maison avec une bonne nouvelle, il ne pouvait pas se calmer.La peur de mon mari de me perdre après notre fille lui a été fatale. Le matin suivant, il est décédé. Un coeur brisé peut être dangereux pour la santé. Il faut être très prudent. »

« J’en ai bavé après son décès. Non pas dans le sens auquel vous pensez. La maison que nous avions construite ensemble après notre retraite , l’argent que nous avions épargné… Certains membres de ma famille y ont vu un bel héritage. J’ai été incroyablement maltraitée par des gens sur qui j’aurais dû compter. A cause de ces disputes financières, j’ai même perdu ma maison. Mon rêve, avant de quitter ce monde, est de pouvoir à nouveau considérer cette maison comme la mienne. Mon mari m’a appris à avoir confiance en tout le monde et je pensais que c’était un beau trait de caractère. Cependant, j’ai vu plus tard dans ma vie qu’il fallait tout de même être vigilant. Tout le monde ne vous veut pas du bien. L’argent détruit beaucoup de choses. C’est la seule certitude dans la vie. »

François Reygaert (96) : « La solitude est une sale bête »

François Reygaert
François Reygaert© Jef Boes

« Rester le plus longtemps possible à deux. Selon moi, c’est le secret d’une longue vie et heureuse vie. Et j’ai eu la chance de me marier deux fois. Deux femmes fantastiques qui m’ont rendu heureux chacune à leur manière. Tout le monde n’a pas eu cette chance incroyable. Après la mort de ma deuxième femme, beaucoup de nos amis l’ont rapidement rejointe. J’ai eu du mal à digérer cela : tout le monde était parti d’un coup et je me retrouvais tout seul. La solitude est une sale bête. Elle s’incruste dans votre peau. »

« Heureusement, je suis une personne très sociable. Je me suis rapidement fait une bande d’amis dans la maison de repos. On jouait aux cartes ou on parlait. Cela coule dans mon sang. Appelez-moi sans hésiter « un ami des gens ». J’adore rire à outrance et j’apprécie les bonnes conversations. Ça a l’air de venir de soi mais ces dix dernières années, j’ai vu la société changer. »

« Selon moi, le problème a commencé avec l’arrivée de la télévision dans les foyers et de plusieurs voitures dans les allées. Auparavant, tout le monde s’asseyait sur son perron, et lorsque vous vous promeniez dans la rue, vous bavardiez avec tout le monde. Ainsi, les étrangers devenaient des amis. Nos voisins apportaient une plus-value à notre vie. Ce genre de connexion à disparu. Le monde s’individualise. Chacun s’occupe de lui, rassembler un maximum d’objets et retourner chez soi avec elles, de peur que quelqu’un les vole. Plus personne ne se parle. Selon moi, c’est la source de beaucoup de problèmes : nous nous méfions les uns des autres. Nous pensons désormais « Avec tout ce que j’ai, les gens vont vouloir me voler », alors que nous devrions plutôt voir les choses ainsi : « Tout ce que j’ai, je pourrais le partager avec les autres. Et eux partageront avec moi ce qu’ils ont.' »

« C’est la raison pour laquelle je ne m’intéresse plus trop à la politique. Je bous de l’intérieur à chaque fois que j’entends un politicien mentir. Chaque fois que je les vois briser leurs promesses parce que ça les arrange mieux Chaque fois que je les vois retourner leur veste, je suis énervé. Mais je reprends espoir lorsque je vois ces jeunes descendre dans les rues pour le climat. Les politiques ont oublié qu’ils travaillaient au service des gens, et pas le contraire. Les jeunes les rappellent à l’ordre, ils font des grèves nationales et c’est une bonne chose. Il faut montrer aux politiciens leur responsabilité, nous ne devons jamais oublier de le faire. »

Susan Staes
Susan Staes© Jef Boes

Suzanne Staes (93) : « Les regrets sont une perte de temps« 

Ce qui m’inquiète aujourd’hui, c’est la façon dont les jeunes vivent leurs vies. Ils ont une perception détachée et souvent insouciante des relations. Ils passent d’un partenaire à l’autre sans se poser de questions. Je vois toujours plus de couples se marier, avoir des enfants puis divorcer un peu plus tard. Est-ce que vous avez déjà pensé au lien qui vous unissaient à la personne à laquelle vous dites « oui » ? Oui pour le meilleur, mais aussi pour le pires. »

« Mon mari et moi avons eu un long mariage. Mais tout n’a pas toujours été rose. Nous avons aussi traversé des tempêtes. A l’approche de mes trente ans, j’ai vécu un traumatisme si intense que mes cheveux sont devenus blancs du jour au lendemain. Et pourtant, nous sommes restez ensemble, pendant tout ce temps. Pourquoi ? Parce c’est important pour ses enfants de se battre pour son mariage.

Les moments les plus mémorables ne sont pas forcément énormes ou spectaculaires.

« Je pense que mon fils n’aurait jamais supporté une séparation entre mon mari et moi. Mon fils a toujours été un enfant difficile. Et voilà encore autre chose : réfléchissez bien avant de faire des enfants. Ces enfants, ce sont des engagements à vie. Cela ne s’arrête jamais. Je pense encore constamment à mes enfants, encore aujourd’hui : est-ce qu’ils vont bien ? Est-ce qu’ils sont heureux ? Cela ne s’arrête jamais, même après presque un siècle d’existence. »

« Est-ce que mon mari a été le plus grand amour de ma vie ? Je ressentais évidemment de l’amour pour lui. Mais ce fut aussi le cas avant de le rencontrer. Je suis tombé amoureuse pour la première fois à 18 ans. C’était une romance intense mais elle ne s’est pas bien terminée. Si je pouvais remonter le temps, je ne l’aurais jamais quitté. Mais cela ne veut pas dire que je ne suis pas satisfaite des choix que j’ai faits. Regretter sa vie est une pure perte de temps. Je n’arrête pas de le dire : on ne choisit pas. Il faut faire avec la vie que nous avons. »

« Et j’ai vécu des moments merveilleux dans mon mariage. Il était marin et nous avons navigué ensemble sur de nombreuses rivières d’Europe.

Un soir de Noël, je suis revenue dans notre cabine après la messe de minuit. Il avait tout décoré et avait cuisiné des crêpes pour moi. Un geste si simple. Mais je souris à chaque fois que j’y repense. Les moments les plus mémorables ne sont pas forcément grandioses ou spectaculaires. Pimenter le quotidien, c’est là que réside la magie. »

Yolande Bultynck (93) : « Chérissez vos photos »

Yolande Bultynck
Yolande Bultynck© Jef Boes

« Je travaillais pour le service public de l’armée. Chaque matin, je prenais le train à six heures et chaque soir, je rentrais très tard. Les correspondances directes n’existaient pas encore, et il fallait passer par beaucoup de gares. C’était très fatigant. Je n’ai jamais eu le temps de me créer une vie sociale. Je vivais avec ma maman. Nous avons traversé ensemble la Seconde Guerre mondiale. Lorsque notre ville a été bombardée, nous avons tout perdu : notre maison, les photos accrochées au mur… Tout. J’ai juste eu le temps d’emporter avec moi un poivrier et une salière quand nous avons dû fuir en urgence.

« Quand je repense à cette période, je trouve cela tellement dommage de n’avoir aucun souvenir tangible de ma jeunesse. Si je peux donner un conseil, c’est celui-ci : chérissez de vos photos. Une photo, même si elle ne capture qu’un moment, est une sorte de preuve : c’est votre vie, c’est l’un des plus importants moments de votre vie. C’est pourquoi j’ai toujours une photo de mon mari à côté de mon lit. »

L’amour véritable rend aveugle, de la meilleure façon qu’il soit.

« J’ai rencontré mon homme à la fin de la quarantaine. C’était alors un homme de 60 ans énergique. Il était professeur de pédologie. Nous avons été présentés par des amis et le courant est directement passé. Je n’avais cru que l’amour frapperait un jour à ma porte, et encore moins à cet âge. Mais il était là d’un coup, et il m’a montré un nouveau monde. Littéralement, parce qu’il donnait cours dans les universités de différents pays : de la Nouvelle-Zélande aux États-Unis. Parfois, j’assistais aux cours de mon mari et pendant les pauses, j’enchantais tous les étudiants avec mes blagues. Un jour, mon mari quitta l’auditorium et j’ai eu une discussion animée avec ses étudiants sur les idéaux de la beauté. Ils ont sorti plusieurs noms de mannequins. J’ai pris la pose : « Vous ne pouvez pas me comparer à elles, mais je le fais avec ce que j’ai. »

« A la fin de la journée, mon mari m’a demandé ce qui avait été si drôle parce qu’il avait entendu les rires dans le couloir. Et lorsque je lui ai expliqué la situation, il s’arrêta d’un coup net au milieu de la rue, et il dit d’un air sérieux : « Yolande, je trouve que tu es la femme la plus belle du monde. » Au final, peu importe son âge, peu importe qu’on soit gros ou maigre, ou qu’on ait des rides… L’amour véritable rend aveugle, de la meilleure façon qu’il soit. »

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