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Définition européenne des perturbateurs endocriniens: les critiques fusent

Le Vif

Le feuilleton des perturbateurs endocriniens, qui dure depuis plus de trois ans à la tête de l’UE, a passé un cap décisif mardi à Bruxelles avec l’adoption de critères de définition pour une meilleure réglementation, qui ne satisfont toutefois ni les ONG, ni l’industrie des pesticides.

Ce mardi 4 juillet, après plusieurs tentatives infructueuse d’atteindre un accord avec les états membres, l’Europe vient enfin d’avaliser une définition des perturbateurs endocriniens. Ces substances chimiques qui perturbent notre système hormonal sont soupçonnées d’être à l’origine de certains cas d’obésité, de cancers ou de malformations. Elles sont omniprésentes dans notre environnement. Mais jusqu’à présent l’absence de définition empêchait l’Union européenne de prendre des mesures.

Le commissaire européen à la Santé Vytenis Andriukaitis a qualifié le feu vert de mardi de « grand succès ». Les critères seront désormais soumis au Parlement européen et au Conseil européen qui disposent d’un droit de veto.

L’exécutif européen avait proposé des critères de définition en juin 2016, deux ans après la date promise, sous la pression des ONG et des Etats membres.

Il a fallu un an et quelques amendements pour que le texte soit accepté par le comité technique chargé du dossier, au sein duquel siègent des experts représentant les 28.

Une fois appliqué, il « assurera que toute substance active utilisée dans les pesticides identifiée comme perturbateur endocrinien pour les personnes ou les animaux pourra être évaluée et retirée du marché », a expliqué M. Andriukaitis.

Néanmoins, malgré la confiance affichée à Bruxelles, les critiques ont fusé.

Principe de précaution

Chez les défenseurs de l’environnement, à l’instar de Monique Goyens, du Bureau européen des organisations de consommateurs (BEUC), pour qui « l’approche de la Commission contredit le principe de précaution ».

Mais aussi chez les fabricants de pesticides, en première ligne pour la législation qui doit découler de l’adoption de ces critères.

« Les critères ne fournissent aucune protection supplémentaire pour la santé et l’environnement et ne servent qu’à avoir un impact disproportionné et discriminatoire sur les agriculteurs européens qui vont souffrir d’une nouvelle réduction arbitraire du nombre d’outils à leur disposition », a réagi Graeme Taylor, porte parole de l’ECPA, organisation qui représente les industriels du secteur (BASF, Dow, DuPont, Monsanto, Syngenta) à Bruxelles.

Les deux camps ont donc appelé le Conseil (représentant les 28) et le Parlement européen, qui ont trois mois pour examiner le texte avant sa finalisation, à le rejeter.

La Commission assure quant à elle que cette avancée va lui « permettre de commencer à travailler sur une nouvelle stratégie pour minimiser l’exposition des citoyens européens aux perturbateurs endocriniens ».

Les critères décidés mardi s’appliqueront dans le cadre de la réglementation des pesticides. Mais les perturbateurs endocriniens se retrouvent dans de nombreux produits de la vie courante, comme les cosmétiques et les jouets.

Ces substances chimiques sont susceptibles d’agir sur le système hormonal et d’être à l’origine de dysfonctionnements comme l’obésité ou l’infertilité, de malformations congénitales ou de retard de développement.

La ‘bataille’ continue

« Ce qu’aurait dû faire la Commission, c’est adopter des critères horizontaux qui s’adapteraient à n’importe quel secteur », a déploré Alice Bernard, de l’ONG ClientEarth.

« Les critères votés aujourd’hui (…) requièrent un niveau tellement élevé de preuve (de la toxicité des substances chimiques) qu’ils ne protègeront ni les humains ni la nature », a souligné Genon K. Jensen, qui représente EDC-Free Europe, une coalition de plus de 70 organisations.

En outre, l’exemption offerte pour certains pesticides qui agissent pour affecter le système endocrinien de leurs « cibles » (un insecte désigné) mais pas celui d’autres « vertébrés », dont les humains, fait enrager les opposants à ces nouveaux critères.

La France, longtemps critique, a finalement voté en faveur du texte amendé (comme 20 autres Etats membres), arguant d’un texte améliorée par rapport au premier projet car concernant les perturbateurs endocriniens « présumés », et non plus seulement avérés.

« On a gagné une bataille mais pas la guerre », a expliqué le ministre français de la Transition écologique Nicolas Hulot à l’AFP, regrettant en particulier de ne pas avoir pu faire supprimer l’exemption pour les pesticides conçus comme des perturbateurs endocriniens.

La France se réserve le droit d’interdire unilatéralement certaines substances sur son territoire, comme la législation européenne le lui permet.

La Suède, qui comme le Danemark a voté contre, a estimé que les critères retenus « ne sont pas en ligne avec les réglementations de base et les niveaux élevés de protection auxquels ils se réfèrent ». Stockholm promet aussi de continuer à argumenter pour amender encore le texte.

La déception d’Inter Environnement Wallonie

Valérie Xhonneux, d’Inter Environnement Wallonie se montre plutôt pessimiste face à cette décision. Elle s’est exprimée au micro de la RTBF: « Nous sommes assez déçus par cet accord. Pour nous, il ne permettra pas d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement. Les exigences de niveau de preuve qui sont fixés par la Commission européenne sont excessivement élevés ce qui va rendre la tâche d’identification des perturbateurs endocriniens très difficile ; ça va prendre du temps pour les identifier, ce qui n’est pas positif.« 

Elle ajoute: « Et en plus, il y a une possibilité d’exemption, qui pourrait revenir sur la table, qui prévoit que les pesticides qui sont conçus pour agir sur le système hormonal des insectes ne se verraient pas interdire et, donc, les similitudes qu’il pourrait y avoir dans le système hormonal des invertébrés et celui des mammifères et notamment des êtres humains ne seraient pas couvertes non plus. Donc, on a quand même des insatisfactions majeures par rapport à l’accord conclu aujourd’hui.« 

De son côté, Phytofar, l’association belge de l’industrie des produits de protection des plantes s’est dit déçue, par voie de communiqué, par le vote des États membres de l’UE sur les critères de définition des perturbateurs endocriniens.

L’association estime que « la définition, telle qu’adoptée, ne prend pas suffisamment en compte certaines informations scientifiques cruciales et ignore le concept d’évaluation des risques. »

Phytofar se déclare en faveur d’une réglementation des perturbateurs endocriniens et soutient l’usage de la définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). L’association regrette toutefois que la Commission n’ait pas saisi l’opportunité de développer un ensemble de critères faisant réellement la distinction entre des substances perturbatrices endocriniennes ayant des effets négatifs avérés sur la santé, et toutes les nombreuses substances sans effets néfastes.

Phytofar ajoute avoir espéré que la Commission et les États membres prendraient toutes les informations scientifiques disponibles et pertinentes en compte afin de déterminer des effets perturbateurs endocriniens potentiels : la puissance des effets de chaque substance, mais aussi l’exposition à ceux-ci, la gravité et la réversibilité de ces effets sur la santé.

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